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Billet de blog 21 juillet 2014

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Analyse - Israël, cœur de la machinerie

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Israel est l’angle mort de notre empire. C’est un objet qu’il est interdit d’observer. On ne peut pas le regarder, on ne peut pas en parler. Il provoque et déchaîne les passions au point qu’il en est devenu indicible. Il est l’indicible. Et c’est parce qu’il est l’indicible qu’il faut en parler. C’est le devoir du journaliste de nommer ce qui ne veut pas être nommer. C’est la charge de l’écrivain d’écrire sur ce que l’on est sommé de taire. C'est la tâche du philosophe que de penser ce qui se dissimule à la pensée.

Et cela est d’autant plus vrai que cet indicible cristallise en lui la situation originelle de tout ce qui est et se présente au regard aujourd’hui. Tout, partout, n’est qu’une déclinaison d’Israel. Nous sommes tous, partout, en Israël. En traitant d’Israel aujourd’hui et de cette situation très particulière qu’est la relation entre l'Etat d'Israël et les palestiniens, je parle de tous les lieux du monde. Et de la situation insupportable d’être homme dans notre temps.

Il faut noter qu'il existe de nombreux moyens pour se protéger d’un observateur, pour se mettre à l’abris d’une analyse critique. Plusieurs stratégies peuvent être élaborées et mises en place afin de se soustraire au regard et à la pensée d’autrui. Il ne s’agira ici ni d’en faire le catalogue ni d’énumérer toutes celles qui ont été utilisé par l’État d’Israel. Cela ne permettrait pas de saisir l'essentiel de ce qu'il y a à saisir. Le but n’est pas ici de comprendre les raisons les plus évidentes qui ont permises le maintien de ce brouillard de guerre intellectuel qui est devenu, au propre comme au figuré, un mur infranchissable. Ce sera peut être l'objet d'une autre analyse un autre jour, nous verrons. Ici, l’objectif est d’esquisser la nécessité de parler de cela. En quoi cet indicible est le symbole caché de l’ensemble des paradoxes, inégalités, injustices que nous vivons aujourd’hui, chacun, en tant qu’hommes dans ce monde.

Je prétends que la relation qu'entretient l'Etat d'Israël avec les palestiniens est l'archétype de la relation conflictuelle qui lie aujourd'hui tout citoyen vis à vis de son État, et, plus généralement, tout prolétaire contemporain vis à vis de l'entreprise (the corporation) qui le fait vivre. Et le véritable conflit qu'il ne s'agit pas d'importer et qui risquerait de s'importer si on examinait cette situation est bien au cœur de cette relation.

Mais quelle est elle, précisément, cette relation ? C'est une relation qui repose sur la revendication au droit politique et la négation dans la violence de cette revendication. En effet, ce qui est nié aux palestiniens, c'est la reconnaissance en tant que sujets politiques autonomes. Et ce que revendiquent les palestiniens, c'est ce droit politique humain fondamental, ce droit qui est la définition même de l'homme en tant qu'animal politique, le droit au contrat social. C'est à dire, le droit de se reconnaître comme appartenant à une communauté et ce qui en découle, l'élaboration de règles communes codifiant et fondant cette communauté.

Il n'est logiquement pas possible à l'Etat d'israël de reconnaître aux palestinien ce droit puisqu'il supposerait d'accepter de donner un corps, une forme, à des individus qui lui sont, historiquement et organiquement, opposés. Car la seule chose que peut accepter un État c'est un accroissement de sa puissance, non une diminution, jamais. Or tout corps politique qui se constituerait autours d'un contrat social palestinien ne pourrait qu'entraîner une diminution de fait de la puissance de l'Etat d'israël.

Et cela, cette négation totale et absolue d'une reconnaissance des communautés humaines réelles, vivantes et désirantes, est bien le cœur de l'éthique politique et économique de l'empire dans lequel nous vivons tous. Il est certain que le degré de violence auquel est exposé la population palestinienne dans la négation de ce droit peut donner l'impression que le parallèle est faible ou boiteux. Mais en vérité, la violence des délocalisations d'entreprise, la violence structurelle de l'entreprise et la violence symbolique à laquelle sont exposés quotidiennement nos consciences au travers des mass-médias et de la publicité sont équivalentes et égales ontologiquement et téléogiquement aux massacres physiques perpétrés à Gaza. Le meurtre des consciences est simplement plus propre et plus discret que celui des corps, mais le résultat est le même. Une soumission et la perpétuation d'un ordre politique fondé, non sur la liberté, mais sur la production et son corolaire à l'échelle individuelle, la consommation.

Nous ne sommes plus citoyens, mais des consommateurs et cela depuis longtemps. Toute les sphères d'activités humaines sont des produits, ce n'est pas nouveau. Mais pour être plus proche de la vérité, il faudrait aller plus loin et dire que ce sont maintenant les humains eux-mêmes qui sont devenus des meta-produits. L'homme est devenu un objet pour l'entreprise, mais un objet d'un type particulier. Un objet qui n'a de valeur qu'autant qu'il désire et est accolé à de la marchandise. Tout autre homme que le consommateur, c’est à dire la marchandise accolée à l’homme est illégal. Tout ce qui ne tend pas à de l’accroissement de marchandise (par l’action du commerce ou par la transformation de l’être en étant commercialisable) est illégal.

Aucune lutte revendiquant un droit autre qu'un droit protégeant le consommateur ne sera jamais tolérée, ni acceptée, ni discutée. Toutes seront rendues illégitimes et, dans le meilleur des cas, étouffées et, dans le pire, des cas réprimées. Les champs politiques et économiques ont été cloisonnés et reproduisent à l'identique la relation qu'entretient l'Etat d'Israël à l'égard des palestiniens et de leurs luttes. Il est éminemment faux de croire que ce qui se joue dans cette relation repose sur des principes religieux. Cela fait parti des tactiques et stratégies susmentionnées destinées à brouiller la vue et à empêcher de s'approcher de la question. Cela ne signifie bien sur pas que nombre d'acteurs et de mains ensanglantées de part et d'autres ne sont pas réellement convaincu du bien fondé religieux de leurs actions. Mais enfin, c'est l'état major qui représente le mieux la vérité de sa guerre, pas le troufion. Ce qui se joue là-bas comme partout c'est la survie du système à tout prix.

Le monde est le théâtre d'un apartheid généralisé divisé entre des consommateurs et les derniers hommes. Et ceux-là sont écrasés par la machinerie tout puissante d'un empire qui se trouve au faîte de sa puissance. La guerre de tous contre tous dont s'inquiétait Hobbes est plus que jamais la vérité de ce monde. L’État moderne, ainsi que l'avait crié Bernanos, n’était pas son vaccin, mais bien son prophète et sanglant exécutant.

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