shauna o'donnell

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 octobre 2023

shauna o'donnell

Abonné·e de Mediapart

De Simone à Claire Simon

Parcours de combattantes : ce que veut dire vivre dans un corps de femme, vu par CLaire Simon depuis un hôpital parisien. Le hasard de mon calendrier personnel a fait coïncider la trouvaille du Deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, avec la sortie du film-docu de Claire Simon Notre corps.

shauna o'donnell

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le hasard de mon calendrier personnel a fait coïncider la trouvaille du Deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, avec la sortie du film-docu de Claire Simon Notre corps. SI la première a tenté une explication objective et une définition à la première personne de ce que signifie être femme, il y a maintenant 74 ans, la seconde nous montre à l’écran ce que peut vouloir dire vivre dans un corps de femme, avec ses tracas psychologiques mais surtout physiologiques et physiques, et traverser les différents âges de la vie dans cette enveloppe corporelle qui pose problème et réalise nos désirs et notre existence. La quasi totalité du film se déroule entre 4 murs d’un hôpital parisien où l’on suit de très près les consultations des patientes, les concertations du personnel médical, les opérations chirurgicales et autres actes médicaux. Pendant les 2h47 de film, une caméra peu stable nous fait entrer dans le secret médical et la spectateurice se retrouve à l’autre bout d’un spéculum introduit dans le vagin d’une patiente ayant demandé une PMA, à écouter comme une voyeureuse un médecin annoncer la nécessité de retirer tout l’appareil reproductif et sexuel à une très jeune patiente par exemple. La grande caméra de cinéma retransmet les images de la toute petite caméra d’opération, qui recherche des kystes induits par une endométriose et assiste de tout petits ciseaux à les retirer. La caméra filme également la préparation d’un accouchement par césarienne, avec toute l’équipe du bloc se répartissant les tâches, l’un badigeonnant un ventre de 9 mois de bétadine, l’autre triant les outils tranchants. Mais je n’étais pas prête pour l’incision de la peau de la patiente, les eaux de la poche qui giclent comme une bouteille de coca dans laquelle un petit malin vient de mettre un menthos et une sage femme qui met ses 2 mains à l’intérieur de l’utérus pour en extraire une jambe de bébé, le tourner dans tous les sens et enfin faire sortir la tête. D’ailleurs il a l’air mort ce bébé ? Ah non c’est bon, il bouge et il couine. De l’autre côté du champ la caméra capture les yeux écarquillés de la patiente, encadrés par une charlotte bleue et un masque chirurgical. Et puis en fait il y a un deuxième bébé à sortir de ce tas de boyaux, de liquide et de sang.

Recroquevillée dans mon siège de cinéma, les mots de Beauvoir me reviennent en tête. Quelque chose comme la Femme est soumise à l’espèce de par sa fonction de reproduction qui l’empêche pendant sa grossesse et l’handicape et la diminue pendant et après son accouchement tandis que l’homme choisit ou non de participer au maintien de la vie qu’il a seulement permis de déclencher. Et de rire intérieurement à la déception de la patiente de 17 ans du début du documentaire qui pensait qu’elle pouvait échapper à ce destin commun à toutes les femmes ET créer la vie avec une autre femme en faisant le choix d’une transition de genre. « Même si vous décidez de faire une transition complète, vous ne produirez jamais de spermatozoïdes, parce que votre corps a des ovocytes » lui avait répondu le médecin. On serait bien plus nombreuses à considérer «  la Femme » comme « l’Autre » et à changer de camp, si c’était possible.

Déjà mise très mal à l’aise par les scènes précédentes, agacée par les mouvements de la caméra, la voix off de la réalisatrice qui s’immisce là où je ne l’attends pas, la longueur de certaines scènes, l’intrusion superficielle dans l’intimité des patientes, le manque de propos cohérent à l’ensemble du documentaire, le sujet des violences gynécologiques effleuré uniquement parce qu’une manifestation a eu lieu devant les grilles même de l’hôpital, je commence à m’impatienter de cette longue fresque où les patientes cessent d’exister dès qu’elles sortent du cadre de la caméra et des locaux hospitaliers.

Le ton est mal maîtrisé aussi, la faute à une scène involontairement comique laissée au montage : la forme jure avec le fond car un médecin parlant espagnol comme une chèvre russe tente d’expliquer à une jeune fille en utilisant google translate, en mélangeant des mots d’italien avec un espagnol très approximatif qu’il va falloir lui retirer tout son appareil sexuel et reproducteur atteint de cancer. Mais la fille a l’air de mieux comprendre le français que lui l’espagnol. Elle l’écoute, acquiesce courageusement, sans commentaire. Durant une autre scène, ce même médecin évoque un cas similaire (ou le même?) et avoue qu’une équipe médicale de Thonon « avait raison, pour une fois » et qu’il ne s’agissait pas d’un cancer , au détour d’une réunion de concertation entre professionnels ! La scène est vite balayée par la prochaine scène sans aucun rapport, on ne saura pas comment le médecin à rattrapé son erreur ou « effet indésirable » (le terme n’est jamais employé) ni comment l’erreur a affecté le parcours de santé et la vie de la patiente. Je commence à me demander quel est vraiment l’objet ou le sujet du film après 2 heures de visionnage, puisqu’il n’est visiblement pas centré sur les patientes qu’il filme dans leur plus profonde intimité !

Une des patientes commence à sérieusement m’agacer en posant 3 fois la même question au médecin, en lui demandant si elle peut garder son sein infesté de cancer alors que la réponse est très clairement non. D’ailleurs elle porte le masque en dessous de son nez. Les deux femmes en couche, les femmes qui ont subi une opération sous anesthésie partielle, les autres en consultation, toutes les autres patientes avant elle arrivaient à porter leur masque correctement, dans l'effort et dans la douleur. Mais celle-là tousse, se râcle la gorge, parle avec beaucoup de difficulté avec sa voix fluette et enraillée, son masque en dessous du nez. Je ne me suis toujours pas remise de la période covid : ce détail m’agace au plus haut point et déjà je me mets à la critiquer intérieurement dans son style vestimentaire (très proche du mien), dans sa petite voix faible, la naïveté et la niaiserie de ses questions, sa coquetterie de cinquantenaire : « Je ne veux pas perdre tous mes cheveux ! ». Je lui réponds intérieurement : « C’est comme tu veux ma cocotte soit tu fais ta débile et tu perds ta vie soit tu fais une croix sur tes vieux cheveux gris et moches ». Mais c’est là que je me rends compte que cette patiente, c’est la réalisatrice, et que je suis d’autant plus dure avec elle, que sa réaction est sincère et authentique. C’est la seule patiente qui n’essaie pas tant bien que mal de maintenir une dignité stoïque parce qu’elle est devant la caméra. En fait c’est celle dont j’aimerais le plus me mettre à distance, qualifier d’« Autre » comme le dit Beauvoir, mais c'est aussi celle qui nous ressemble le plus, au fond, probablement. C’est celle qui n’a pas uniquement mis de côté sa pudeur physique pour livrer l’image de son corps à la caméra, mais celle qui livre également son ressenti, ses peurs, ses espérances naïves « Je voudrais pouvoir garder mon sein », à la première personne du singulier et qui se présente comme un sujet pensant et conscient de sa propre existence, et qui a décidé de montrer la multiplicité des cas de santé des femmes ayant adhéré à son projet, le temps du tournage.
Au final, malgré ses faiblesses, le documentaire est quand même touchant, honnête et parvient à exposer son sujet : le cas autobiographique d'une soixantenaire découvrant son cancer du sein, camouflé par ou plutôt entouré d'une multitude d'autres femmes liées au destin de leur cas clinique. On peut le voir comme la forêt cachant l'arbre ou comme un message d'espoir, de compassion et de tendresse lancé à la communauté féminine par-delà son destin biologique grâce aux progrès de la médecine.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.