Mme Martine Aubry,
C'est en votre qualité de Première secrétaire du Parti socialiste que nous attirons votre attention sur un sujet mis depuis peu sous les éteignoirs, mais qui reste cependant capital. La Côte d’Ivoire a vécu et vit des heures dramatiques, bien que nos médias n’en fassent pratiquement plus mention. Cette situation dramatique, si elle ne peut être totalement imputée à la France, n’est pas sans relation avec la volonté affichée par l’exécutif français de permettre l’accession de M. Ouattara à la fonction de président par la voie des armes. En toute sincérité, nous devons vous dire notre déception née de la position adoptée par le parti que vous êtes en charge de diriger concernant ce dévoiement du principe de respect des souverainetés des états et du droit international. Elle s’est transformée, pour user d’un euphémisme, en mécontentement qui n’a fait que croître, au fur et à mesure que le gouvernement français persistait dans une politique aux relents coloniaux et au coût désastreux en termes de vies humaines (civiles pour la plupart).
Nous ne nous expliquons toujours pas les raisons ayant amené votre formation, qui se présente comme étant promotrice des valeurs d’humanisme et de respect de la dignité humaine, à se rallier à la politique gouvernementale en Côte d’Ivoire.
Les semaines se suivent et se ressemblent depuis l’arrestation de M. Gbagbo.
Les uns après les autres, s’accumulent les éléments à charge recueillis contre les milices armées du poulain de l’Élysée (homme que votre formation a soutenu, à l’unisson d’une communauté internationale dont on se demande de quel internationalisme elle est désormais l’émanation). Nous pouvons dresser aujourd’hui un tableau terrifiant des pratiques des alliés de la France au cours de cet énième épisode de l’ingérence coloniale de notre pays sur le sol africain.
Les comptes rwandais, Mme la Première secrétaire, n’ont toujours pas été soldés. La commission d’enquête parlementaire chargée de déterminer les responsabilités de l’exécutif français et de notre armée, a accouché de conclusions en demi-teinte remises en question par nombre d’associations décryptant les agissements de notre pays dans ses anciennes colonies.
Las, il apparait qu’aucune leçon n’ait été tirée de l’engagement français aux côtés du gouvernement rwandais. Personne ne pourrait nier la coopération militaire française, antérieure au mois d’avril 1994, ayant permis la formation des cadres et l’équipement de l’armée génocidaire rwandaise, et pourtant aujourd’hui encore la France se retrouve alliée d’un homme passible des juridictions internationales pour violations massives des droits de l’homme, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Alors qu’il eût été de l’honneur de votre parti de prendre ses distances avec cet aventurisme d’une autre époque, vous l’avez non seulement soutenu, mais plus grave encore, vous l’avez cautionné.
C’est avec une légèreté blâmable, Mme Aubry, que le Parti Socialiste a analysé la situation ivoirienne et pris le sillage du gouvernement. Que M. Sarkozy n’ait pas trouvé d’autres moyens pour faire entrer l’homme africain dans l’histoire que de l’envoyer dans la tombe ne nous étonne guère. Que le Parti Socialiste se prononce avec autant d’entrain pour cette dramatique aventure néocoloniale nous attriste. Nous vous posons solennellement la question, le parti socialiste serait-il redevenu le parti colonial ? Nous ne pouvons, nous n’osons le croire…
Nous notons cependant avec incrédulité, que le seul responsable de parti ayant pris ses distances avec cette politique d’ingérence et de piétinement de souveraineté d’un état (même s’il est africain), est Mme Marine Le Pen.
Les lignes auraient-elles tant bougé pour qu’en France la seule dirigeante qui prenne publiquement et sans nuance position contre le néo-colonialisme français soit la présidente du Front National ?
C’est avec une légèreté blâmable, Mme Aubry, que le parti socialiste a traité le ressenti d’une grande partie des citoyens originaires des ex-colonies, qui, à l’instar de la rue africaine, a été écœurée par les images de militaires français soutenant l’accession au pouvoir par les armes d’un candidat en cour à l’Elysée (après avoir massacré impunément en novembre 2004 des civils désarmés devant l’hôtel Ivoire et sur le pont Charles de Gaulle, le bien nommé…).
Ecœurés, ils l’ont été au visionnage des images montrant la Force Licorne patrouillant dans les rues d’Abidjan, ou s’adonnant à la canonnade sur le palais de M. Gbagbo, se comportant en pays conquis, comme aux plus belles heures du gaullisme « africain ». Nous ne nous expliquons pas le silence assourdissant de votre formation face aux propos d’un autre âge tenu par M. Sarkozy à l’occasion de la cérémonie d’investiture de M. Ouattara. Que le Président français puisse décider unilatéralement de la présence de militaires français sur le sol d’un pays étranger, même si africain, aurait dû vous amener à condamner fortement le propos. La Côte d’Ivoire n’étant pas une dépendance française, elle échappe à la compétence du chef de l’état, même si ce pays est africain…
C’est une faute, et les citoyens français sensibles de par leur histoire à la politique africaine de la France sont choqués du peu de considération et de compréhension que le PS a pu manifester à cette occasion. Ils risquent de s’en souvenir au moment des élections.
Votre indignation à la simple évocation de l’envoi de CRS en Tunisie mise en perspective avec votre soutien non dissimulé à la politique barbare et coloniale de Nicolas Sarkozy en Côte d’Ivoire est un acte posé qu’ils sont nombreux à trouver inqualifiable. Un trop grand écart entre les positions de principes et les positions adoptées laisse béante une plaie qui n’est pas prête de cicatriser.
Prêchant avec quelques-uns dans le désert, nous avons pris l’initiative de nous adresser par deux fois aux parlementaires français (Députés et Sénateurs). Le silence des parlementaires socialistes faisant écho à notre appel est une déception. Nous nous tournons maintenant vers vous, en espérant que vous daignerez répondre à nos interrogations qui sont les suivantes :
- Au regard des conditions opaques du déroulement de l’intervention de la Force Licorne, qui se révèle être dans son action récente une force ayant agi non pas pour protéger les civils ivoiriens (les morts de Duékué, les sympathisants de M. Gbagbo assassinés par nos « amis » ouattaristes, ou les victimes qui sembleraient imputables à l’usage inapproprié du feu français contre des cibles civiles peuvent en témoigner), mais pour favoriser l’installation par la force M. Ouattara dans le fauteuil de président, nous demandons l’instauration d’une commission parlementaire sur l’intervention de la Force Licorne. Celle-ci devra établir les responsabilités directes ou indirectes de l’armée française dans la mort de civils ivoiriens, lors des bombardements de la résidence du président Gbagbo. Elle devra établir les raisons de sa non-intervention alors qu’un ressortissant français, M. Gbagbo Michel, était brutalisé à l’hôtel Ivoire sous les objectifs des médias français. Elle devra également établir les conditions exactes de la « capture » de M. Gbagbo. Les milices ouattaristes étant accusées de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité, il serait utile pour l’édification des français de rendre intelligible la nature exacte du soutien accordé à ces mêmes milices lors de la « campagne » militaire ayant permis leur reprise en main du pays.
- Nous demandons également de nous préciser quelle est la position du PS quant au maintien sur le sol ivoirien d’une force présentant toutes les caractéristiques d’une force d’occupation, notamment par le caractère unilatéral du choix de son maintien, affirmé publiquement par M. Sarkozy. Si ce n’est son caractère profondément attentatoire à la souveraineté ivoirienne, voire le manque de base légale en droit interne ou international qui la caractérise, son coût astronomique devrait vous amener à en discuter le bien-fondé. Au vu de la situation dramatique des comptes publics, est-il utile pour les français de financer la politique coloniale et humiliante de M. Sarkozy ? Une politique coûteuse en euros (500 millions par an aux derniers chiffres), mais encore plus pour la France en termes d’image au sein de l’Afrique Noire.
Nous attendons religieusement votre réponse. Une grande partie de la communauté afro-française et de français de tous horizons veut encore croire que le PS est à leur écoute et est capable de se ressaisir sur une problématique aussi sensible. Nous avons besoin d’être entendus et écoutés, compris et rassurés.
En espérant une réponse très prochaine, veuillez Mme la Première secrétaire, recevoir l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Ahouansou Séyivé
Ps : Vous sont transmis dans ce même courrier les adresses au Président de la République, aux parlementaires (Députés et Sénateurs), ainsi que le lien de la pétition mise en ligne
Accéder à la pétition et signer.