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Billet de blog 5 octobre 2014

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Apartheid: le retour ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le phénomène de stigmatisation ne fait que prendre de l’ampleur, les migrants ne sont donc plus des êtres humains ordinaires mais une catégorie d’individus soumis à des règles bien à part.

La mairie a fait le premier pas, sans complexe, en interdisant les rassemblements de migrants par un arrêté municipal. Elle a ensuite interdit l’accès à un terrain de foot aux migrants et bénévoles qui s’y réunissaient quasiment tous les dimanches depuis deux ans.  Puis, des commerces ont décidé d’interdire l’accès de leur magasin aux migrants ou au mieux de pratiquer le « un par un »… Aujourd’hui, quelques patrons de bar ont décidé d’interdire l’accès de leur établissement aux migrants et aux No Border.

Le motif invoqué ? C’est flou, ça tourne autour de « ras-le-bol, ils sont trop nombreux », de « problème d’hygiène, les clients (français et blancs si possible) ont peur des maladies », ou de « les femmes se sentent en insécurité »… Il y a des bagarres, c’est trop difficile à gérer.

Je comprends qu’un bar doive gérer des situations complexes, parce que dans un bar on sert de l’alcool et que tout le monde n’a pas l’alcool joyeux. Parce que le fait de boire peut désinhiber et conduire à des comportements douteux ou violents, parce que surtout, aller dans un bar c’est avoir la volonté de passer un moment convivial et que personne n’a envie de se faire importuner.

Mais quand même, on parle de Calais, ville où il y a tellement de voitures de police qu’il est difficile d’imaginer  que cette dernière ne puisse pas intervenir rapidement en cas de problème, surtout quand il est question de migrants…

Il est normal, légitime que des individus qui sont à l’origine de troubles dans les établissements (commerces ou bars) soient exclus, voire même qu’ils soient poursuivis quand il le faut et condamnés.  Mais ça vaut pour tous les auteurs de délits ou d’incivilités ! Quand un calaisien cherche bagarre dans un bar ou qu’il n’hésite pas à importuner une femme ou encore qu’il part sans payer, il est viré, et il n’entre plus. Je l’ai déjà vu dans certains établissements. C’est normal. Ce qui ne le serait pas, c’est que sa famille, son immeuble, son quartier soient interdits d’accès dans cet établissement… Et là, tout le monde crierait au scandale.

Des calaisiens qui posent problème, il y en a, c’est avéré. J’ai vécu à Calais nord assez longtemps pour en connaître quelques-uns.  Il y a aussi une jeunesse pas toujours très respectueuse, qui bouscule, insulte, crache ou pisse au milieu des trottoirs. Pour autant, ces calaisiens là sont une minorité, ils ne sont pas représentatifs de la population calaisienne.

Ce principe ne vaut pas pour les migrants… Et il y a des gens pour trouver ça normal d’interdire l’accès de certains endroits aux migrants sous prétexte qu’ils sont migrants et que « on ne sait jamais »…

Le danger, c’est de voir cette pratique se normaliser et passer totalement inaperçue. Le danger à Calais, c’est de faire monter la tension d’un cran en pratiquant une ségrégation qui, ne l’oublions pas, est un délit.

Le danger, c’est d’oublier que l’histoire nous a déjà fait vivre de tels phénomènes.  Les juifs n’avaient pas accès à certains endroits…

Et en Afrique du Sud… Quand il a été instauré une politique dite de développement séparé concernant des populations selon des critères raciaux dans des zones géographiques distinctes.

C’est ce qu’on appelle  l’Apartheid ! C’est d’ailleurs la définition de ce mot : « séparation, mise à part ». La politique d'apartheid fut le résultat de l'anxiété historique des Afrikaners (minorité blanche) obsédés par leur peur d'être engloutis par la masse des peuples noirs environnants. Les lois rigides qui en résultèrent ne firent que mener à des drames, des années de douleur, des confrontations et des enfermements arbitraires comme les 27 années de prison de Nelson Mandela.

L’histoire a démontré que l’Apartheid était une horreur, un phénomène dangereux. 

Nous sommes en 2014, à Calais, ville de France.  L’apartheid est-il de retour ?

Le problème va au-delà de la présence des migrants, qui est évidemment difficile à gérer.  Le problème  nous plonge à présent dans un mode de pensée et de gestion de la situation qui est « tout répressif » et qui encourage la stigmatisation, la ségrégation et donc au final, une certaine forme de violence qui va à l’encontre des valeurs de notre pays. « Liberté, Egalité, Fraternité »… « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits »… Tout ça semble perdre de son sens au profit d’une mentalité du chacun pour soi qui ne cesse de mettre en avant  ce qu’il y a à perdre plutôt que tout ce qu’il y a à apprendre et à partager.  On nous bassine avec des « on n’a pas les moyens d’accueillir toute la misère du monde », en oubliant qu’on est très loin de le faire et que les moyens le gouvernement pourrait de toute façon les trouver en gérant l’économie d’une manière bienveillante.  On paie des sénateurs qui ne servent à rien qu’à préserver une institution désuète, pendant ce temps là on demande aux familles de se serrer la ceinture et on nous dit que les migrants feraient mieux de repartir se faire égorger chez eux, circulez, y’a rien à voir…  La France ? C’est donc ça qu’elle est devenue ?

On nous annonce 4km de barrières de 4m de haut, 15 millions d’euros pour interdire, empêcher, mais toujours rien pour aider ?  On nous dit qu’un accueil pour 400 personnes verra le jour prochainement.  Quid des 1000 personnes qui ne seront pas accueillies ?

Et dans le même temps, on met en place une opération policière du nom de  « mos maiorum » dans tous les pays d’Europe. Du 13 au 26 octobre, environ 18 000 policiers iront à la chasse aux sans –papiers.  Ils les arrêteront partout : rues, gares, routes…  Et après ?

Depuis quelques temps, selon l'Assfam (Association Service Social Familial Migrants) qui travaille au centre de rétention administratif de Vincennes, des places d’avion sont quasi systématiquement réservées pour les ressortissant-e-s soudanai-e-s et érythréen-nes en direction du Soudan. Vols qui ne doivent leur annulation qu'au bon vouloir des ambassades des pays en question s’ils ne délivrent pas le laissez-passer demandé par la France. Pour mener à bien sa politique migratoire, la France doit donc demander la collaboration de l'ambassade du Soudan et même faire pression sur elle. Elle collabore ainsi avec le président soudanais Omar al Bashir, criminel de guerre génocidaire, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la cour pénale internationale. C’est donc ça qu’on met en place en sourdine ? Pendant que tout le monde regarde de l’autre côté, on renvoie des innocents dans les mains de monstres ? Le Soudan, mais après ? Irak, Syrie, Afghanistan… Que deviennent les migrants dont personne ne veut et qui n’ont plus nulle part où aller ?

La situation des migrants ce n’est pas qu’un problème logistique ou administratif. Il n’est pas seulement question de ce qu’ils peuvent faire ou pas dans Calais, il est question de leurs droits fondamentaux qui sont balayés sous le tapis parce que ça encombre, parce qu’il faut bien se débarrasser d’eux. On en fait des ombres, on les soumet à l’apartheid, et finalement, une fois totalement criminalisés, déshumanisés, tout le monde fermera les yeux sur leur mort certaine.

C’est à ça que mènent toutes les petites décisions individuelles ou collectives qui contribuent à faire des migrants des personnes sans droits, sans existence, des moins qu’humains.

Je refuse de contribuer à cette odieuse mascarade.  Nous avons tous le devoir de dénoncer l’aberration de ce qui se pratique sous nos yeux. A défaut de pouvoir faire mieux, nous avons le devoir de nous indigner et de faire savoir que nous n’acceptons pas cette ségrégation, que nous n’acceptons pas qu’on renvoie chez eux des gens qui sont condamnés à mort, que nous n’acceptons pas qu’une différence soit faite entre un être humain et un autre. Nous avons le devoir de dire NON et de proposer des alternatives.

Il existe des alternatives, elles passent par de la négociation, des ententes, de la bonne volonté. Il y a des lois à modifier (Dublin), il faut modifier le traité du Touquet, il faut mettre en place des blocs sanitaires et des camps d’accueil humanitaire d’urgence sur la région du calaisis car l’hiver arrive et ce sera une catastrophe… Il faut agir maintenant, fermer des portes et dresser des murs ne résoudra rien, au contraire…

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