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Billet de blog 15 septembre 2014

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le regard qu’on porte sur les gens est souvent induit par un contexte, un a priori, une éducation, une expérience.  On dit que « l’habit ne fait pas le moine », on dit aussi que « l’on est reçu selon l’habit, reconduit selon l’esprit ».

Et pour les migrants ? Les regarde-t-on  avec un a priori ? Lequel ?

Je dénonce régulièrement la stigmatisation dont les migrants sont l’objet. Parce que je pense que sans cette stigmatisation, la situation à Calais serait différente.

Je pense que cette stigmatisation  est une manœuvre qui permet de noyer le poisson : montrer les migrants du doigt et en faire les responsables de tout ce qui va mal est pratique, confortable. Pendant que l’on parle des migrants, que ce soit pour les accuser ou les défendre, on ne parle pas de la situation économique de la ville, des emplois qui ont été promis pendant la campagne municipale...

A Calais, on dit que les migrants sont sales. Pourtant à Calais, on ne met que 5 cabines de douche à leur disposition. Mais oups, depuis que les locaux du secours catholique ont été réquisitionnés pour héberger les femmes et les enfants de l’ancien squat Hugo, l’usage des douches est devenu compromis !  Mais les migrants sont sales, puisque « les gens le disent », et même que le préfet a dit qu’ils ont la gale… Du coup, des tas de personnes ont peur d’attraper des maladies en croisant un migrant… Une peur un peu bête, mais légitimée par des rumeurs, des déclarations fracassantes ou des petits faits divers qui passeraient inaperçus s’il ne s’agissait pas de migrants. Du coup, certains commerces ne veulent plus laisser entrer les migrants, car les clients ont peur des maladies…

A Calais, on dit que les migrants sont des pédophiles…  Ils regardent les enfants ! Oui, ils regardent les enfants comme un grand frère, un papa, regardent un/e enfant qui leur rappelle celui ou celle qu’ils ont laissé. Parce que oui, les migrants, avant d’être migrants, étaient des gens normaux, avec une vie, une famille, des enfants, des frères et des sœurs…  Mais un migrant n’a pas le droit d’être ému par un enfant. C’est comme ça.

Un jeune migrant n’a pas le droit de regarder une jeune fille. Sinon, les gens biens diront que c’est parce qu’il veut la violer. Pas qu’il la trouve jolie, et comme un jeune homme ordinaire aimerait la séduire ou simplement échanger quelques mots, non, un migrant viole. C’est comme ça.

Et puis, j’ai lu ce matin que de toute façon, « ils ont vécu la guerre, ils ont la guerre en eux », donc c’est comme ça, ils sont mauvais…

A Calais, on fait oublier que « migrants » ça ne veut rien dire, et que les êtres humains naissent libres et égaux en droit. A Calais, on préfère stigmatiser et encourager la haine plutôt que de la combattre.

Et il est là le vrai problème. Ce n’est pas la présence des migrants qui divise la population. C’est la stigmatisation.

A force de criminaliser les migrants, on fait peur aux gens. Les calaisiens, une partie en tous cas, ont peur d’être agressés, violés, battus… Ils ont peur d’un regard ! Un regard…

Quand on vous regarde avec mépris, sans même que vous vous en rendiez compte, vous rendez un regard agressif, interrogateur.  C’est humain.  Alors oui, parfois ils ont le regard agressif de ceux qui en ont marre d’être considérés comme de la merde uniquement parce qu’ils sont là et qu’il y a des gens que ça dérange.

Mais  qui stigmatise ?

Hier, la municipalité de Calais a encore fait fort… Monsieur Agius (premier adjoint), Monsieur GRENAT (adjoint délégué au finances et à l’entretien du patrimoine)  et Monsieur Mignonet (adjoint délégué à l’environnement et à la sécurité) ont été appelés d’urgence par le concierge de la Citadelle (lieu qui abrite des terrains de sports) et la police est, elle aussi, allée sur les lieux. Le motif de l’urgence ? Un match de foot…  Des migrants et des bénévoles jouaient au foot comme quasiment tous les dimanches depuis deux ans… Mais depuis hier, ils n’ont plus le droit de jouer au foot à cet endroit ! C’est défendu, il faut être licencié parait-il, pour pratiquer le sport dans cette structure… Et là, ça devient amusant… Je ne compte pas les calaisiens qui ont l’habitude d’aller, sans licence, jouer au foot, au tennis ou courir à cet endroit ! Depuis des années.  Mais hop, un claquement de doigts et ce temps là est révolu, des migrants quoi… Des migrants !

Un huissier de justice a été appelé sur les lieux pour constater ce que les élus et la police ont qualifié de « trouble à l’ordre public »…  Jouer au foot : trouble à l’ordre public.

Quand on sait que des saluts nazis et des propos incitants à la violence ont été proférés par des manifestants autorisés à s’installer devant la mairie une semaine avant, on est en droit de se demander à quoi joue la municipalité de Calais…

Calais irait mieux si on ne portait pas sur elle un regard de dégoût, de crainte ou de mépris.

Ce regard là, c’est la municipalité qui en est responsable. Car elle encourage la stigmatisation.  Elle continue de faire passer les migrants pour des délinquants. Quoi qu’ils fassent, c’est mal désormais.  Parce qu’ils sont migrants.

En appelant à dénoncer les squats il y presque un an de ça, Madame Bouchart a ouvert la boite de Pandore. Elle a laissé s’installer un climat pour le moins nauséabond, douteux, moche. Elle a permis à cette ultra droite de s’affirmer en apportant de l’eau à son moulin.

Non, la municipalité ne peut pas gérer toute seule la présence des migrants. Mais ce qu’elle peut gérer seule, c’est le regard qui est donné sur la situation. En montrant à la France entière que Calais se fout des vies humaines, que Calais préfère expulser sans ménagement plutôt que de secourir, que Calais laisse vivre des êtres humains dans la crasse sans accès à l’eau, sans toilettes, que Calais traite les migrants comme des parias à des fins électoralistes, que Calais ne sait pas vivre avec les autres…  En montrant cela, la municipalité a stigmatisé cette ville. On ne fait pas se relever une ville en lui infligeant honte et déshonneur.

Ce qui aurait permis de relever Calais, c’est de montrer au monde entier que c’est une ville qui a la capacité de s’adapter et de surmonter les difficultés avec intelligence. De montrer que l’accueil légendaire des gens du Nord/Pas-de-Calais existe aussi à Calais… Montrer que l’échange et le partage font de Calais une ville culturellement riche. Montrer qu’à Calais on vit bien avec les migrants, c’est montrer qu’on n’a pas peur d’y vivre, et donc donner envie aux investisseurs de s’y installer, aux touristes de s’y arrêter…  C’est comme ça qu’il fallait relever Calais !

Aujourd’hui, quand on parle de cette ville, c’est pour parler de misère… Celle des migrants, mais celle des calaisiens qui n’en peuvent plus de cette situation. Chômage, détresse, intolérance, et inhumanité : c’est tout ce que Calais peut offrir ?

Je sais que non ! Et d’autres, nombreux, comme moi savent tout le potentiel de cette ville.

Qu’on arrête de mentir au sujet des migrants. Non ils ne sont pas des saints, mais non, ils ne sont pas dangereux.  Il est temps de dire les choses, non il n’y a pas des centaines d’agressions à Calais à déplorer de la part de migrants ! La délinquance a baissé à Calais, comment prétendre que la présence des migrants fait exploser les chiffres de la délinquance quand justement ces chiffres sont en baisse ?

Ils mentent !

Quand la municipalité prétend que les migrants mettent à la rue une pauvre vieille dame malade !

Quand sauvons Calais raconte qu’un homme a été agressé sauvagement par des migrants, après vérification cette histoire est fausse, comme quasiment toutes celles qu’ils ont racontées !

Comment voulez-vous que les calaisiens se sentent en sécurité dans une ville où circule une population qui est dépeinte comme dangereuse ?

Mais heureusement, il y a les autres.  Les calaisiens qui ont de la mémoire, du cœur, des bras grands ouverts et des sourires qui réchauffent.  Ces calaisiens là ne sont pas moins nombreux, ils sont simplement plus discrets, plus pudiques. Ils ne se sentent pas obligés de se répandre en revendications. Ils agissent, auprès de tous ceux qui ont besoin d’aide, migrants ou pas.  Les calaisiens ont une culture riche de partages et d’échanges. Ils ne sont pas ces fanatiques qui lèvent le bras comme les chiens lèvent la patte.

Le regard qu’on porte sur les autres, est bien plus que des yeux qui se croisent.  Comme on regarde les gens, on les accueille (ou pas). Montrer du doigt un migrant en disant « il est sale », c’est facile. Aller serrer la main d’un migrant et le féliciter de savoir garder sa volonté dans les conditions dans lesquelles il vit, c’est plus dur.  Parce que c’est faire face à notre propre condition, à notre confort, à nos manques, à nos peurs aussi. Au fond de nous, on sait qu’on n’aimerait pas être à leur place, on ne voudrait pour rien au monde être celui qui a tout perdu et qui espère encore ; parce qu’on ne sait pas si on aurait le courage de tenir debout comme lui… Et finalement, ça nous dit qu’on a peur du regard des autres, parce que pour rien au monde on ne voudrait être celui qui est montré du doigt, jugé, malmené, celui que les autres préfèrent ne pas voir.

Quoiqu’il en soit, il est temps que la population calaisienne dans son ensemble prenne du recul  et ne se laisse plus embarquer dans des caricatures aussi dangereuses que ridicules. Non, je ne détiens pas la vérité universelle. Et non, personne n’est obligé de me lire ou de me suivre dans mes idées. La seule chose que j’aimerais, c’est que chacun se forge une opinion en connaissance de cause, avec ses yeux, sa sensibilité, sa conscience et pas avec les mots de Pierre, Paul ou Jacques, l’illustre cousin de l’ami du voisin de machin qui « a entendu qu’il paraît que » …

Et aussi, qu’on arrête de se cacher derrière l’argument « mais qui va payer »… L’argent dépensé à harceler, arrêter, déplacer, détruire (les camps, les squats), murer, poser des grilles, … Cet argent là est directement pioché dans les poches du contribuable calaisien ! Une assistance humanitaire  obligerait Bruxelles à mettre la main à la poche  et du coup l’Europe serait bien obligée de regarder vers Calais !

L’avenir de Calais n’est pas dans le déni ou le mépris… La stigmatisation ne mène que vers la douleur.

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