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Billet de blog 19 juillet 2014

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Lettre ouverte à Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’Etat chargé des relations avec le parlement.

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         Monsieur,

Le 17 juillet vous avez fait réponse à madame Marie-Christine Blandin au sujet de la situation des  migrants à Calais lors des questions au gouvernement.

Votre réponse m’effraie monsieur Le Guen, car j’ai le sentiment que vous ignorez les faits et que votre réponse n’est faite que d’arguments administratifs qui sont très loin de la réalité. Vivant  à Calais responsable et porte-parole du collectif citoyen Calais, Ouverture & Humanité je connais de près la question des migrants à Calais. Je vais donc me permettre de vous éclairer, car je préfère penser que vous êtes de bonne foi et que vous ne savez pas…

Vous dites que la présence des migrants à Calais n’est pas une nouveauté. C’est vrai, et je souhaite attirer votre attention sur le fait que justement, cette situation est tellement vieille qu’il aurait été judicieux de tirer des leçons des expériences désastreuses vécues ces dernières années au fil des gouvernements successifs. Or, à ce jour la situation est très loin d’avoir évolué en mieux. C’est intolérable !

Vous dites que depuis 2013 le centre ville de Calais a été sécurisé. Vous ignorez donc que suite à l’appel à dénoncer les squats de Madame Bouchart, un groupuscule extrémiste qui répond au nom de Sauvons Calais organise des milices de surveillance. Que ce groupuscule a assiégé une maison squattée à Coulogne (proche de Calais). Que lors de ce siège, des jets de pierres ont détruit la toiture de la maison alors même que des personnes étaient à l’intérieur. Qu’il y a également eu des jets de cocktails Molotov, des menaces de viol et de mort à l’encontre des habitants. Tout ça sous le regard passif des forces de l’ordre présentes sur place. Aucun des instigateurs de ce siège qui a duré une semaine n’a jamais été inquiété. Il y a quelques semaines, un jeune homme a tiré à l’aide d’une carabine à plombs sur deux migrants, les blessant certes légèrement, mais tout de même… Sécurisée la ville de Calais ? Peut-être pas pour tout le monde, je subis moi-même des insultes et des menaces de la part de ceux qui se proclament « anti migrants ». Mais monsieur Le Guen, la sécurisation de Calais était-elle la priorité dans la gestion de la présence des migrants ? J’en doute.  Il n’y a que très peu de délits du fait des migrants observés dans notre ville. Dire le contraire c’est exagérer en prenant le risque de stigmatiser.

Vous parlez d’actions de soutien humanitaires, menées dans notre ville avec notamment « la mise en place d’accès à des douches et la distribution de repas ».  En réalité, les installations dont vous parlez sont :

  • 5 cabines de douche, dont le fonctionnement est géré par le Secours Catholique. Très insuffisantes au regard du nombre de personnes à Calais. Ces douches se trouvent à l’opposé de l’aire de distribution des repas, ce qui contraint les migrants à traverser la ville, à pieds, étant de ce fait considérés comme « déambulants » à longueur de temps par une partie de la population calaisienne.

  • Une aire de distribution de repas : deux rangées de tôles (bien trop étroites pour réellement protéger de la pluie) sur un parking fermé avec deux bungalows en préfabriqué pour entreposer du matériel. De simples tablettes ont été installées (il y a un an) entre les poutres pour pouvoir manger debout, mais ça ne suffit pas étant donné le nombre de personnes. Les migrants sont donc contraints de manger assis sur le bitume, par temps de pluie le repas devient un véritable défi. Un seul et unique repas est distribué par jour par les associations.

  • 3 WC « de chantier », posés près de l’aire de distribution de repas. Même avec une population migrante qui n’excèderait pas 150 personnes (nous sommes actuellement autour de 1000 personnes), ces 3 toilettes  ne correspondent pas aux normes mondiales de l’aide humanitaire qui exigent 1 toilette pour 20 personnes. Cette installation ne répond donc pas aux besoins, l’insalubrité s’installe très rapidement et contraint les migrants à se soulager où ils le peuvent, attirant sur eux les foudres d’une partie de la population qui estime qu’ils sont simplement sales et irrespectueux…

Vous parlez également du fait que la situation est aggravée depuis quelques semaines du fait de l’arrivée de nombreuses personnes issues de la corne d’Afrique. En réalité, ce sont les conditions de survie aussi déplorables qu’inhumaines qui aggravent la situation…

C’est donc pourquoi je souhaite aborder le sujet des expulsions et destructions de camps qui ont eu lieu depuis le 28 mais dernier…

En réalité, la gale n’a été qu’un prétexte pour mettre en place une expulsion et une destruction systématique des effets personnels. Car la gale, monsieur Le Guen, n’a pas été soignée… Comment aurait-elle pu être soignée sans qu’aucune anticipation, aucune concertation avec les associations n’aient eu lieu ? Non, les migrants n’ont pas été soignés… Moins de 50 d’entre eux ont pris un unique comprimé et ils ne sont pas allés aux douches où ils étaient invités car ils avaient peur, ils ignoraient où ils seraient emmenés après les douches. Ils ont assistés impuissants et désespérés à la destruction de leurs abris et de leurs affaires. Mais cette épidémie, plus personne n’en a parlé au lendemain de cette destruction de camp. Aurait-elle simplement disparu, comme par magie ? Existait-elle vraiment cette épidémie ? On est en droit de se poser la question…

Quoiqu’il en soit, les migrants s’étaient réfugiés sur l’aire de distribution des repas… D’où ils ont été délogés violemment (et je peux en témoigner, j’y étais ainsi que de nombreux citoyens français) le 2 juillet. Oui, le préfet Denis Robin a fini, après des semaines de mépris, par reprendre la communication en proposant le 18 juin dernier des mesures exceptionnelles qui consistaient à proposer une accélération des démarches de demandes d’asile et la promesse que tous les demandeurs seraient hébergés…

En réalité, sur une centaine de demandeurs d’asile, la moitié a été logée. Il y avait d’ailleurs déjà des demandeurs d’asile présents sur le camp, car il n’existait pas de place en hébergement, ni à Calais ni ailleurs. Aujourd’hui, de nombreux demandeurs d’asile vivent dehors.

Les arrestations qui ont eu lieu le 2 juillet dernier (610 arrestations) n’ont mené à rien. Beaucoup de migrants étaient libérés le soir même à partir de 19h30… D’autres sont revenus dès le lendemain de lieux divers comme Paris, Arras, Lille… A leur retour, la situation était tout simplement pire qu’avant : plus d’endroit où se poser, plus de tentes, de couvertures. Le matériel avait été détruit lors de l’expulsion (on se demande pourquoi).

Vous dites que les mineurs ont systématiquement été hébergés ! Je doute fort monsieur que vous connaissiez le nombre de mineurs vivant à Calais dans les jungles ou dans la rue ! Sauriez-vous seulement dire combien de mineurs ont été emmenés en bus le 2 juillet et hébergés ? Pour information, sur les 71 mineurs qui devaient être hébergés au centre de Condette la moitié avait quitté les lieux le soir même, le lendemain à 15h, ils étaient tous partis. Ils sont à présent dans les jungles calaisiennes, dans une situation encore plus précaire et dangereuse qu’avant l’expulsion… Il me semble important de vous préciser que les centres où ont été envoyés ces mineurs n’étaient pas adaptés à une telle population qui nécessite un encadrement spécifique. Vous imaginez bien que les raisons pour lesquelles ils ont fuit leur pays et les conditions dans lesquelles ils ont voyagé laissent des séquelles physiques parfois ou psychologiques souvent. Les confier à des animateurs qui ne possédaient pas les compétences indispensables et ne maîtrisaient pas forcément l’anglais (minimum pour communiquer avec les migrants en général) était voué à l’échec…

Le bilan de ces expulsions est catastrophique, pour tout le monde, migrants, citoyens…

Les migrants sont épuisés, désabusés, et prêts à tout pour tenter de passer en Angleterre. Oui, ils veulent passer. Mais beaucoup pourraient choisir de rester en France ou demander asile dans un autre pays d’Europe s’ils en avaient la possibilité et s’ils étaient traités humainement !

Vous dites que l'État a « pris ses responsabilités avec l’accord des élus locaux concernés »… Quelles responsabilités, monsieur Le Guen ont-elles été prises ?

Le fait de mettre des gens dans la rue qu’ils soient hommes, femmes (parfois enceintes) et enfants en ne leur offrant rien d’autre que du harcèlement policier et une absence totale du respect de leurs droits fondamentaux représente-t-il une forme de responsabilité ?

Les élus locaux ? Parlons-en monsieur Le Guen ! Des personnes qui font le jeu du Front National tant par leurs méthodes de communication que leur dernier arrêté discriminatoire ? Des personnes qui n’hésitent pas à rejeter systématiquement les responsabilités de leur incapacité à gérer la situation sur les autres : état, No Border, bénévoles d’associations,  certains citoyens… Je vous invite à lire le journal Nord Littoral du 17 juillet dernier… C’est édifiant. Madame Bouchart nous offre là une magnifique démonstration de son déni ! Allez-vous cautionner par vos propos en décalage total avec la réalité les agissements d’une municipalité méprisante ?

Vous dites que la pire des solutions serait d’assurer un hébergement inconditionnel qui pourrait constituer un point de convergence pour toutes les filières de l’immigration clandestine. Vous donnez pour exemple Sangatte… Mais monsieur Le Guen, la pire des solutions, en réalité, c’est de laisser des êtres humains à la rue, par tous les temps. C’est de les stigmatiser, les criminaliser. C’est de ne concevoir la situation que sous son aspect administratif. C’est nier un fait simple mais bien réel : la situation géographique de Calais ne changera pas. Les migrants passeront toujours par Calais. Il est donc indispensable de mettre en place des structures d’accueil qui répondent aux normes humanitaires et qui permettent aux populations migrantes de vivre dans la dignité le temps de leur présence en France, soit-elle illégale. D’ailleurs, comment pouvez-vous ne retenir que le fait que cette présence est illégale ?  Les motifs de leur présence chez nous sont connus, voulez-vous nier que ces gens n’ont pas eu d’autre choix pour survivre que de partir de chez eux ? Sangatte, pire que tout ? L’expérience Sangatte a montré que ce n’était pas parfait. Mais depuis, rien n’a été fait ! Résultat, aujourd’hui environ 1000 migrants sont à Calais, et RIEN n’est mis en place pour gérer cette situation d’urgence humanitaire ! Rien ! Alors le pire est là monsieur Le Guen : ce rien qui contraint à vivre dans des jungles insalubres et dangereuses où s’installent les mafias. Ce rien qui contraint des migrants à s’abriter dans des squats s’attirant les foudres de madame Bouchart et d’une partie de calaisiens intolérants. Oui le squat est illégal, il est malheureusement devenu légitime à Calais, en étant le seul et unique moyen pour des centaines de personnes de se mettre à l’abri du vent, de la pluie, des prédateurs mafieux et des milices fascisantes !

Vous parlez des cinq mesures qui doivent être appliquées :

1/ La lutte contre les filières d’immigration clandestine. Formidable ! Je suggère que notre Président de la République se mette au travail et lutte directement dans les pays d’origines pour y rétablir la démocratie ! En attendant, cette première mesure est utopique. Peut-être souhaitez-vous, comme le suggère Marine Le Pen, fermer à nouveau les frontières de l’Europe ? J’en doute… Du coup, cette lutte est impossible tant que les migrants sont livrés à eux-mêmes.

2/Une réponse immédiate aux situations d’urgences humanitaires et sanitaires. Nous sommes d’accord ! Et la première urgence est de mettre ces personnes à l’abri et de leur donner accès à l’eau et à des sanitaires dignes de ce nom ! Nous n’attendons que vous pour décider madame Bouchart à accepter un tel concept…

3/Une sécurisation de Calais et de son port afin d’éviter les drames humains… Soit, sécurisez également les migrants qui vivent encore en 2014, et malgré le rapport du défenseur des droits en 2012, des violences policières et du harcèlement quotidien. Les drames humains existent parce que ces personnes n’ont plus rien à perdre. Parce qu’on les traite comme on n’oserait pas traiter des animaux. Ils risquent leur vie parce que la vie qu’on leur impose ne vaut rien !

4/Le respect des décisions de justice… A ce sujet j’aimerais que vous m’expliquiez comment la sénatrice maire Natacha Bouchart peut faire expulser des squats sans décision de justice lorsque le délai légal de 48h est largement dépassé…  Une sénatrice maire ne doit-elle pas donner l’exemple en matière de respect de la loi ? Je vous suggère de vous pencher sur la question…

5/La mise en place de solutions d’hébergement et d’asile. Il serait temps ! Mais il me semble que monsieur Valls que j’ai rencontré lors de sa venue à Calais en décembre dernier avait validé l’idée des maisons de migrants proposée par les associations… Les associations ont travaillé des semaines durant afin de proposer au Directeur Départemental de la Cohésion Sociale, monsieur Serge Szarzynski,  un cahier des charges pour ce projet. Monsieur Szarzynski après l’avoir validé sans rien avoir à y changer l’a présenté au Préfet Denis Robin qui l’a lui-même validé. Ce cahier des charges devait être présenté à la DIHAL. Qu’en est-il aujourd’hui ? Pourquoi les mois passent-ils sans que des mesures concrètes et cohérentes soient enfin prises pour avancer ?

Monsieur Le Guen, j’espère que vous étiez de bonne foi lorsque vous avez répondu à madame Blandin. J’espère que mon courrier vous permettra d’avoir une vision plus réaliste de la situation des migrants à Calais.  Dans le cas contraire, j’avoue que j’ai peur de ce qui pourrait advenir de cette ville… Peur de ce que devient cette France où les valeurs de la république semblent avoir été oubliées. Il parait que le socialisme se meurt. Que la gauche se meurt. Mais si vous laissez encore faire de Calais un « no mans’ land » de l’humanitaire, vous cautionnez la montée de cette extrême droite qui se nourrit de la peur de l’autre, du rejet de l’étranger, de la misère sous toutes ses formes.

Je veux croire que le gouvernement dont vous faites partie saura remettre de l’ordre dans la gestion de la situation des migrants à Calais en travaillant en partenariat avec les associations. J’espère que ce gouvernement au lieu de s’indigner sur les conditions de survie des réfugiés dans certains pays saura regarder vers nous… Nous sommes en France, en 2014, nous sommes ce pays où les droits de l’homme sont bafoués.

Vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie d’agréer mes salutations distinguées et me tiens à votre disposition pour toute information ou conseil dont vous auriez besoin sur le sujet.

                               Séverine Mayer, responsable et porte-parole de Calais, Ouverture & Humanité

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