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Billet de blog 29 avril 2017

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Lettre aux corses qui veulent voter Le Pen …

La Corse a voté massivement pour Marine Le Pen lors de ce premier tour des présidentielles. Au delà des caricatures, les électeurs corses ont le pouvoir de relever la tête. Non pour leur image mais pour eux mêmes, leurs convictions, leur engagement séculaire.

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Chacun y va de sa contribution à la veille d’un scrutin majeur. Je le ferai sans grand espoir, mais avec la conviction d’honorer mes parents qui l’un et l’autre participèrent à libérer la Corse … Honorer la mémoire des uns et contribuer à la vieillesse sereine des autres. Je veux lutter, avec mes armes, contre le vote Le Pen ...

Mais j’écris aussi cette lettre car je ne me résoudrai jamais à rejeter quiconque sans avoir tenté de le convaincre. J’essaierai encore et toujours de comprendre.

Alors électeurs de Le Pen, je me fous totalement que la Corse se soit distinguée par l’ampleur de son vote frontiste : les tableaux d’honneur électoraux m’indiffèrent. Je veux en revanche que chacune et chacun d’entre vous s’interroge en conscience, point par point. Que l’on sorte de ce présupposé d’imbécilité attribué à ceux qui ne pensent pas comme nous. Je veux croire en votre intelligence.

Pour beaucoup de Corses, « les présidentielles ne nous concernent pas » : n’ignorons pas d’abord que le prochain quinquennat sera déterminant pour la Corse, c’est déjà un argument suffisant. Mais, au-delà de cela, va-t-on se laver les mains face celle ou celui qui sera à la tête d’une des premières puissances mondiales. Celle ou celui qui aura l’arme atomique entre les mains. Celle ou celui qui jouera ou non de l’article 16. Si la vie m’avait autorisé à voter contre Trump alors que je ne me sens pas américain, je l’aurais fait. Comme j’aurais voté contre le Brexit. Comme je me serais battu contre « l’élection » de Poutine … Nous sommes dans un combat universel, ne refusons pas d’y jouer un rôle.

Pour d’autres, « le vote Le Pen est le vote des exclus ». C’est en partie vrai mais laissera-t-on sans lutter, ces mêmes exclus voter pour leur exclusion encore plus massive. Marine Le Pen, distribuant ses sourires aux grévistes de Whirlpool renvoie à l’image des généraux de 14 surveillant à cheval les soldats qu’ils enverraient à l’abattoir. Les « pauvres » sont des mannequins à selfies pour cette femme politique qui a toujours vécu dans l’opulence.

« Gauche comme droite se sont fait voler cette élection » : les uns voulaient l’alternance, les autres la vérité de leur vote de 2012. Au même niveau, de nombreux français se sont sentis floués en 2002 quand le père Le Pen s’est retrouvé au second tour de la présidentielle… Et pourtant, Ils ont voté, clairement, sans honte. Ils ont voté contre le danger fasciste quand celui-ci n’était qu’un tigre de papier. Aujourd’hui, le danger est réel et les « voleurs de scrutin » ne sont pas ceux que l’on croit.

« Nous ne voulons pas en reprendre pour cinq ans » : alors votons. Les législatives sont là pour assurer les troisième et quatrième tour, avec une représentation au plus près de la population. Il est clairement préférable que l’assemblée nationale, de quelque couleur qu’elle soit, s’exprime sans risque d’oukase présidentiel, de menace au référendum à tout crin … ou de 49.3 d’ailleurs.  

« Marine Le Pen respecte nos identités » : le simple pluriel employé montre qu’elle ne respecte en fait que le folklore et les aspects les plus reculés de ces identités, dont la nôtre. Elle a pour la Corse les sourires du fascisme italien de naguère : il fallut peu pour se rendre compte de cette escroquerie politique et l’île fut la première à mettre dehors fascistes et nazis, ne l’oublions pas.

« Elle va protéger la France en fermant les frontières » : elle aura bien du mal à le faire pour une île … Mais, au-delà de cette évidence, quid de notre avenir avec la Sardaigne, la Toscane, les régions qui naturellement ont toujours commercé avec nous avant que, justement, les frontières se ferment jusqu’à étrangler notre économie.

« Elle va nous protéger de l’Europe » : L’Europe de demain sera constituée de la Catalogne, du Pays Basque, de l’Ecosse … C’est inéluctable alors que Le Pen veut l’Europe des Etats, ou pas d’Europe du tout. Ce qui demain peut et doit devenir protecteur pour nos régions et nos pays, redeviendrait le carcan jacobin où l’on nous mesurera encore et toujours à l’aune de l’Ariège ou du Cantal, plutôt qu’à celle des régions qui nous sont réellement proches.

« Elle nous protège du terrorisme » : seule la démocratie protège du terrorisme, seule la force tranquille le fait. N’oublions pas que les Corses furent les dernières et principales cibles de la Cour de Sureté de l’Etat. Les coups de mentons ne protègent pas mais ils désignent. A la faveur d’un revirement diplomatique que les Trump et Poutine savent effectuer, les islamistes seront peut-être oubliés. Nous, jamais …

« Elle est garante de valeurs morales » : je veux penser que la Corse s’inscrit dans les valeurs de tolérance, d’acceptation de l’autre éclairées par le siècle des Lumières, le siècle de Paoli. Elle l’a montré dans l’accueil protecteur qu’elle a réservé aux juifs, l’intégration  qu’elle a pratiquée pour les italiens et espagnols, réfugiés économiques ou politiques … et l’accueil tranquille de bien des villes et villages pour l’immigration d’Afrique quand on ne cherche pas à l’instrumentaliser. Non, la Corse a mieux à faire que chercher Marine Le Pen pour réguler sa société, dans la tolérance.

« Marine Le Pen est garante d’une société traditionnelle » : la Corse est elle-même, ni chrétienne ni d’autre religion, elle accueille ceux qui croient et ne croient pas sur un chemin qui lui est propre. Je pense même que les pères Noël, fêtes des mères ou père, Halloween (!!) voire même les crèches dans leur conception actuelle ne relèvent d’aucune tradition ancrée. Célébrons ce que nous croyons bon de célébrer comme nous l’avons fait jusqu’à présent, mêlant sacré et païen sans que Madame Le Pen vienne y fourrer son idolâtrie à Jeanne d’Arc ou Richelieu.  

Voilà en quelques mots ma conviction. Rares sont les occasions de relever collectivement la tête. La Corse l’a fait plus souvent que d’autres. J’espère de tout cœur qu’elle le fera cette fois-ci encore pour l’honneur et la raison. 

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