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Billet de blog 5 mars 2015

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De dérives en exclusions, d'exclusions en dérives.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’entends de plus en plus souvent parler de jeunes calaisiens, exclus des lycées pour « incitation à la haine ».

Des jeunes filles, des jeunes hommes à partir de 16 ans qui, endoctrinés par de plus vieux (qu’ils soient parents ou non) se voient ainsi exclus de la société, en tous cas pour un temps.  

En excluant définitivement un(e) jeune du circuit scolaire, en punissant sans autre forme d’accompagnement éducatif, on encourage ces jeunes dans leurs idéologies. On les pousse à franchir un nouveau palier.

Peut-on, à 16 ans, avoir conscience des raisons qui poussent des êtres humains à migrer quand on  ne sait pas ce que c’est qu’une guerre, une dictature, un génocide ? Si l’on ne sait pas ce que c’est que l’esclavage. Si l’on ne sait pas que ces phénomènes existent encore dans le monde à notre époque… Peut-on savoir, à 16 ans quelles sont les souffrances quotidiennes de ces autres jeunes de 16 ans ou moins qui ont tout perdu et qui sont contraints de vivre dans les ruines, la barbarie ou la fuite ? Peut-on comprendre la nécessité de la solidarité si l’on ne sait pas ce que c’est ? Peut-on comprendre le ridicule du concept de « Français de souche » quand on ne connait pas l’histoire de France et la richesse apportée par le partage des cultures dans notre pays (naturellement « tourné » vers le monde)? Peut-on respecter « l’autre » quand on n’en connait que la caricature la plus nauséabonde ?

On me dit « c’est normal de les exclure, ils pourrissent les autres si on les laisse faire ! ».

Oui mais… Une fois hors de l’établissement scolaire, ils ont le droit de parole, ils sont livrés à des propagandistes et ils sont encore plus en colère. Il est rare que la colère soit assez intelligente pour mener à une remise en question. Quand ça arrive, c’est magnifique, ça génère de belles révolutions, des mouvements humains impressionnants et une solidarité exemplaire. Mais ces colères là sont fondées sur la douleur, l’injustice, le drame, comme ce fut le cas en janvier. Comme ce fut le cas à d’autres moments de l’histoire.

Hélas, la plupart du temps, la colère, surtout quand elle nait dans un esprit immature, est destructrice, égoïste, et irréfléchie.

Ces jeunes en colère que vont-ils devenir si nous même ne savons pas leur tendre la main ? Si nous même ne faisons pas l’effort de comprendre ce qui les a poussés à croire les balivernes qui les ont poussés à la haine de l’autre ?

La jeunesse a des raisons d’être en colère ! Quel monde, quelle société lui offrons-nous ? Partout, de la violence, des injustices, de la pauvreté extrême, des politiques qui creusent les fossés et laissent les plus faibles dans le trou. Il suffit d’allumer la télé pour ne voire que ça : une dictature de l’apparence, du fric, qui pousse à envier celui qui a plus. Celui qui ne correspond pas aux critères de mode ou de bienséance par contre, il faut le zapper, l’éliminer. On lui offre une société en perte de repères, de valeurs, d’idéaux, de rêves, d’avenir… On la soumet à la concurrence, on lui fabrique des besoins.

On vit dans un monde où le « chacun pour soi » devient une évidence banale. « On va pas aider les autres, on a déjà assez de problèmes comme ça. » On vit dans un monde ou le mot « humaniste » est une insulte, un monde où il devient bien vu de revendiquer son côté « rien à foutre des autres, tant que j’ai pas le dernier  IPhone »… Une société où l’on jalouse, on médit, on utilise.

Alors ils font quoi nos jeunes quand ils sont mal dans leur peau, qu’ils cherchent à faire partie d’un clan, d’un groupe pour s’intégrer dans cette société tant bien que mal ?

Ils n’ont pas tous la chance de vivre dans des familles équilibrées, des familles qui ont la possibilité de comprendre le malaise, des familles qui peuvent leur proposer de « voir le monde »…

Des jeunes fragilisés ont besoin d’oreilles attentives, et qu’on les prenne au sérieux.

Ils ont trouvé ces oreilles auprès de militants d’ultra-droite. Et là, on les prend au sérieux… On les brosse dans le sens du poil, en les enfermant un peu plus dans leur malaise et dans leur condition de victime. On ne leur dit pas que, finalement, ils ont des possibilités inouïes que d’autres jeunes dans le monde n’ont pas : aller à l’école, apprendre, se préparer un avenir, lire, se cultiver, faire du sport, écouter de la musique, s’habiller à la mode, échanger... On ne leur dit pas que la France est un pays de droit qui même quand il va mal reste un pays que des millions de gens envient partout dans le monde.  On ne leur dit pas que le plus important c’est pas Facebook ou le dernier IPhone, la mode et la téléréalité, non… On leur dit que c’est vrai, que c’est la merde, que tout va mal, et que c’est la faute à « l’autre »… L’autre, l’étranger, le musulman, le noir, l’arabe, le juif…

Et pour les prendre au sérieux, on les embarque dans des histoires de milices, de politique, de pseudo révolution contre « les bobos de gauche », contre les « envahisseurs »…

Oui, les « bobos », parce que dans ce monde, on met des étiquettes sur les gens comme sur des produits de consommation.

Alors celui qui ose prôner la solidarité, le partage, la tolérance et l’union est un « bobo de gauche », ou encore un « gauche caviar »… même s’il vit en dessous du seuil de pauvreté ! C’est plus facile à détester que quelqu’un dont on dirait : « c’est une personne qui a connu (ou connait encore) la misère et qui sait qu’aider son prochain est essentiel pour l’avenir de la société, pour la justice et pour la dignité de chacun ».  Non, il vaut mieux dire : les bobos de gauche, les irresponsables, les bisounours : « ceux qui n’ont pas de problèmes et qui ne peuvent pas vous comprendre ».

Pourtant, la réalité, c’est que si ces jeunes là pouvaient nous écouter, nous entendre, nous voir tels que nous sommes, nous les « gauchos crasseux » comme aiment l’écrire des individus qui se revendiquent clairement anti-migrants, anti-humanistes… Alors les jeunes comprendraient que nous sommes identiques,  parfois avec quelques années de plus, quelques coups dans la tronche en plus, quelques expériences en plus. Qu’on n’a pas plus d’argent, de confort qu’eux. Que même parfois on en a moins. Que oui, on l’aime notre pays, on le respecte et on connait son histoire. Et que nous n’avons jamais décidé qu’ils sont nos ennemis parce que nous ne sommes en guerre contre personne. Qu’aider des « migrants » ne veut pas dire  « ne pas aider les français »… Que non, on n’est pas là pour faire de la politique.

La politique ?  Quelle politique ? C’est quoi de nos jours la politique ? Des opportunistes, des étiquettes (encore !), des menteurs, des mégalomanes, des incompétents, des aveugles, des lâches ou des délinquants… Partout, sous toutes les étiquettes, on trouve des gens à vomir qui donnent seulement le sentiment qu’il n’y a plus de vrais militants, de vraies convictions. Les politiques ne proposent pas, ne se battent pas POUR le peuple, mais contre des idéologies. TOUS, y compris le FN qui prétend être différent… Le FN est champion en matière de collage d’étiquette, le FN aime dire « bobo de gauche » pour discréditer un adversaire. Les personnalités politiques ne font donc que critiquer leurs adversaires. Mais critiquer n’est pas construire, même quand la critique est juste. Une fois qu’on a mis en évidence toutes les défaillances, les défauts, toutes les tares d’un système, d’un gouvernement ou d’une administration : on fait quoi ? Hélas, on entend trop ça : critiques, dénonciations et critiques encore… C’est donc les plus populistes qui parviennent à tirer leur épingle du jeu. Ceux qui se font un plaisir d’utiliser la douleur et la détresse pour gagner des voix. Tout ça démontre une chose : pas besoin de programme, pas besoin d’idées, pas besoin de proposition cohérentes. La seule chose qui fonctionne : la démagogie. Et de plus en plus de personnes ne votent plus pour des idées, des propositions mais pour des étiquettes ou pire, contre « les autres ». La politique ça devrait être autre chose que ça… Et il suffit de voir les personnes qui se présentent localement pour comprendre le drame qui se prépare. Peu importe les « candidats locaux » en réalité, peu importe leurs compétences personnelles, leurs connaissances en matière de vie sociale, d’économie, de chômage, d’industrie, d’enseignement,… Peu importe. Les gens qui vont voter vont le faire « pour Marine », ou contre « Hollande ». Ou pire, contre l’Europe, contre les étrangers, contre le reste du monde. Souvent, sans même savoir pourquoi. Juste parce que ça ne va pas. Et c’est encore plus évident chez ces jeunes fragilisés qui sont incapables de recul, d’objectivité. Et s’ils sont sortis trop tôt du système éducatif, ils ne sont pas en mesure d’appréhender les subtilités de langage utilisées dans les programmes des uns et des autres. Subtilités qui permettent pourtant de comprendre les intentions, le fond du programme, les différences entre les différents partis.

Oui, ça va mal. Oui, les étudiants français, pour beaucoup, vivent sous le seuil de pauvreté, oui, le chômage est une épreuve, oui c'est dur de se projetter dans l'avenir. Mais il y a d'autres solutions que la haine.

Je parle des jeunes calaisiens confrontés aux migrants, je pourrais parler de tous ces jeunes qui se radicalisent partout en France, dans un extrême ou un autre. Qui, parce que personne ne les écoute, personne ne prend au sérieux leurs inquiétudes, se font manipuler par des extrémistes nazis, intégristes islamistes ou mafias de toutes sortes et à qui finalement, on ôte toute possibilité de prendre part à la vie, à l'avenir de ce pays.

Arrêtons d’exclure, de punir… Eduquons, aidons, discutons, montrons.

Il serait temps de faire tomber les étiquettes, de mettre les bonnes volontés et les compétences en commun pour sortir de cette époque de crise idéologique autant qu’économique (en plus, c’est lié !)… Il serait temps de ne pas oublier que les jeunes sont l’avenir et que si nous les laissons dériver et oublier les valeurs de notre pays, alors nous aurons causé la perte de ces valeurs.

Plutôt que d’exclure des établissements les élèves qui « incitent à la haine raciale », on devrait leur faire passer deux heures par semaine en immersion dans les associations qui aident les migrants… Faire de l'humanitaire, c'est apprendre "les autres". Ils pourraient enfin voir, comprendre, et se faire un avis en fonction de leurs connaissances, de leur vécu  plutôt que sur les rumeurs.

L’exclusion n’est une solution pour personne, c’est une autre forme de stigmatisation. C’est dangereux. Car abandonner les plus faibles, c’est rendre forts ceux qui veulent faire de ce pays un nouveau Reich, un état terroriste ou un pays de non droits.  

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