Je vis donc j'apprends, aurait pu dire René... les apprentissages se font, consciemment et inconsciemment, de manière intuitive ou réfléchie, mais on apprend un peu comme on respire, on a pas vraiment le choix en fait. Les "bonnes leçons" que l'on retiendra le mieux sont celles qui ont été au service du plaisir, du questionnement, de la curiosité, de la naissance d'une nécessité, d'une recherche de sens, n'importe quel pédagogue ou spécialiste en neurosciences vous le confirmera.
Or j'ai eu ce privilège de rencontrer dans ma vie la possibilité de faire ce choix conscient de déconstruire un schéma de vie : Déconstruire la croyance que l'enfant DOIT aller à l'école, qu'il doit apprendre de telle manière, formelle, à telle heure, tant de temps, de telle façon, avec telle pédagogie. Le lire chez Ivan Illich est une chose, le vivre au quotidien avec ses propres enfants, quand on vient d'une famille d'enseignants prend tout de suite une consistance et une saveur décuplées.
Avez-vous déjà passé un peu de temps avec un enfant qui est en confiance avec vous ?
Les questions fusent, on y répond comme on peut, on va jardiner dans un potager partagé urbain : il y a un monsieur anglais, il parle anglais, on apprend à compter les pots de tomates, en français, en anglais, les couleurs des pots de piments, on s'amuse, on met les mains dans la terre, on arrose...et ça infuse...
Je ne crois plus que l'on apprenne de manière prolongée et durable quelque chose, s'il n'y a pas eu d'émotion forte et agréable : on va se souvenir du mauvais moment, pas de l'apprentissage. Si l'activité est mémorable, si elle se répète, alors l'apprentissage prend forme, couleur, saveur, on l'intègre comme acquis et automatique. Comme le vélo, ça ne s'oublie pas il parait. Et qui apprend à faire du vélo en lisant un manuel de mécanique ?
Avez-vous déjà passé un peu de temps libre avec un enfant qui n'est pas pressé - imposé dans son rythme d'apprentissage et de vie ?
On revient du jardin, les enfants avaient dessiné ce qu'ils avaient fait, A. avait coupé des fleurs fanées, elle me demande "comment s'appelle ce que j'ai coupé ?". Google est mon ami, ça tombe bien, je suis en train de bosser sur l'ordi, petite recherche de botanique : l'ovaire ! "L'ovaire?!" On discute à bâtons rompus sur la reproduction des plantes, ses noms savants, la comparaison avec l'espèce humaine, petit choc de mon fils "oh, je mange plus de pomme alors!"...
On relit le compte-rendu, la lecture est difficile, qu'à cela ne tienne, tout le monde se met à s'entraîner à la mise en page, à l'orthographe, à la typographie. Tout ça de manière spontanée, sans efforts de leurs côté, sans pression du mien. Ça n'arrive pas tous les jours, ça n'a pas toujours été aussi fluide, mais j'ai réussi à dépasser mes peurs, à les écouter, à me mettre à l'écoute de mes enfants, et le résultat est là.
Tout se fait naturellement, un apprentissage pousse l'autre, de manière naturelle et logique. Avec bonheur et extase de l'apprentissage. Avec confiance aussi, sans avoir peur du résultat faux, de la mauvaise note, d'être le dernière, de ne pas être le premier.
Jardiner avec ce monsieur anglais est un pur délice, il ne leur parle pas avec condescendance, sa voix est normale, son langage n'est pas adapté comme s'ils étaient stupides, des petites choses fragiles, non infantilisant. Le vrai respect de l'enfance.
Alors vous me direz : ça n'est pas donné à tout le monde, c'est un privilège. Oui, c'est un privilège d'être capable d'accueillir sa peur de devoir gagner moins (souvent un salaire au lieu de 2), devoir mieux se répartir les tâches dans le couple (les familles IEF n'évitent pas la société patriarcale et capitaliste, même si souvent une réflexion est ouverte sur le sujet), d'avoir du relais, d'être capable de se créer sa tribu, son village, être capable de travailler ses blessures, se libérer de certaines limites, se préparer au pire, contrôles négatifs, conséquences sur les enfants, etc.
Mais pour moi, savoir que cette possibilité existe (tout comme existe le droit d'accoucher hors hôpital, le droit d'allaiter sans limite de durée, le droit de parenter de manière proximale, le droit d'être maître de sa propre vie, en conscience), le jeu en vaut la chandelle : voir ses enfants heureux, épanouis, libres de tout dogme, de toute pédagogie externe, grandir grâce à eux avec humilité, découvrir tous les jours les mystères de la vie en voulant y répondre (on devient quoi quand notre corps meurt, est-ce que c'est une question de philosophie ? Et les plantes, est-ce qu'elles existent pour être mangées ?) Ça n'a pas de prix. Et qu'importe qu'il faille une autorisation, je vois ici et là des familles qui rentrent en désobéissance civile, et je les soutiens dans leur démarche. Et qu'importe si certain-es ne comprennent pas, confondent IEF et sectarisme, les personnes qui ont peur de ce qu'ils ne connaissent pas, c'est humain et ça existera toujours?
Mais tout comme l'école est aujourd'hui pour la plupart une nécessité (et celle qui existe a encore une grande marge de progrès à faire, et il est bénéfique et essentiel de s'y pencher également), elle n'est pas nécessaire pour toutes les familles. Elle n'est pas nécessaire aux apprentissages. Elle est nécessaire à une construction de société juste, équitable, adelphe, solidaire, non adultiste et non discriminante, inclusive. Penser que l'IEF et l'école s'opposent, c'est se fourvoyer complètement sur la réalité des besoins fondamentaux de l'être humain et du fonctionnement de l'instruction et des apprentissages.