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Plongé soudainement dans l'univers des adultes, l’œuvre de Louise Courvoisier illustre la difficile transition entre l'insouciance de la jeunesse et le poids des responsabilités. Si le décès du père survient après seulement 15 minutes, rien n'est dit sur la présence maternelle, laissant ainsi le spectateur dans l'incertitude et Totone, orphelin, seul face à lui-même.
Au fil de ce récit initiatique, Totone, à l’instar du comté, s’affine avec le temps. Après avoir été licencié de son poste, il part à la recherche des 30 000 euros, récompense promise au gagnant du concours. Un défi ambitieux, mais laborieux : pour faire du comté, il faut du lait ; pour faire du lait, il faut une vache. Totone n’a ni comté, ni lait, ni vache ; il décide donc de voler le lait de Marie-Lise, sa copine. Cette aventure crée des liens, et en dénoue d’autres. Si le scénario vacille entre devoirs et bêtises enfantines, il confronte également le protagoniste à d’autres facettes de la vie : amitié, éducation, sexualité, et… certification AOP.
Quand la campagne s’invite à Cannes
Le film s’ouvre en pleine fête de village : techno en fond sonore, clope au bec, bière à la main, caleçon freegun, et chants paillards. L’ambiance authentique et décalée ne se fait pas attendre. Et pour cause, les acteurs ne sont qu’amateurs, recrutés dans leur lycée agricole, le casting n’était « qu’une blague entre copines » déclare Maïwène Barthelemy (Marie-Lise). Le jeu d’acteur est néanmoins remarquable, notamment lors d’une séquence réalisée en une seule prise, dans laquelle l’actrice fait naître un veau ; un moment où l'expertise agricole se mêle parfaitement à la fiction. Sans être voués à une carrière d’acteurs, le succès légitime du film les aura menés du Jura au prestigieux Festival de Cannes.
Vingt Dieux dresse le portrait d’une jeunesse paysanne, précaire et solidaire, où le groupe d’amis, unis par une coupe au bol assez cocasse, dynamise la trame tout en apportant une dimension émotive, parfois comique. Les dialogues sont quant à eux très directs, francs, sans artifices, et vont droit au but : tout est franc, sous fond de patois et accent franc-comtois.
Une réalité brillamment illustrée
De bout en bout, les personnages font face à une existence rude et désenchantée, reflet d’une réalité partagée dans toute la France, soigneusement mise en images par Louise Courvoisier. Totone, au cœur d’un récit touchant, se distingue par une résilience à toute épreuve. Malgré sa stature modeste et son allure frêle, sa ténacité force l’admiration.
Le premier long-métrage de la réalisatrice ne cherche pas à dépeindre une campagne idyllique ou pittoresque, ni à privilégier l'esthétique visuelle ; son objectif est avant tout d'atteindre un réalisme brut et saisissant. Bien que l’intrigue soit originale, elle s’avère, malheureusement, ancrée dans une réalité rurale dure et implacable. Bien que baigné dans la tristesse, le film ne dévoile aucune larme à l'écran, seules celles du spectateur s’écoulent en silence.