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Billet de blog 17 août 2014

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Les raisons de la colère.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quelques semaines on assiste à des phénomènes de violence qui effraient, inquiètent, ou entrainent  eux-mêmes une autre forme de violence… Et c’est un cercle vicieux.

Les migrants, ces êtres humains de passage chez nous sont de plus en plus nombreux.  Les raisons en sont simples : leurs pays vont mal.  Ils sont issus de ces endroits où la guerre, la dictature ou d’autres drames humains règnent, laissant de côté les plus simples valeurs de respect de la vie humaine.

Ils sont là, par centaines, et l’accueil qui leur est fait les incite à vouloir partir encore plus vite. Ils sont venus pour tenter leur chance en Angleterre, pas pour s’installer à Calais.

Que leur offre-t-on à Calais d’ailleurs ? Quelles sont ces fameuses aides qui selon certains incitent les migrants à venir chez nous ? Des terrains pollués, des squats insalubres, des contrôles policiers répétitifs et violents, des conditions d’hygiène loin du minimum décent, un unique repas par jour distribué par les associations, pas d’accès à l’eau…  Puis des expulsions, des déportations, des destructions d’effets personnels…  Quand à l’accueil des calaisiens eux-mêmes… Si les calaisiens sont très nombreux à se démener pour tenter d’apporter un minimum de confort aux migrants, d’autres se font un devoir de les traiter comme des merdes, de regards accusateurs en insultes, de crachats en bousculades, certains calaisiens se sentent le droit de juger, de condamner.

Les migrants cherchent donc à passer en Angleterre, vite, très vite, peu importe le prix à payer. Mais on ne parle pas d’argent là… On parle de Vie. Des Vies qui tombent régulièrement, les morts s’accumulent, parmi ces morts, des gamins… Il faut passer. Ou crever. Mais pas vivre comme des bêtes.

Il y a eu des émeutes, des bagarres.  Parce que justement ils sont trop nombreux et que les lieux de passages sont débordés.  Alors c’est la loi du plus fort.  Et parfois, forcément, ça éclate…  Mais n’importe quel être humain vivant dans ces conditions se révolterait ! N’importe qui se battrait pour survivre. Il faudrait s’en souvenir avant de porter un jugement.  Ce n’est pas excuser la violence que de faire l’effort de la comprendre. Mais la comprendre permettrait d’y remédier, de l’anticiper, de l’éviter.

Les migrants sont à bout de nerfs.  Il leur reste une cinquantaine de kilomètres à parcourir pour arriver à leur but. Ils n’ont plus rien à perdre, leur dignité a déjà été bafouée au moment où ils sont arrivés à Calais.

Mais c’est évident non ? Ils ont envie de fuir Calais au plus vite. Ne pas rester dans cette ville de France qui leur rappelle douloureusement qu’ils ont tout perdu, y compris leur condition d’Être Humain.  On les traite en coupables, on les accuse de tous les maux, on les harcèle, on les brutalise, on les réduit à des conditions de vie que nous ne supporterions pas pour nos animaux domestiques… 

Et puis… Des calaisiens bien pensants et sans doute en mal de sensations  s’adonnent à l’espionnage du quotidien des migrants. Ils dénoncent leurs agissements odieux : un migrant a osé se laver les mains à la plage, devant un enfant blanc.  Oui, ça va jusque là, jusqu’à ce niveau de haine, de mépris, de ridicule aussi… Quand ils se lavent, on les accuse de se laver, quand ils ne le font pas on les accuse d’être sales.  On les accuse, tout le temps, de tout et n’importe quoi, mais on les accuse, on les criminalise.  Ceux qui agissent de cette manière,  le font pour justifier leur haine autant que leur existence de pseudos sauveurs d’une ville qu’ils ne respectent pas eux-mêmes (il suffit de sortir un samedi soir pour voir cette jeunesse calaisienne pisser sur les trottoirs ou balancer leurs canettes vides n’importe où…).  Ils accusent les étrangers de ne pas les respecter, oubliant qu’ils ne sont pas respectables. Car le racisme est un délit, pas une opinion, un raciste est un délinquant. Le racisme n’est pas respectable. 

Car c’est de ça qu’il s’agit. De racisme primaire, brut, moche, bête et méchant.

Durant des mois, j’ai discuté avec des personnes que les migrants effraient.  Certains cherchaient vraiment à comprendre les raisons de leur présence, leur objectif, leur quotidien.  Ceux-là changeaient souvent d’avis une fois tous les paramètres pris en compte. D’autres ne parvenaient pas à réaliser le drame humain, mais pour autant ne manifestaient pas de haine.

Mais de nombreuses personnes n’hésitent pas à utiliser des expressions violentes pour parler des migrants et des solutions à mettre en œuvre pour se débarrasser d’eux…

Exemples de violence verbale (je ne corrige pas, désolée si ça pique les yeux) :

« Casser du bougnoul voilà notre destin. Massacrer tous c’est crouille et leurs famille de youpins. Voler c’est arabes c’est etre inférieur. Gazé tout ces négros qui empeste la sueur »

« Des singes à mettre en cage ou à piquer au choix !!! »

« Putin tjs les même il faut les abattre comme des chien kil sont »

Ces mots là sont des mots racistes.  On ne peut pas discuter avec des gens dont les propos sont aussi immondes.

On peut comprendre le ras-le-bol.  Les calaisiens en ont marre de voir cette misère dans les rues.

On peut comprendre ceux qui craignent les différences de culture, de couleur même.

On peut comprendre la peur des bagarres, des tensions…

Parce que c’est humain. Avoir peur c’est humain. C’est dans la nature humaine d’être réticente devant la différence.

Mais on ne peut pas comprendre cette haine aussi violente qu’injustifiée. Car c’est cette haine qui entretient la peur. Cette haine qui véhicule des rumeurs, des mensonges.

Une haine qui fait passer les migrants pour des violeurs, des assassins, des voleurs…  Une haine qui encourage la haine.  Cette haine est condamnable, surtout quand elle met des personnes en danger.

Les migrants ne sont pas un fléau. Ils ne sont pas des animaux sauvages. Ils ne sont pas des porteurs de maladies incurables. Ils ne sont pas des criminels. Ils sont des êtres humains qui cherchent à vivre mieux.  Ce sont les conditions dans lesquelles on les oblige à vivre chez nous qui les poussent à bout et les contraignent à mettre leur vie en danger.

Si les migrants étaient ces dangereux criminels que certains aiment dépeindre, Calais serait à feu et à sang : 1500 migrants en colère et qui plus est criminels seraient parfaitement capables de retourner la ville : ce n’est jamais arrivé. Qu’on arrête de les traiter comme des parias…

Quand à ceux qui crient qu’on doit arrêter de leur promettre l’Eldorado : on ne leur promet rien, bien au contraire… Mais mettez-vous à la place de ceux qui ont parcouru des milliers de kilomètres et à qui il reste 50 kilomètres à parcourir… Si on vous disait de repartir en arrière, le feriez-vous ?

Non, pour nous ce n’est pas l’Eldorado, c’est certain. Mais quand on a fuit la guerre, la mort, bosser au noir en Angleterre, pouvoir avoir un toit, se laver, manger, vivre normalement même pauvrement : c’est l’Eldorado…

Calais ne changera pas de position géographique.  Alors pendant qu’ils sont à Calais, il serait bon de traiter dignement les migrants au lieu de les traiter comme des cafards.  Parce que les barbares, les sauvages, ce ne sont pas les migrants : ce sont ceux qui les traitent comme des nuisibles en oubliant que « migrant » est un mot générique pour qualifier des enfants, des femmes, des hommes qui ne font que passer.

La colère à Calais est fabriquée et entretenue par ceux qui en tirent profit. Le profit est politique, il est calculé pour attirer des voix vers les extrêmes.  De jeunes coqs écervelés mais ambitieux se délectent de la détresse pour grimper les échelons de la hiérarchie FN. La mégalomanie les gonfle d’orgueil et ils se sentent pousser des ailes…

Le pire, c’est qu’il y a des braves gens un peu paumés qui suivent le mouvement, ignorant qu’ils suivent des monstres.  Ignorant que les valeurs de ces gamins sont basées sur les pires préceptes du régime nazi…

Mais cette fois, personne ne pourra dire « on ne savait pas ».

Le 28 juillet, j’ai subi une tentative d’enlèvement.  Aujourd’hui les hématomes commencent à se résorber.  Le souvenir reste, violent, nauséabond, choquant. Mes agresseurs étaient clairs : « salope, pute à migrants », ou encore « va baiser tes négros ». J'ai eu de la chance, une voiture qui arrivait, des passants... La prochaine victime aura-t-elle autant de chance ou finira-t-elle tabassée et abandonnée entre la vie et la mort dans un caddie de supermarché comme ce jeune ROM enlevé et torturé ? On en est là alors ?  Les insultes ne suffisent plus, il faut agir ?

On a dénombré  9 agressions sur quelques semaines. Les soutiens aux migrants sont désormais en danger.  Certains extrémistes parlent de bruler les domiciles des soutiens, des bénévoles… 

Les gamins aux sourires sympas qui se prennent en photo avec leur IPhone et qui jouent au héros sauveurs de villes sont des dangers. Parce que seuls, ils ne sont que des branleurs attardés en mal de reconnaissance. Mais à plusieurs, ils sont une armée de crétins, asservis à la cause de la haine. 

Ne fermez pas les yeux sur cette jeunesse en mal de reconnaissance, ils sont les bourreaux de demain.

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