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Billet de blog 21 mars 2025

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Je n'ai pas de moyens, alors je fais des câlins

Je suis Assistante d'éducation (AED) dans un internat de lycée depuis 5 ans en tant que contractuelle à mi-temps. Je suis donc arrivée lors de la deuxième vague de Covid. L'Éducation nationale n'a plus de budget pour prendre soin de ses élèves. C'est tous les éléments de la chaîne qui pleurent.

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Je suis Assistante d'éducation (AED) dans un internat de lycée depuis 5 ans en tant que contractuelle à mi-temps. Je suis donc arrivée lors de la deuxième vague de Covid.

En 5 ans, j'ai constaté d'abord la fermeture d'un poste, et donc de l'entièreté d'un couloir (soit environ 35 places). Déjà, cela réduit le nombre d'élèves qui peuvent accéder à des filières peu nombreuses (technologique ou professionnelles) mais surtout cela a réduit notre équipe. Équipe qui est à nouveau sur la sellette. Notre Conseiller principal d'éducation (CPE) a commencé à évoquer une possible nouvelle suppression de poste sur les équipes de nuit, ce qui engendrerait la fermeture de l'internat les dimanches soir. Cette nuit permet pourtant à des élèves habitant à plus d'une heure de route de ne pas se réveiller à 4 ou 5 h du matin le lundi.


J'ai aussi vu nos bâtiments se détériorer toujours un peu plus, les élèves venant nous chercher car une douche ne s'éteint plus et inonde les chambres, car le toit fuit et qu'il faut mettre un seau dans le couloir et les escaliers ou encore car les prises grésillent au moment des branchements. Ce sont des petites choses qui s'accumulent et pour lesquelles je n'ai pas de réponse.

À part mettre des pansements sur un environnement dégradé comme changer de chambre une élève qui faisait des crises d'asthme à cause de l'humidité. C'est une lassitude qui se crée, on s'habitue au ploc ploc des gouttes les jours de pluie, au froid dans les chambres parce que le chauffage ne fonctionne plus (un collègue a dû dormir dans une chambre à 14 degrés plusieurs nuits d'affilée, personnellement j'ai ramené une couette, un plaid et j'utilise parfois la couette laissée par ma collègue en plus).

C'est aussi les changements de budget. Si, habituellement, nos petits déjeuners étaient comptés comme un repas "offert", nous devons depuis septembre payer 3 euros et quelques pour avoir droit à un café et un bout de pain avec du beurre. Cela fait que plus aucun d'entre nous ne déjeune, attendant la fin de nos postes, à 8h, et notre retour au domicile pour manger. Une fois de plus, un petit détail, mais lorsque la soirée a été longue, devant gérer une adolescente en détresse, suivie d'une mauvaise nuit dans le froid, savoir que je n'aurais même pas droit à une boisson chaude au réveil, c'est un rappel de plus que je ne suis pas considérée.

Et puis il y a justement la gestion des jeunes en détresse. Lorsque je dois m'occuper d'une adolescente, lame à la main, en même temps que deux secteurs (donc une soixantaine de jeunes en tout) car une collègue absente n'est pas remplacée, ce n'est juste pas possible. Ce soir-là, une autre élève vomissait dans sa poubelle de maladie. J'ai donc dû choisir le plus urgent et dire à l'autre d'attendre dans l'odeur du vomi. On ne dort pas bien ces soirées-là.

Et je sais que même si ma direction directe (CPE et infirmière) tente, essaie d'accompagner, elles-mêmes sont blasées, exténuées et ne savent plus quoi faire à part nous dire que ce n'est pas notre travail. Que non, on n'aura pas de formation de premiers secours psychologiques parce que non, une fois de plus, ce n'est pas notre travail et qu'on n'a pas le budget pour nous la payer. Et puis il y a la psychologue scolaire, même s'il faut parfois plus d'un mois d'attente pour que les élèves aient un rendez-vous puisqu'elle est responsable de plusieurs établissements. 

Alors on temporise. Je passe mes soirées à les serrer dans mes bras. Dépassant les limites de mon travail, ce qui m'est parfois reproché. Mais je ne sais pas quoi faire d'autre. Je n'ai pas de moyens alors je fais des câlins. Des câlins contre l'anorexie, contre les pensées suicidaires, contre les souvenirs traumatiques, les violences sexistes et sexuelles et tout ce qui leur déclenche des crises d'angoisse. Et ensuite j'essaie de m'endormir, avec la brise qui passe entre les murs et qui caresse ma joue, en me rappelant que ce n'est pas ma faute si je ne peux pas faire plus.

Je ne pensais pas avoir tant de choses à dire. Mais les larmes me montent. L'Éducation nationale n'a plus de budget pour prendre soin de ses élèves et c'est tous les éléments de la chaîne qui pleurent.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.