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Billet de blog 9 février 2017

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Le fleuve des mots creuse son lit

Des personnes allongées, j’en vois beaucoup dans l’unité de soins palliatif où l’interviens comme accompagnant bénévole. Elles parlent peu de leur souffrance car elles sont justement là pour qu’on la traite, à défaut d’autre intervention. Leur but est d’enfin oublier ce qui les a habitées durant de longs mois voire de longues années.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet homme-là m’a pourtant accueilli en racontant cette souffrance : ses mots évoquaient l’accouchement. « Je souffre autant que ma mère à ma naissance ». Une expression hachée, presque violente, accompagnée d’une colère rentrée contre l’impuissance des médecins, la sienne et la mienne à traiter ce mal.

J’ai laissé couler les mots, hésitant et tournant autour la douleur d’une femme comme une obsession. Puis, l’une entrainant l’autre, ces paroles qui décrivaient la brulure dans sa poitrine nous ont fait migrer vers son pays d’origine. Pays d’Afrique qui « fut français » dit-il … puis ils nous ont mené dans une vie professionnelle dont les chaos sont à la mesure de la longueur. Je n’ai pas osé l’interroger sur sa douleur, de peur de la réveiller. Tout juste une grimace accompagnait-elle un hoquet qui visiblement le faisait souffrir.

Quand le silence s’est installé, je m’y suis senti bien.

Curieusement apaisé au rythme de cette douleur qui ne s’exprimait plus. Il a tendu ses mains et nous sommes restés un long moment, le vieil homme et moi, face au Véleda sur lequel la date du jour est tracée, pour rester ancré dans le moment. Sous la date, une phrase écrite par ses petits-enfants … une phrase de lui un peu sentencieuse.

« Vous parlez comme un professeur »ai-je dit assez piteusement. Un regard de sa part, son premier regard, un sourire, son premier sourire : « ce ne sont que des mots … comme pour vous ». Le sourire était moqueur mais les mains sont restées serrées.

« Allez, Je vous ai assez importuné ». C’est ainsi qu’il m’a congédié. C’est le rôle des bénévoles d’être ainsi renvoyés, une fois la parole ou le silence échangé, voire la colère exprimée. Les mains se sont quittées, puis il s’est assis sur son lit, a regardé autour de lui comme s’il découvrait la chambre. Plus tard je devais l’apercevoir assis sur le large fauteuil face à la fenêtre au paysage gris. Assis comme pour une petite victoire.

Qu’en retenir pour nos coachés ?

-        Laisser avec patience la parole s’installer comme un fleuve creuse son lit.

-         Permettre le poids du silence qui laisse aux mains l’opportunité de se nouer. Non pas un silence que l’on utilise, mais un silence que l’on savoure

-        Ne pas se vouloir intelligent et laisser accepter l’ironie de l’autre, car c’est bien l’autre qui au centre de l’échange

-        … et surtout, surtout, prendre plaisir à la rencontre. Prendre plaisir plutôt que de vouloir aider. L’aide se concrétisera, à sa mesure, avec ou sans nous.  

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