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Billet de blog 27 novembre 2012

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Le 21 Avril de la Droite Française

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Le 21 Avril de la Droite Française

En gagnant les élections présidentielles de 2002, le président Chirac avait donné un sursis à une droite en crise depuis les années 90. Le clan Chirac a créé l’UMP pour étouffer le bruit, mais jusqu’à aujourd’hui les luttes intérieures n’ont jamais cessé. Plus qu’un parti, l’UMP a toujours été un exercice d’équilibriste schizophrénique. Tiraillé entre une droite extrême et une droite centriste, après la défaite de Nicolas Sarkozy, la droite est sonnée comme l’a pu l’être le P.S. le 21 avril 2002. L’actuelle droite républicaine mettra-t-elle aussi 10 ans pour comprendre sa fracture avec l’électorat français ?

Qu’est-ce qui peut sauver la droite républicaine française ? Sans doute un coup de génie. Quand Chirac est réélu président de la République, ce n’est pas un accident, c’est un coup de génie. Lors de la présidentielle de 2002, il rappelle cette règle d’or : seul celui qui remporte le second tour gagne l’élection, encore faut-il être qualifié pour le second tour. Monsieur Chirac est un génie politique. On ne devient pas 2 fois président par hasard. Et de surcroit, on ne devient pas 2 fois président en ayant aucun véritable programme, par hasard non plus. Mais surtout Monsieur Chirac achète du temps. Il réussit à camoufler la crise de la droite avec cette construction intellectuelle qu’est l’UMP. Parce que la crise « morale et politique » de la droite républicaine française couve depuis 15 ans. L’Union pour une Majorité Présidentielle est une formidable machine de guerre pour gagner l’élection présidentielle, mais c’est également un formidable cache-misère. 

La victoire du Président Chirac du 21 avril 2002 évince la véritable victoire du clan Chirac : l’unification de la droite républicaine et du centre droit, et ainsi la survie de la droite républicaine alors en sursis. C’est dans la foulée de la victoire de ce 1er tour, le 23 avril, qu’est créé le parti multifacettes. Sous le drapeau de l’UMP, se réunissent des libéraux, des conservateurs, des gaullistes, des centristes. Cette formation disparate apporte la tête du chef de file de la gauche plurielle sur un plateau. Lionel Jospin est battu. L’ancien 1er Ministre socialiste déchu dit même vouloir se retirer de la vie politique (comme si le pouvoir n’était pas une drogue addictive). Mais en politique, revenir n’est pas une chose simple à réussir. Tout le monde n’est pas De Gaulle ou Mitterrand. A cause de leur traversée du désert, peut-on comparer Messieurs Nicolas Sarkozy et Lionel Jospin ? Nicolas Sarkozy est-il le Lionel Jospin de la droite ? Oui, non, pas vraiment. Pourtant après leur défaite, dans leur camp, c’est le grand vide. Mais toute chute est prédécédée d’un déséquilibre. Ou du moins d’un renversement.

Ça fait 15 ans

La Crise politique de la droite parlementaire remonte à 1997 quand Dominique de Villepin suggère au président Chirac de dissoudre l’assemblée. Pour François Baroin, quand l’équipe socialiste menée par Lionel Jospin arrive alors au pouvoir, il s’agit pour l’ancien Ministre des Finances « d’une effraction »*1. Ces propos font écho aux premiers mots du (vrai faux) président de l’UMP Jean-François Copé dans l’hémicycle de l’assemblée nationale, quand celui-ci parle de l’élection de François Hollande comme « d’un malentendu »*2. Admettre que l’on tombe n’est pas facile. Surtout quand on est persuadé du contraire.

Nous sommes en 2012, + que des Mauvais Perdants, ce sont des Plus Jamais Gagnants. Certes, la défaite déboussole, mais ça fait longtemps qu’ils ont perdu le nord. Ça fait 15 ans que la droite s’enfonce dans les défaites électorales. Sauf les présidentielles de 2002 et 2007, mais à chaque fois en s’appuyant sur un discours sécuritaire ou ultra droitier, relayé par une couverture médiatique nationale.

Voilà. Pour gagner, la solution mise en avant par l’UMP, c’est le déplacement vers la droite de la droite menée par une figure providentielle. Résultats peu durables. Dans un monde ouvert, cette « droitisation » finira par trouver ses limites. L’avenir de la droite française est peut-être à un supernationalisme conquérant assumé, genre défense d’une idée de la civilisation européenne, mais à la fois néo-libérale et humaniste. Compliqué ? Compliqué. En attendant, en 2002,  Chirac fait campagne sur la Tolérance Zéro : « la sécurité est devenue la première exigence des Français » dit-il dès mars 2001 lors de la réception annuelle du corps préfectoral à l'Elysée. Celui qui mangeait des pommes emprunte le discours des Rudolph Giuliani*3 et des George W. Bush, et des autres héros de la révolution néo-conservatrice. Le discours de la Tolérance Zéro sera repris, sans fausse note, par le 1erflic de France. Nicolas Sarkozy multipliera les phrases chocs, les karchers, les racailles, et autres pièges à journalistes. Mais, le futur président du « ensemble tout devient possible » n’est pas le premier homme de droite décomplexée.

Pour la présidence de la région lyonnaise, Charles Million avait déjà montré la voie. Lors des élections régionales de 1998, l’éminent membre du parti centriste UDF (l’Union pour la Démocratie Française) sauve son siège de président grâce aux voix frontistes. Au sein de la droite républicaine, se rapprocher de cette droite de plus en plus populaire n’est plus un tabou ou qu’une tentation, c’est un sujet de discorde. Et bientôt de division. Après les tentatives plus ou moins réussies que sont les créations des partis « Démocratie Libérale » qui prône l’alliance au cas par cas avec le parti de Monsieur Le Pen ou « La Droite » de Charles Million, on tente le syllogisme : «Si Mme Le Pen dit que le ciel est bleu, je ne vais pas dire le contraire»*4. On cherche des excuses : « [En face, les] socialistes, eux, sans état d’âme, (…) s’allient avec l’extrême-gauche »*5. Lors des législatives de juin 2012, l’ex-ministre Nadine Morano accorde une interview à Minute, le quotidien d’extrême droite. Et le mur républicain se fissure : en cas de triangulaires ? Ça sera la politique du « ni –ni », ni FN, ni PS… «Faut-il faire élire des gens qui s’allient avec l’extrême gauche ? »*6. Derrière ces déclarations, en interne, ça sent la fumée.

Les équilibristes ne sont plus de la partie

Comment ne pas voir que la fin est proche ? Depuis 2004, et l’exil canadien de Juppé suite à sa condamnation dans l’affaire des Emplois fictifs de la Ville de Paris et la déclaration de son 1 an d’inéligibilité, et évincés par les sarkozistes, les Chiraquiens ne sont plus de la partie pour habilement jouer au double-jeu dangereux, le double-jeu côté pile : « cordon sanitaire anti-FN » et côté face : « du bruit et de l’odeur »*7.  Ça penche, ça penche, ça glisse. Les équilibristes ne sont plus aux commandes de l’UMP. Ce sont les sarkozistes qui sont dans la place. De l’extérieur, on ne voit pas que « la maison bleue » brûle, mais les idées du Front National y paraissent de plus en plus incontournables. On recrute des bébés FN comme Guillaume Pelletier, on crée des mouvements comme « La Droite Populaire ». Des débats identitaires, comme sur « la bi-nationalité », divisent toujours l’UMP. Une ligne une et claire n’est pas assumée complètement, tandis que les discours lorgnent de plus en plus grossièrement sur cette droite nationaliste en pleine croissance. Mais ce n’est pas le FN qui prend de la hauteur, c’est les autres qui s’abaissent. Avant de se faire dépasser ou déborder électoralement, c’est bien les deux grands partis républicains P.S. et UMP qui à chaque fois se sont reposés sur leurs lauriers.  

Analyses faites autour des raisons de la défaite du 21 avril, le P.S. a été accusé de s’être éloigné des classes populaires. Aujourd’hui, il assume peu à peu. Lors des primaires, nul malaise ne vient troubler leur débat sur France 2 quand est évoquée leur non-appartenance à la classe populaire. Pour les 6 candidats à l’élection présidentielle, c’est digéré. Sans honte. Même s’il gagne en partie grâce aux voix de la classe populaire, le P.S. devient peu à peu le 1er parti de France des classes moyennes. Il a fallu 10 ans à un parti conçu pour être au pouvoir pour reprendre la main. 10 ans.

Ce n’est pas la faute de Sarkozy

Comme la gauche, il faudra à la droite républicaine 10 ans pour s’en remettre. A moins d’un miracle, 10 ans pour se renouveler, en s’appuyant sur des nouveaux processus modernes et plus représentatifs (comme la démocratie participative ou les primaires citoyennes). 10 ans pour qu’on évite de leur dire « on ne veut pas revenir en arrière » comme Mitt Romney, le candidat républicain, a pu en être victime face à Barack Obama lors des élections présidentielles américaines*8. 10 ans pour vraiment se remettre en cause. Parce qu’au-delà du droit d’inventaire du sarkozisme, il s’agit de comprendre enfin la fracture idéologique entre la droite républicaine d’un côté, et les électeurs français de l’autre.

Faut-il tuer Sarkozy pour sauver la droite ? Solution superficielle. La droite n’a pas perdu les élections présidentielles de 2012 seulement parce qu’une majorité de l’électorat français ne voulait plus de Sarkozy, ou pas seulement parce qu’elle aurait jugé que ce gouvernement avait manqué de bonne intelligence pour réussir ses réformes libérales. Pas d’effraction. Pas de malentendu. Le divorce est consommé. La France n’est plus un pays de droite. Ça fait 15 ans qu’elle se ment. Entre bonapartisme libéral et conservatisme humaniste. Entre nationalistes populistes et orléanistes éclairés. La droite voulait se convaincre qu’elle pouvait avoir une tête et deux jambes droites, et gagner en laissant ses jambes courir dans des directions opposés. Ça fait au moins 15 ans que la droite française est malade d’une schizophrénie qu’elle ne veut pas diagnostiquer. Mais pas seulement. Comme le P.S. après le 21 avril 2002, la droite doit aller au bout de cette période d’incubation, et comprendre qui elle représente, et comment elle doit les représenter. Là est son drame : elle ne peut pas guérir parce que, au-delà de l’UMP, et au-delà du sarkozisme, ça fait plus de 15 ans qu’elle ne sait pas à quel point elle est souffrante. La droite traditionnelle n'a toujours pas compris pourquoi l'électorat français la boude de plus en plus.

Pour couronner le tout, crises obligent, il y a de la révolte dans l’air. Les Sans-culottes sont devenus des Indignés, les seuls dirigeants tolérés pour gérer cette période casse-gueule sont les sociaux-démocrates de gauche. Les mêmes qui peu à peu assument une ligne finalement très claire, un coming out galloisement déguisé, une mutation sereine et calculée.

La droite attend-elle un homme ou une femme providentielle qui criera « je n’aime pas les ultra riches et les nantis, je suis un(e) vrai(e) libéral humaniste ? Tourné(e) vers une Europe forte, une Europe ouverte, et fière de ses valeurs familiales ? »

On verra. En attendant, en déplaisent aux Copéistes et aux sarkozistes, avec une alliance objective avec les Fillonistes, le retour des Chiraquiens au sommet de la droite républicaine, ou du moins de son héritier légitime en la personne d’Alain Juppé, participe de l’ironie historique : les grandes manifestations de 1995-96-97 avaient sorti Juppé, et avaient entraîné son divorce avec l’électorat français, et amorcé la chute de la droite. Mais c’est lui qu’on a appelé… pour l’atterrissage. Comme si Rome ressuscitait un César poignardé pour éviter la décadence. Non. Ce n’est pas un Auguste génial qui sauvera la droite, mais un psychiatre.

dolpi

*1. François Baroin, à l’Assemblée Nationale, le 8 novembre 2011.

*2. Jean-François Copé, à l’Assemblée Nationale, le 20 novembre 2012.

*3. maire républicain de New York de janvier 1994 à décembre 2001.

*4. Nicolas Sarkozy lors de l’émission Des Paroles, et des actes, France 2, mars 2012.

*5. Copé chez Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV, juin 2012

*6. Ibid.

*7. « Le bruit et l'odeur » est une expression extraite d'un discours de Jacques Chirac prononcé le 19 juin 1991. Connue comme Le Discours d'Orléans, cette allocution fut prononcée à l'occasion d'un dîner-débat du RPR à Orléans, devant 1 300 militants et sympathisants. Chirac était alors président du Rassemblement pour la République (le RPR) et maire de Paris, et son discours portait sur un éventuel recadrage de la politique d'immigration française.  Le bruit et l'odeur en question désignaient des désagréments supposément causés par les personnes immigrées, Wikipedia.

*8. Le Monde Economique du 5 novembre 2012 : Mitt Romney représenterait un pas en arrière de Martin Wolf.

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