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Billet de blog 16 mai 2018

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Loi contre les violences sexuelles : juste un coup de communication.

Alors que nous étions des milliers à attendre un texte de loi qui serait une avancée spectaculaire dans la lutte contre les violences sexuelles commises sur des enfants, contre l'inceste, nous voilà avec une loi votée par une poignée de députés, vide de sens. Un coup de communication, rien de la promesse du gouvernement.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Durant la campagne des présidentielles, les représentants du mouvement En Marche avaient refusé de signer ma pétition contre le délai de prescription ici . Dès lors que Mr Macron a été élu, j’ai su que ce ne serait pas sous son mandat que les actes criminels sur mineurs seraient enfin considérés tels qu’ils sont : des actes de torture et de barbarie.

Illustration 1

Puis, est arrivée le mouvement #MeToo, et ce que l’on a qualifié de « libération de la parole des femmes ». Et là j’ai pensé : c’est bien… Mais la libération de la parole des victimes d’agressions sexuelles devrait concerner TOUTES  les violences, y compris et surtout celles faites aux enfants puisque ce sont les premières victimes d’agressions sexuelles… Les enfants dont un 30% de garçons. Et puis des hommes sont violés aussi… Donc pourquoi la libération de la parole des femmes ? …

Les personnes que j’ai interpellées sur le sujet m’ont répondu que c’était un début.  Et que c’était bien.  Alors le #MeToo a bien fonctionné. Alors que quelques mois auparavant je proposais le #MoiAussi #StopPrescription très peu repris, et dont les médias et assos ne se sont pas emparées.

Un début. M’a-ton dit. Alors j’ai continué de militer, et j’ai attendu la suite. J’ai écrit à tous les députés (577) et j’ai eu 7 réponses. Pas tellement mieux du côté des sénateurs.

Puis Mme Schiappa a annoncé qu’elle proposerait une super loi sur les violences sexuelles et qu’enfin aucun enfant violé ne pourrait plus jamais être considéré comme étant consentant. Il était question d’allonger le délai de prescription. Alors j’ai écrit au cabinet de Mme Schiappa. Je n’ai jamais eu de réponse. J’ai tenté d’appeler, attente puis coupure de communication… J’ai fini par laisser tomber.

La députée Nathalie Avy-Elimas m’avait proposé de participer à son groupe de travail, alors j’ai préféré collaborer à son travail, afin de pouvoir faire valoir les signatures de la pétition. Mme Avy-Elimas a vraiment fait en sorte de prendre en considération tous les aspects du problème, du délai de prescription, de la mémoire traumatique, des conséquences sur la santé des victimes, de la prévention, de l’importance que ces actes soient signalés lorsqu’ils sont constatés par un professionnel de santé, de l’importance de prendre en considération les caractéristiques de l’inceste…

Entre temps, j’ai vu s’agiter des personnalités plus ou moins publiques, soutenant indéfectiblement Mme Schiappa qui allait à coup sûr proposer LA loi, réponse à tous les  aspects des violences sexuelles. Je me disais que ça sentait mauvais. Un pressentiment.  Toutes ces personnalités avaient un livre, un film, un produit à vendre, et aucune ne parlait des pétitions qui réunissent pourtant des milliers de signatures. Aucune de ces personnalités n’a jamais parlé devant un quelconque média de la pétition contre le délai de prescription, malgré un soi-disant soutien apporté dans des échanges par mails ou MP… Je crois que ça aurait aidé un peu de médiatisation : 187 000 signatures sans soutien médiatique, avec un soutien, la pétition aurait dépassé les 500 000. Mais personne. Aucune des personnalités politiques ou « people » que j’ai interpellées n’ont répondu ou alors frileusement un « c’est très bien ce que vous faites »… Je m’en fiche qu’on me dise que c’est bien, si c’est bien alors qu’on le fasse avec moi.

Et nous voilà donc, 14 et 15 mai 2018. Les dates tant attendues pour savoir comment sera construite la loi, ce qu’elle permettra, ce qu’elle réserve aux victimes mineures et aux survivant-es.

Résultat, une loi comme joli sac de courses où l’on a jeté en vrac le harcèlement de rue,  le Cyber harcèlement, les violences sexuelles sur adultes et sur mineurs. Bon.

J’ai entendu des propositions d’amendements venant des différents groupes qui allaient dans le bon sens, puisque le texte de loi lui était maladroit, mauvais. Tous ces amendements ont été systématiquement rejetés, alors qu’ils étaient construits, argumentés et surtout justifiés. Rejetés avec de faux arguments, avec un mépris considérable, pour le principe de rejeter tout ce qui venait de l’opposition.

Et j’ai pensé : on se plaignait de Valls et son air fermé, son autoritarisme insupportable et son mépris, et là on nous enfume : ce sont deux femmes, plutôt jolies et souriantes (quand elles ne surjouent pas l’indignation et la colère) qui nous imposent un autoritarisme primaire, avec mépris et dédain. Mais des femmes pour « défendre les victimes de violences sexuelles », niveau coup de communication, ça le fait… Deux femmes ne peuvent que comprendre les victimes, pas vrai ?

Non. Elles n’ont rien compris. Mme Schiappa répète plusieurs fois « la défense des femmes et des petites filles », mais non quoi, là on demande une loi contre les violences sexuelles ! Et ça inclus des victimes masculines ! Déjà, ça part mal. Ce n’était pas supposé être une loi féministe ! C’est quoi ce délire ? Cette posture ? Et puis brandir le « rapport  Flavie Flament » comme argument comme si c’était la référence : mais pourquoi ne pas avoir brandi les travaux du docteur Salmona ? Pourquoi ne pas avoir brandi les études de l’Association Internationale des Victimes d’Inceste ? Le nom de Flavie Flament suffirait-il à justifier un délai de 30 ans plutôt que l’imprescriptibilité ? C’est une action de communication ou une loi ?

Ces deux femmes donc, crient au scandale, jouent l’indignation estimant que les personnes qui manifestent ou signent contre ce texte de loi font de la manipulation, de la désinformation, pire, elles osent dire que les personnes qui dénoncent ce texte encouragent les agresseurs… Et là, j’avoue, j’ai eu une sale envie de vomir. Parce que justement, les personnes qui dénoncent ce texte sont essentiellement des victimes, des survivant-es.  Colère. 

Heureusement que des personnes justes et clairvoyantes ont manifesté devant l’Assemblée Nationale ! Des associations comme AIVI ont fait un travail de titan pour mobiliser, et tant mieux ! Et prétendre que cette association  comme le Groupe F ou toutes les personnes qui s’indignent ne savent pas lire ou font dans le fake news, c’est vraiment pathétique et écœurant…

Finalement, malgré la mobilisation de plusieurs députés de différents groupes, tous d’accord pour dire que ce texte de loi pose un problème, la loi a été votée.

Certain-es se réjouissent de l’allongement du délai de prescription porté à 30 ans à partir de la majorité.  C’est bien. Mais c’est insuffisant. Je ne m’en réjouis pas parce que ce n’est pas un signal fort, c’est un acte de charité qui laisse des milliers de survivant-es sur le carreau (et je n’en fais pas partie, j’ai 46 ans, je pourrais  donc porter plainte si mon beau-père était toujours en vie). Je connais des victimes qui ont à peine plus de 48 ans qui sont aujourd’hui dans un état de nerfs terrible. On les nie une fois encore.  Oui, l’imprescriptibilité est possible, et ça ne dévaluerait pas les Crimes contre l’Humanité, pourquoi vouloir opposer des victimes, des drames d’une violence si barbare, qui nient l’humanité d’adultes ou d’enfants ? Pourquoi ne pas reconnaître que le fait de violer un enfant est un acte abominable qui mérite d’être classé dans les pires que puisse connaître la société ? Lâcheté, hypocrisie. Voilà ce que tout ça m’inspire.  

Certain-es se réjouissent de l’article 2 qui selon eux, renforcerait les condamnations des viols sur mineurs. Mais c’est faux et l’avenir le démontrera, cet article va seulement permettre une correctionnalisation massive des viols. Désormais, les juges ont un outil pour dire qu’un viol est à la fois caractérisé  par l’âge du mineur (15 ans, vulnérabilité qui ne permet pas la compréhension, tout ça), et qualifiable d’atteinte sexuelle avec pénétration « quand il n’y a pas eu violence » (propos de la rapporteure Alexandra Louis)…  C'est-à-dire  une chose et son contraire.

Mais c’est quoi la violence ? Une pénétration sexuelle sur un enfant ce n’est pas une violence en soi ? Il faut vraiment que le môme soit passé à tabac en plus d’être violé et humilié ? Cette loi laisse à l’enfant la charge de démontrer qu’il a bien été violé, partant du principe donc qu’il est possible qu’un enfant ait consenti à son propre viol… Pas de présomption de non consentement comme ça existe dans plusieurs pays.  Je ne me réjouis pas de cet article, je continue de le dénoncer et j’ai peur pour les enfants, parce que cette loi les sexualise, or, un enfant ne sait pas ce qu’est le sexe, il ne connaît pas les conséquences d’un acte sexuel, il n’imagine même pas. Le sexe est toujours du côté de l’adulte agresseur, pas de l’enfant. L’enfant subit seulement un acte de torture qu’il ne sait même pas analyser !

Enfin, je suis écœurée : une petite centaine de députés présents au début des débats, l’allongement du délai de prescription est voté 55 voix contre, 35 pour. L’article 2 est voté 81 voix contre 68… Où étaient les autres députés ? Plus de 400 absents sur un sujet aussi grave que les violences sexuelles sur mineurs ! Alors quoi, ça ne valait pas le déplacement ? Ils s’en lavent les mains ?

Nous nous en souviendrons. Désormais, nous savons qui se préoccupe réellement de lutter contre les violences sexuelles sur mineurs. Le gouvernement n’en fait pas partie.

Quand à la loi sur le harcèlement de rue, c’est de la poudre de perlimpimpin : comment, en pratique lutter contre ce phénomène ? Un agent de police en civil tous les 10 mètres pour constater les infractions ?

Le Cyber harcèlement sexuel ou sexiste aurait dû faire l’objet d’une loi spécifique, parce que le fait d’être harcelé sexuellement sur internet entre dans le cadre du Cyber harcèlement  (pour lequel il existe justement un projet de loi !), simplement, et que même si c’est d’une violence terrible (je l’ai subie moi-même, jusqu’aux menaces de viol), ça n’a rien à voir avec le fait d’être réellement violé-e, encore moins avec le fait d’être inces-tué-e, ça se passe via écran interposé et on a encore la possibilité de bloquer les harceleurs, de les signaler, de faire des captures d’écran…

J’ose donc dire que cette loi est un ramassis d’incompétence et de déni, que c’est une loi pour rien. Un coup de communication...

Aujourd’hui, je suis en colère. Comme des milliers de personnes qui attendaient mieux. Je digère… Et je me prépare à continuer ce combat, comme le font d’autres personnes depuis des années. Il semble que le gouvernement français ait décidé de faire de la France un pays d’arriérés régi par des lois basées sur des décisions datant de 1808, 1810 ou moins pire 1964… Pourtant il paraît qu’on est en 2018 et En Marche. 

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