J'habite en France depuis 2015 : en tant qu'étudiante, en tant qu'employée de l'Éducation Nationale, en tant que cadre dans une grande entreprise française. Aujourd'hui, je suis doctorante en thèse dans une université française, rattachée à un grand laboratoire scientifique et enseignante-vacataire à l'Université (le recours aux enseignants vacataires doctorants, une stratégie croissante des universités face aux coupes budgétaires et aux pertes de postes de titulaires, représente un autre enjeu de précarisation massive de l'enseignement supérieur : https://www.vacataires.org/.)
Conformément au calendrier prévu pour le renouvellement de mon titre de séjour (TDS), j'ai déposé une demande de TDS en été 2024. Trois mois plus tard je n'ai pas eu de nouvelles, et il ne me restait que trois semaines sur mon TDS en cours. Naturellement, j'ai essayé de prendre contact avec l'Agence nationale des étrangers en France (Anef) afin de connaître le statut de mon dossier. Au bout de plusieurs tentatives d'appels (et des heures d'attente) j'ai réussi à parler avec une agente qui m'a assuré que, sans réponse concernant ma demande, j'aurai droit à une prolongation de TDS, et que ce dernier serait automatiquement rajouté à mon compte Anef en ligne. Les trois semaines sont passées, mon TDS est arrivé à terme, et je n'ai eu aucune réponse concernant ma demande de TDS ni concernant l'attestation de prolongation (ADP) qui m'a été promise. Je me suis retrouvée officiellement "sans papiers", du jour au lendemain dépourvue de mon droit de travailler et mon droit d'être malade : sans sécu, sans revenus, sans moyen d'assurer les cours d'amphi à l'université.
Tout de suite j'ai essayé de réagir. Encore des heures passées en attente au téléphone avec l'Anef, pour qu'on me dise que la prolongation de mon ADP "aurait dû" être automatique. Des échanges par mail n'ont pas été plus fructueux ; que des réponses copiées-collées telles que : "Comme précedemment indiqué cette attestation sera disponible, depuis votre compte ANEF, uniquement lorsque le précédent titre sera arrivé à échéance et si l’agent instructeur a déjà pris connaissance de votre dossier. Si votre demande apparait à l’état « Dépôt de la demande », nous vous invitons à patienter." (Je confirme : mon TDS était arrivé à échéance et l'agent instructeur avait déjà pris connaissance de mon dossier ; cela ne changeait rien.)
À la préfecture, c'était encore pire. Impossible de l'appeler : des heures d'attente pour que ça raccroche. Impossible d'avoir une réponse par mail. Impossible de parler avec un agent sans rendez-vous : la préfecture a fermé son accueil sans rendez-vous après un scandal en juin 2023, lequel a également entraîné (paraît-il) un gel de tous nouveaux recrutements. (Presque) impossible de parler avec un agent avec rendez-vous : jusqu'à très récemment, ils étaient tous réservés l'instant même de leur publication en ligne pour ensuite être revendus sur le marché noir local — un phénomène bien connu par la préfecture, malgré son déni persistant.
Une semaine après l'expiration de mon dernier TDS, j'ai reçu une nouvelle notification dans son compte Anef : l'agent instructeur de mon dossier a clôturé ma demande. La cause : "beug informatique". Je suis donc dans l'obligation de constituer un nouveau dossier et soumettre une nouvelle demande.
J'ai enfin pris contact avec un Sénateur dont la permanence est devenue une annexe officieuse de la préfecture face à cette situation kafkaïenne. Le sénateur a fait un courrier à la préfecture, et le lendemain une ADP a été rajoutée à mon compte Anef.
Ma situation n'est pas encore réglée. Je suis toujours sans TDS et je suis maintenant à mon deuxième ADP (dont l'obtention a été toute une autre histoire !). En plus, je me sens assez privilégiée : je n'ai pas d'enfant, je suis mariée avec un français qui a un salaire suffisant pour nous deux, j'ai un employeur qui est très compréhensif de ma situation, je peux me permettre le temps nécessaire pour appeler les services publics, les avocats, les représentants politiques. Finalement je n'ai vécu que deux semaines sans papiers, mais c'était deux semaines remplies de peur concernant mon avenir en France.
Malheureusement, je suis loin d'être seule face aux dysfonctionnements préfectoraux et j'ai rencontré des personnes dont les situations étaient beaucoup plus graves que la mienne : une maman, enceinte avec un deuxième enfant qui se retrouve sans Sécu ; un traducteur juridique qui travaille pour son pays d'origine dans un tribunal français sans papiers ; un homme qui travaillait légalement en France depuis cinq ans mais qui n'a pas eu de réponse à sa demande depuis presque deux ans maintenant — viré de son logement et poussé à travailler au black ; un couple qui n'arrive pas à renouveler les TDS de leurs enfants... Et, bien que cette situation semble aggravée pour la préfecture dont je relève, les autres préfectures ne vont pas beaucoup mieux.