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Déterminées, elles sont prêtes à faire entendre leur voix, leur colère et leur espoir ; à Paris, à Albi, ou à Annecy, les femmes se mobilisent. Leurs voix transcendent même l’Atlantique : les mobilisations voyagent jusqu’en Martinique. Au total, plus de 50 manifestations ont eu lieu dans le pays, coorganisées par le comité féministe Nous Toutes. Dans la capitale, elle débutait son trajet à gare du Nord, faisait une escale à République et posait ses valises Place de la Bastille, sur les marches de l’Opéra.
Les roses n’effaceront pas les bleus
La marche commence avec quasiment une heure de retard. À 15 h pétantes, au 59 boulevard Magenta, un camion bruyant et joliment vêtu annonce la couleur. Les manteaux et les écharpes, les paillettes sur les pommettes, les ballons qui dansent au rythme des bourrasques, les stickers, goodies et pancartes en tous genres (liste non-exhaustive) : violets. Tout est violet. Aujourd’hui, Paris est monochrome, mais loin d’être monotone.
« Un viol ou tentative de viol toutes les 2 minutes 30 »
Revenons à nos camions. Une playlist 100 % féminine avec Rosalia, Diams, Gala, Lily Allen et son mythique doigt d’honneur, et le fameux titre Club Ouin Ouin de Camion Bip Bip. Une énorme pancarte orne le capot : Patriarcat au feu. Le thème, c’est donc une révolte violacée sur fond de techno et reggaeton.
Les militantes et bénévoles du collectif Nous Toutes se retrouvent, sourire et rage aux lèvres. Une sirène alarmante, semblable à celle du premier mercredi du mois, retentit d’un coup. La militante sur le camion entame son discours, et explique que la sirène sonnera toutes les deux minutes trente, chaque fois qu’une femme sera victime d’un viol ou d’une tentative de viol. Au cours de sa prise de parole, d’environ cinq minutes, la sonnerie aura retenti trois fois.
Un engagement perpétuel
On y rencontre Solène, membre du comité 10/11e (Nous Toutes compte un comité national et des comités répartis par communes, départements ou arrondissements) en charge de tenir la grande banderole qui ouvrira la marche. Elle nous raconte la dernière manifestation à laquelle elle a assisté, celle du 8 mars dernier. Solène travaille à la mairie du 14e, "dans le social", elle est fan des Vulves assassines et de photographie. Six Stickers sur la doudoune et une énorme écharpe au tour du cou, elle n’a pas froid aux yeux.
À ses côtés, Naïma est accompagnée de Sarah, sa fille de 16 ans. Sarah, les paupières parsemées de rose, suit sa mère en manif depuis l’âge de 3 ans. « Je pense qu’en tant que maman, on a la responsabilité d’éduquer nos filles, et surtout nos fils, et de les sensibiliser à cette cause. » Explique Naïma. Sarah poursuit : « si je fais un sondage dans mon lycée, personne ne sera assez sensibilisé pour parler correctement de féminisme et de violences faites aux femmes. »
Un événement politisé et médiatisé
Une horde de photographes et de journalistes se passent le relais. France Info, France Bleu, Têtu, Libération…
Après 15 minutes de marche, le premier embouteillage se fait voir. Un attroupement en tête de cortège se précipite vers le stand des députés de La France Insoumise. Mathilde Panot, Louis Boyard, Danièle Obono, Antoine Léaument et Ersilia Soudais, font la pose et discutent avec les personnes présentes.
Pour un féministe antiraciste, antifasciste (& Cie)
Au bout d’une heure et demie, le cortège arrive place de la République. Après un show de militantes sur le camion, l’ambiance devient d’un coup moins festive : « on nous apprend que les fachos sont présents, alors répétez après moi, sciamo tutti Antifascisti ! » Les milliers de manifestantes entonnent alors le fameux slogan révolutionnaire italien.
Comme dans beaucoup de manifestations, les causes forment une chaîne abstraite. Les hymnes féministes et antifascistes croisent les chants écologistes et ceux que l’on entendait déjà en 2023 lors des rassemblements contre la réforme des retraites : « retraite, climat, même combat. Pas de retraités sur une planète brûlée. » Avec un fond sonore atteignant les 150 BPM. Les rimes et les assonances viennent embellir un discours lourd et exsangue. La révolte devient mélodieuse, limite mielleuse, quasi heureuse.
Rendez-nous Edouard Durand
Une ribambelle d’enfants, sur les épaules de leur parents, ou a pieds comme des grands, tiennent à deux bras la même pancarte : Un·e enfant n’est jamais consentant·e. L’une des enfants, lunettes rondes sur le bout du nez et le pas décidé, se trouve en première file, à la tête du cortège, côte à côte avec les manifestantes qui ouvrent la marche arborant une énorme banderole : Féministes uni·es contre les violences de genre.
M. Tout le Monde
Une pancarte recto verso à la main et la voix bien hissée, Iris reprend les mots de la militante au micro, qui aborde le sujet Pélicot. Au cours de ce reportage, une remarque revenait souvent, presque constamment, lors des interviews. Iris l’explique avec brio : « ce procès permet de mettre en lumière que le violeur, c’est M. Tout le monde. »
Cette violence systémique, nichée depuis toujours dans les confins d’une société patriarcale difficilement révocable, est mise en lumière dans ce procès. « Ceux qui ne voulaient pas vraiment voir, vont être obligés de regarder (cf. VSS et Procès Pélicot). On pourra faire la différence entre ceux qui choisissent de ne pas regarder et ceux qui commencent à prendre conscience. »
Elle conclut son discours par une phrase qui mérite d’être adage : « On a besoin des hommes dans le féminisme. Ils représentent la moitié de l’humanité, il nous faut une majorité absolue pour faire une révolution ! »
Son amie Amélie ajoute avec dépit, « Mme Pélicot, c’est un peu triste comme terme, c’est la victime parfaite. » Selon elle, le procès peut être un levier quant au fait de contrer les prétendues justifications face à une accusation de viol.
Femmes, vie, liberté
La déferlante s’exile à l’international. On est à Paris, boulevard Beaumarchais, mais les esprits sont en Iran, à Téhéran. Un collectif se fait remarquer grâce aux bandeaux mauves autour de leur tête, avec comme inscription le slogan féministe des femmes iraniennes, scandé à chaque protestation. Le message est clair : « so… so… solidarité avec les femmes du monde entier ».
Et les hommes dans tout ça ?
Amir pense que le procès aura un « mini impact, mais qu’il sera quand même susceptible d’éviter 1, 2 ou 3 viols. »
En face de la Bastille, un groupe de trois jeunes hommes, Antoine, Léo et Rafael, tiennent chacun à bout de mains une pancarte violette. Ils lisent leur pancarte à voix haute : Plainte ou pas, je te crois. « On se portera toujours du côté des victimes. » affirme Antoine, le jeune homme en veste en jean.
Son ami Léo déroule un discours très complet en lien avec sa pancarte Not all men, mais toujours un homme : « Les hommes sont des violeurs en puissance, ils ont baigné dans une culture patriarcale depuis leur naissance. {L’ère} #MeToo a changé les choses ; j’espère que l’affaire Pélicot fera évoluer les consciences. C’est à nous de prendre conscience de ça et de prouver qu’on est du côté des femmes ».
Enfin, Rafael tente de défier les codes : « En tant qu’homme, on doit remettre notre comportement en question au quotidien : entre potes, dans notre cercle familial, au travail, en soirée (alcool ou pas). » Sa pancarte à lui concernait le consentement, un consentement libre, éclairé, réversible et spécifique.
On ne naît pas femme, mais on en meurt
18 h, fin de la marche. Les banderoles se replient, les camions se garent, et les manifestantes se dispersent sur la Place de la Bastille.
Néanmoins, certaines militantes s’affairent. Elles gravissent avec entrain les marches de l’Opéra Garnier, s’alignent le long de marches, de haut en bas, et déroulent une immense banderole rouge présentant une multitude d’inscriptions, écrites en blancs. Vingt, certainement trente mètres recouvrent l’escalier de l’édifice. Elles entonnent un chant solennel qu’elles ponctuent d’un slogan : Pas une de plus. Les inscriptions blanches représentent les 1012 noms des femmes victimes de féminicides depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron. L’émoi est au rendez-vous, les gorges se tordent, les yeux se ferment, les larmes s’évadent. C’est le moment symbolique de toute fin de manifestation féministe, destiné à rendre hommage à celles qui n’ont pas pu s’exprimer ce jour-là. Dans le jargon, cela s’appelle un femmage.
La soirée s’achèvera sur les mots de l’actrice Judith Godrèche, instigatrice du mouvement #MeToo Cinéma, elle aussi victime de violences sexistes et sexuelles dès le plus jeune âge. Les manifestantes rentreront ensemble, dans un élan de solidarité, avide d’une nouvelle liberté, en se promettant de se retrouver pour la prochaine journée qui leur sera dédiée, le 8 mars prochain.
Shiryne Martinez