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Billet de blog 7 juillet 2014

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Andromaque revisitée, Racine et Shakespeare enfin réconciliés

Ce sera à la Chapelle du Verbe Incarné que le collectif La Palmera nous invite à assister à leur Andromaque de Racine mise en scène par Néry, durant le Off du festival d'Avignon. Ce texte parle de la pièce telle qu'elle fut montée au Monfort, à Paris. Il se pourrait que les spectateurs ne voient pas tout à fait la même chose. 

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Ce sera à la Chapelle du Verbe Incarné que le collectif La Palmera nous invite à assister à leur Andromaque de Racine mise en scène par Néry, durant le Off du festival d'Avignon. Ce texte parle de la pièce telle qu'elle fut montée au Monfort, à Paris. Il se pourrait que les spectateurs ne voient pas tout à fait la même chose. 

Tout le plaisir que l’on trouve au spectacle tragique dépend de la fréquence de ces petits moments d’illusion, et de l’état d’émotion où, dans leurs intervalles, ils laissent l’âme du spectateur.

Stendhal, Racine et Shakespeare

Les chaises sont disposées en rectangle sur la scène. Ce dispositif produit une scène centrale où les deux comédiens, Paul Nguyen et Nelson Rafaell-Madell, se retrouvent entourés de ballons multicolores. Deux bandes composées d’ampoules longent les côtés les plus long du rectangle. Dès que les spectateurs sont installés, Paul et Nelson les interpellent et, dans une atmosphère très légère, racontent la guerre de Troie. C’est ludique, joyeux, interactif, cela mêle l’antiquité au contemporain, cela désacralise et brise l’idole. Ils sont doués, on participe, on rigole, on se détend. On craignait la lourdeur et la gravité de la tragédie, on est rassuré. Nous voilà dans une adaptation légère et sympathique, bon enfant même, de la terrible histoire de la veuve troyenne.

Durant les deux premiers actes, nous sommes accompagnés en douceur afin d’entrer dans l’intrigue. Des ballons de couleurs différentes et gonflés à l’hélium représentent les quatre protagonistes. Et puis, au fur et à mesure de l’immersion et de la montée de l’intensité dramatique, Paul et Nelson les interprètent en accroissant leur degré d’incarnation. Et s’il faut voir dans les ballons représentant les protagonistes, un symbole de la légèreté, il faut peut-être y voir également un symbole de cette relation très particulière entre un comédien et un personnage. Il y a là une réflexion en acte de l’une des facettes du travail du comédien qui est représentée de façon saisissante. Nous assistons à cela alors que Paul et Nelson jouent avec les masques et les attributs de chacun de ces personnages (les costumes sont d’ailleurs, notons-le, épurés et très beaux). Et l’on sent bien qu’il y a bien quelque chose de l’ordre du jeu dans ce qui les amène à finir par s’immerger dans ces personnages, les incarner et leur prêter corps. Cette part ludique est très bien représentée dans ces quelques scènes où s’entremêlent parfaitement chants et danses.

Ainsi, la distance et la légèreté qui poussaient les deux comédiens à n’être que les voix de ces ballons disparaissent sans que l’on ne s’en rende vraiment compte et nous voici pris au piège de la machine infernale. Deux actes de la tragédie sont passés sans que l’on ne s’en aperçoive. La toile tissée par la déclamation progressive des alexandrins nous a saisi impitoyablement et alors que l’on réalise qu’il fait très sombre, il est déjà trop tard, nous voilà pris par le vertige de l’émotion tragique. Les alexandrins de Racine nous transportent dans les tourments intérieurs des héros. Les vers sont puissants et l’oralité de l’art poétique de Racine est parfaitement exprimée par Paul et Nelson. Le rythme du vers s’entend sans être entendu, tout en douceur et sans effort de déclamation superfétatoire.

La légèreté est loin dorénavant, très loin. Les ballons occupent chacun un angle de la scène d’où ils finiront par s’envoler. Paul et Nelson, maintenant, incarnent avec toute la puissance de leur talent les protagonistes. La diction est parfaite et extrêmement vivante, le jeu sobre et très efficace, l’intensité à son comble. La tension que l’on ressent dans les derniers moments est presque insoutenable. La musique qui accompagne le spectacle aide à l’immersion, mais pas que. L’essentiel vient de la disparition des temps morts. Nous sommes spectateurs privilégiés des tourments que vivent les protagonistes de cette tragédie. Ce qui compte ici c’est l’émotion pure qui est au coeur de cette pièce : les souffrances terribles infligées par l’amour qui mèneront à la mort. Et cette pureté de l’émotion du texte amène les comédiens à se défaire du superflu des costumes. C’est de ce qui ne peut-être dit par autre chose que la tragédie dont il est question ici. Le tour de force de représenter une tragédie classique vivante est réussi et une fois la lumière revenue nous éclairer, nous et cette scène désertée, l’atterrissage ne se fera pas facilement.

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