Les dirigeants du FC Barcelone et du Real Madrid ne partiront pas en vacances ensemble. À l’occasion du Clasico qui opposera les deux géants espagnols, ce dimanche au Camp Nou, ils ne partageront pas même un repas. Sommé d’expliquer pourquoi son club a versé près de 7 millions de dollars au numéro 2 des arbitres entre 2001 et 2018, le président hôte, Joan Laporta, a préféré annuler le traditionnel déjeuner d’avant-match.
Car l’ambiance s’est tendue ces derniers jours. Une semaine plus tôt, la formation de la capitale avait pris la décision de se porter partie civile dans cette affaire qui fait grand bruit de l’autre côté des Pyrénées. « Je suis socio depuis tout petit et je vis très mal la situationl », souffle Ángel Pérez, président de la penya Foment Martinenc, le deuxième groupe de supporters le plus ancien du Barça.
Depuis les premières révélations de la radio Cadena Ser, mercredi 15 février, le scandale ne cesse de prendre de l’ampleur. Au fil des semaines, on a appris que, selon la presse, le FC Barcelone avait versé entre 6,6 et 7,3 millions de dollars au vice-président du Comité technique des arbitres (CTA), José María Enríquez Negreira, entre 2001 et 2018.
Cet argent a été viré sur les comptes de ses deux sociétés, Dasnil 95 SL et Nilsad SCP. Il ne s’agit pas de dessous de table. Pendant 17 ans, lesdites entreprises ont émis des factures allant parfois jusqu’au demi-million d’euros pour « l’élaboration et l’envoi de vidéos techniques au club » et du « conseil vidéos techniques ». Seulement tout n’a pas été déclaré correctement.
En se penchant sur les impôts réglés par le Barça entre 2015 et 2018, le Trésor public espagnol a constaté des irrégularités. À partir de juillet 2019, il lui a donc demandé une copie du contrat avec Dasnil 95 SL et Nilsad SCP, ainsi que les factures et les justificatifs afférents. Le club s’est exécuté. Il a aussi accepté de régler 877 299 euros de redressement. Mais il n’a pu rassembler nulle trace du travail effectué.
D’après les inspecteurs des impôts cités par la Cadena Ser, cet ancien arbitre devenu numéro 2 de l’organe chargé de la désignation des hommes en noir en 1994, « n’a apporté aucun document accréditant qu’il offrait un service au FCB ». Il a déclaré que ses conseils étaient formulés verbalement et que son rôle était d’éviter que le Barça pâtisse de « décisions arbitrales contraires » en lui assurant un traitement « neutre ».
Le fisc a donc transmis le dossier à la justice et une enquête a été ouverte en mai 2022. Le parquet a ainsi découvert que le Barça rémunérait Negreira depuis au moins 2001 et qu’il y en avait pour pas loin de 7 millions d’euros au total. Cette relation a commencé au plus tard sous la présidence de Joan Gaspart (2000-2003) et elle s’est poursuivie avec Joan Laporta (2003-2010), Sandro Rosell (2010-2014) et Josep Maria Bartomeu (2014-2020).
Ce dernier a décidé d’y mettre fin en juin 2018 pour, selon ses dires, « réduire les coûts ». Fait troublant, c’est justement à cette période que Negreira a quitté ses fonctions au CTA. Pour autant, l’ancien officiel n’était pas prêt à faire une croix sur l’argent du Barça. Dans une lettre envoyée à Bartomeu le 5 février 2019, et dévoilée par El Mundo, Negreira réclame ce qu’il semble considérer comme son dû.
« Je n’ai aucune animosité personnelle envers quiconque au club ni aucune volonté de rendre publiques toutes les irrégularités dont j’ai eu connaissance et dont j’ai pu faire directement l’expérience », écrit-il. « Mais vous m’obligeriez à le faire si vous ne reconsidérez pas votre décision et ne remplissez pas l’accord que nous avions en continuant à recourir à mes services jusqu’à la fin du mandat présidentiel. »
Malgré ces menaces, Bartomeu a officiellement cessé les paiements en 2018. Avant cela, il a « maintenu un accord verbal strictement confidentiel » avec Negreira afin que le Barça soit « favorisé par les décisions arbitrales lors de ses matchs », selon les conclusions du parquet présentées début mars à une juge d’instruction de Barcelone. Dimanche 12 mars 2023, le domicile de cette dernière a été cambriolé. Et on apprenait deux jours plus tard que le dossier serait confié au parquet anticorruption.
À en croire le journal en ligne El Confidencial, la justice s'intéressera notamment aux 550 000 euros que Negreira – dont le patrimoine est apparemment inexistant – aurait retiré en liquide entre 2016 et 2019. Ces sommes ont-elles été remises à d’autres arbitres ? Il est trop tôt pour le dire. « On ne pourra pas démontrer qu’un arbitre était malhonnête, je crois plutôt que ce Monsieur a vendu du vent », juge l’arbitre Pavel Fernandez, consultant de Radio Marca.
En 2020, Negreira a tenté d’offrir ses services au Barça une dernière fois. « Je peux vous aider avec la VAR », a-t-il promis à la direction du club, d’après El Mundo. « Avec moi ça vous aurait mieux réussi. » Pour le président de la Liga, Javier Tebas, le football espagnol vit le pire moment de son histoire. « Je ne crois pas que Barcelone achetait des arbitres », a-t-il indiqué jeudi 16 mars 2023. Les faits laissent toutefois penser « qu’il voulait avoir de l’influence », a ajouté Tebas.
Le vice-président du CTA jouissait en théorie d’un pouvoir limité. Lorsqu’il était en fonction, « il pouvait faire valoir son avis mais il était loin d’être seul », précise Pavel Fernandez. « Les désignations et les promotions étaient gérées par différents départements et il y avait un président pour superviser tout ça. » Selon El Mundo, les dirigeants du Barça étaient convaincus que Negreira pouvait les aider à contrebalancer le lobby madrilène au sein du CTA.
« Nous avons toujours cru que le Real était favorisé », contextualise Ángel Pérez. « La fédération, le gouvernement, la Liga, le CTA, toutes les institutions sont à Madrid. C’est un club-État, dont le président Florentino Pérez a énormément de pouvoir. C’est peut être ce qui a poussé les dirigeants du Barça à payer Negreira… »
Les tâches correspondant à « l’élaboration et l’envoi de vidéos techniques au club » et au « conseil vidéos techniques » citées par les factures de Dasnil 95 SL et Nilsad SCP étaient en fait réalisées par le fils de José María Enríquez Negreira. Ce jeune coach en arbitrage, Javier Enríquez Romero, préparait un rapport sur le comportement d’un arbitre chaque semaine. Mais il était aussi payé grâce à d’autres entités.
L’argent transitait via Tresep 2014 SL, l’entreprise d’un ancien dirigeant du Barça aujourd’hui décédé, José Contreras, pour venir abonder le compte de sa société Soccercam SLU. Une autre partie de sa rétribution passait par les groupes Best Norton SL et Radamanto SL, propriétés de proches de Contreras, avant de garnir la trésorerie d’Estudio ATD, elle aussi dirigée par Javier Enríquez Romero.
Ce montage aurait permis d’éviter que le nom « Enríquez » se retrouvât directement lié au Barça. Mais c’était compter sans l’intérêt du fisc pour Dasnil 95 SL et Nilsad SCP. Pris la main dans le pot de confiture, le club catalan n’a « jamais acheté d’arbitres et n’a jamais eu l’intention d’acheter des arbitres », jure son président actuel, Joan Laporta, sans se risquer à fournir plus d’informations.
« Nous voulons que Laporta donne des explications le plus vite possible », s’agace Ángel Pérez. « Il faut que les responsables paient, pas l’équipe et les joueurs. » Pour avoir rémunéré les entreprises du numéro 2 de l’arbitrage espagnol pendant 17 ans, le FC Barcelone a été mis en examen pour « corruption » par le parquet. Ses anciens présidents Sandro Rosell et Josep Maria Bartomeu risquent aussi une condamnation pour « corruption », « abus de confiance » et « faux en écriture ».
Les dirigeants qui les ont précédés devraient s’en sortir indemne grâce à la prescription. Prescription qui permet aussi au Barça, en principe, de s’épargner toute sanction sportive par la Liga. Il n’est en revanche pas exclu que l’UEFA le bannisse de ses compétitions. Les hommes de Xavi vont d’abord devoir décrocher leur place en Ligue des champions sur le terrain. Ils compteront 12 points d’avance sur les Madrilènes s’ils parviennent à les battre dimanche. Mais la partie sera loin d’être jouée en coulisse.