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Billet de blog 3 janvier 2015

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Rixes, ou les conséquences de l'inhumanité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce qui devait arriver est arrivé.

Une rixe a éclaté hier soir entre de nombreux exilés, on dit qu’ils étaient entre 100 et 200.

Une bagarre qui aurait éclaté entre afghans et soudanais à cause  de la nourriture.

Oui… La nourriture. Parce que pendant que les autorités lèvent le plan Grand Froid estimant que les températures sont assez clémentes pour dormir dehors, plus de 2300 personnes survivent avec un unique repas par jour.

Il y a des associations qui se démènent pour distribuer de quoi survivre sur les camps : couvertures, bâches… Mais aussi de la nourriture. Parce que Salam et l’Auberge des Migrants ne peuvent pas nourrir tout le monde. Une moyenne de 700 repas par jour, pour plus de 2000 personnes… Il est évident que de nombreux exilés crèvent de faim.

Quand on est en état de survie, quand on a faim et froid, l’instinct prend le dessus. On a les nerfs à vif, et on n’a plus rien à perdre. 

Voilà donc où l’on en est. La survie est dure, impitoyable, dangereuse.  Evidemment, 200 personnes qui se battent sur environ 2300, ce n’est pas la majorité. Mais c’est trop. C’est le signe, une fois de plus, que les conditions dans lesquelles on laisse se débrouiller seules plus de 2300 personnes exilées sont absolument inhumaines et intolérables.

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ces rixes n’arrivent pas parce que les migrants sont méchants, dangereux ou agressifs. Elles arrivent parce que les autorités (toutes confondues de la mairie à l’état en passant par la préfecture) sont incompétentes, irresponsables  et criminelles.

En France, on dit qu’il existe un délit de non assistance à personne en danger. Mais quand ces personnes en danger sont des sans-abris, alors c’est moins grave. Si en plus ces personnes sont arrivées illégalement sur notre territoire, alors là, c’est carrément négligeable. C’est ça qu’on nous montre, c’est ce qui est mis en pratique, chaque jour à Calais, ville qui sombre peu à peu dans la caricature la plus sordide de l’inhumanité…

Il y a donc environ 2300 personnes en danger, beaucoup de malades (grippes, infections pulmonaires, engelures, blessures dues aux « rencontres avec les forces de l’ordre »…), des personnes qui ont faim, froid. Il y a des enfants, des femmes enceintes (souvent à la suite de viols durant le voyage). Et toutes ces personnes qui nécessiteraient une assistance médicale et/ou psychologique sont livrées à elles-mêmes. Dans un mépris total des autorités représentées par le préfet qui, je le rappelle, résume les exilés à « des personnes dont le projet est de violer la loi française ».

Oui, hier soir 200 personnes se sont battues. Pour de la nourriture, pour des abris.

Comme on se battrait si nous étions à leur place.

Ce sont d’autres exilés qui essaient de calmer les tensions.  Soutenus par des bénévoles ou « simples » citoyens soucieux de préserver l’équilibre précaire d’un quotidien qui malgré tout, avec recul et objectivité, devrait être source d’exemple pour chacun de nous. Car s’il y a en effet parfois quelques heurts, il ne faut pas oublier que la majorité du temps, des centaines de personnes parviennent à vivre ensembles, à construire une église, une mosquée, une école, à s’organiser  pour s’abriter, se nourrir, s’entraider, sans jamais poser de problème à personne.

Evidemment, les autorités ainsi que les pseudos sauveurs de Calais n’hésiteront pas à utiliser cet incident pour jeter de l’huile sur le feu. Ils se serviront de cette détresse, cette extrémité douloureuse pour prétendre à nouveau que les migrants sont méchants…  Ce n’est pas la décence qui les étouffe. Encore moins la compassion dont ils ne soupçonnent pas l’existence. Et puis, quand on n’a pas d’argument, quand on est incompétent, quand on est inutile et irresponsable, le mieux est encore de choisir l’option la plus facile pour se faire valoir, en l’occurrence, c’est tellement facile de crier au danger et au scandale devant une bagarre de migrants à bout de nerfs…  Tant qu’il y aura des gens pour préférer la facilité à la réalité, il y aura des gens pour croire aux propagandes politico-médiatiques savamment distillées par des personnalités politiques confirmées ou pas…

On nourrit la détresse, la haine grandit.   

Quand on contraint des êtres humains à vivre comme des bêtes, on doit assumer le fait que parfois, du coup, ils se mettent en colère et l’expriment violemment. Parce que malgré les conditions de survie insupportables, un être humain reste un être humain, avec une dignité, une ambition, un espoir, une volonté… S’ils sont en colère c’est qu’ils sont encore en vie, et qu’ils veulent le rester.

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