Un jour, en recherchant une info sur internet, je tombais sur cet extrait d'une psychopédagogue :
« Dans ma pratique, je constate que les parents, pétris de bonnes intentions et de l’envie d’élever leurs enfants dans la bienveillance et l’autonomisation, ont presque honte de parler de discipline ou de règles. Ils sont soulagés et réconfortés quand je leur dis que le cadre, les règles et la discipline font partie intégrante du processus éducatif, de la construction du psychisme de l’enfant, et donc de son bien-être tant émotionnel que cognitif. Il m’arrive même de rencontrer des parents dans la culpabilité de se mettre en colère contre leur enfant. Mais d’où vient cette idée qu’élever un enfant dans la bienveillance signifierait ne plus se mettre en colère, ne plus poser de cadre ni de limites, et ne surtout pas parler de discipline ? »
Je commentai ceci :
« La colère et l'éducation font souvent mauvais ménage, cette idée vient... de nos découvertes en neurosciences affectives et sociales, tout simplement, et l'évolution de la théorie de l'attachement à la lueur de la psychologie humaniste développée par Rogers, Rosenberg, Gendlin, qui montrent le métabesoin de sécurité affective, et qui fait consensus dans la santé publique européenne, et les méfaits de la peur dans les apprentissages... (voir les travaux de Daniel Favre cité plus bas sur cette même page ;)) Pour autant, la colère, est une émotion admirable qui doit être accueillie et écoutée avec soin. Hâte d'échanger sur le sujet du cadre, des limites, des règles et de la bienveillance ensemble bientôt.
Je me suis demandée par la suite s'il n'y avait pas un malentendu autour de l'éducation... par le fait des stratégies mises en place dans un cadre donné comme postulat de base : l'enfant nait, puis il va en collectivité où il va apprendre l'autonomie, les règles du vivre-ensemble, cette fameuse socialisation, qui ne se ferait qu'à l'école, si l'on en croit de nombreuses voix plutôt rétives à toute instruction hors murs scolaires.
Et si l'enfant n'avait pas « besoin » d'apprendre hors du cadre familial ? Si ces objectifs pouvaient se faire au rythme de l'enfant, quand lui se sentirait motivé, à sa demande, et que la responsabilité de l'adulte serait de lui offrir au bon moment, à la manière du jardinier en permaculture qui va préparer le terrain... et puis qui va ajuster. Et si finalement, tous ces « un enfant a besoin d'être éduqué »... venaient plutôt d'un choix logistique avec l'adulte au centre, et non en partant du véritable intérêt de l'enfant ? D'un besoin de contrôle et de résultat extérieur à la motivation intrinsèque de l'être concerné déjà existant. L'enfant n'est pas un humain en devenir, il est. Notre boulot est d'accompagner, à côté, pas devant lui.
Je crois avoir déjà cité Édith Chabot et comment son approche dans un groupe de discussion il y a 8 ans m'a bouleversée et aidée à intégrer l'unschooling que j'incarne actuellement, à déconstruire des mythes au niveau des apprentissages et à voir mes enfants depuis la confiance. J'ai posté sur ce groupe francophone pendant tout le processus de descolarisation que nous avons vécu avec notre aînée, et pour illustrer ce changement de paradigme, j'ai envie de vous décrire ma soirée d'hier, en posant avant le contexte :
Mon fils n'est jamais allé en collectivité, il va à certaines activités extra-scolaires, le plus souvent accompagné de sa soeur. Il a du mal quand le professeur s'énerve, ça lui fait peur, et parfois me demande de l'accompagner pour aller l'exprimer au prof. Il a arrêté plusieurs fois des activités en ce sens, quand il n'est pas en confiance avec un adulte qu'il ne sent pas en lien. Ou dès qu'il sent une pression extérieure qui ne correspond pas à son élan. Il a 6 ans. Pas de discipline chez nous, une seule règle: on veille à ne pas blesser intentionnellement autrui.
« Et bien voilà, il ne va jamais apprendre la frustration, on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie, plus tard ça va lui poser des problèmes, comment il va apprendre, la liberté c'est bien beau mais... ».
Ce sont encore ces petites voix qui me viennent parfois. Et des sujets comme le rangement, la coopération dans les tâches ménagères, restent des challenges personnels en tant que parent. Mais le quotidien me démontre que le respect de chacun et l'intention de communication sans violence portent leurs fruits !
Donc un jour, nous partons faire des courses, je me rends compte que je n'ai pas pris mon masque. Je lui dicte la liste des achats depuis la porte du magasin. Il va seul prendre ce qui est à sa portée, puis demande de l'aide pour les produits en hauteur. En sortant, nous marchons quelques mètres, un couple discute sur le trottoir. Il pile avec son vélo et alpague l'homme avec un grand sourire « nous nous connaissons toi et moi ! » L'homme s'arrête de parler, étonné... et mon fils lui redit « mais si, rappelle-toi, on était là, et on a parlé de ça... » et là l'homme se souvient... s'en suit une petite discussion improbable sur la mémoire, une présentation avec prénoms en bonne et due forme, et un « au revoir » tout naturel, mon fils remet les pieds sur les pédales, et c'est parti pour la maison.
Je dois chercher la grande à son cours de ballet. L. est fatigué (nous avons déjà fait 4 kms avec un peu de dénivelé qu'il faut réitérer), et je n'ai pas la force de le prendre sur ma trottinette. Je lui dis alors qu'il n'a qu'à rester à fabriquer la voiture qu'il avait inventée dans sa tête avec le chariot de courses pendant que son père prépare le dîner, je n'en ai que pour une grosse demi-heure.
Quand je reviens, à son initiative, il me montre qu'il a finalement rangé sa chambre, mis la table, débarrassé le lave-vaisselle.
Tout ça pour dire quoi ? Que je mets un point d'honneur à ne pas me mettre en colère contre mes enfants (je ne dis pas que j'y arrive tout le temps, il me reste quelque mémoire traumatique à balayer par ci par là), mais plutôt à exprimer mes limites, mes valeurs, et à chercher ensemble des solutions qui respecte toute la famille, en assumant notre responsabilité d'adulte. Sans discipline, sans sanctions, sans cadre posé d'en haut. Notre posture est plutôt de l'ordre du négociable, de manière évolutive. Et selon notre réservoir affectif et émotionnel, en toute humilité et dans une recherche de congruence et de posture réflexive de l'adulte.
Alors quand des moments comme ceux-ci se produisent, je me demande « quelle part d'inné, quelle part d'acquis ? » Qu'est ce qui vient de la personnalité propre, qu'est ce qui vient de l'éducation, qu'est ce qui fait qu'un enfant coopère en autonomie et bienveillance avec les autres, quid du terrain de départ, et quid de l'engrais, du soleil, de l'eau, apportés ensuite ?
Tous les expert.es, selon leurs recherches, leurs convictions profondes, leurs biais, proposeront des proportions avec un curseur placé à un niveau différent.
Je me dis souvent qu'il manque vraiment plus d'études sur les enfants sans école, et accompagnés par des adultes opérant un cheminement personnel sur les conséquences neurobiologiques de la VEO dans les apprentissages, et cette fameuse « construction du psychisme, de son bien-être tant émotionnel que cognitif ». Je ne connais que les écrits de Peter Gray aux Etats-Unis, et de Melissa Plavis en France. Et vous ?