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Billet de blog 29 janvier 2017

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Enfant de réfugiés, je me présente devant vous comme votre Président

Dans son discours d'investiture, le nouveau président de l'Autriche a rappelé qu'il est arrivé dans ce pays en tant que réfugié et qu'il en est aujourd'hui le Président. Rassembleur, il invite à ne pas avoir peur et à bâtir l'avenir en s'appuyant sur les droits humains: égalité, liberté, solidarité. Voici, en français, le discours qu'il a tenu devant l'assemblée nationale le 27 janvier 2017.

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Illustration 1
Discours d 'investiture du nouveau président autrichien Alexander Van der Bellen devant l'assemblée nationale autrichienne à Vienne le 26 janvier 2017 © ORF 2

Madame la Présidente du Conseil national, madame la Présidente du conseil fédéral, chère assemblée, mes chers invités d'honneur ici dans cette salle, à l'extérieur devant les téléviseurs, devant la radio peut-être, chers Autrichiennes et Autrichiens, chers concitoyennes et concitoyens étrangers de ce pays,

J'ai ici comme un sentiment d'irréalité. Non pas à cause de la campagne électorale (se tourne vers Norbert Hofer) qui était en fait en grande partie fort agréable, je suis ici avec une grande joie et une grande confiance. Car finalement, pourrait-on me dire, tu es maintenant enfin arrivé. Mes parents n'étaient pas des Autrichiens indigènes. Je suis venu au monde comme enfant de réfugiés. Transporté de Vienne dans le Tyrol, dans le Kaunertal – j'étais un bébé-, j'ai grandi là-bas, je suis allé à l'école à Innsbruck, et ainsi de suite.

Et maintenant je peux me présenter devant vous comme votre Président (met la main sur le coeur). C'est un honneur particulier pour moi, une joie. Et cela me remplit, comment dois-je dire, du sentiment que l'Autriche est effectivement un pays qui ouvre des possibles, un pays, pour reprendre cette métaphore, de possibilités illimitées. Nous devrions toujours nous souvenir de cela et ne pas nous rapetisser.

Bien sûr, je suis ici devant vous parce que des centaines de milliers d'électrices et d'électeurs m'ont pour ainsi dire porté à cette fonction, presque littéralement. Je les remercie chaleureusement. Doris [ndlt: sa compagne], nous avons atteint ce but ensemble, sans toi cela n'aurait pas été possible, merci.

Mais d'une manière générale, nous pouvons, je crois, nous réjouir que, contre tous les oiseaux de mauvais présage, la participation a non seulement été élevée, mais a même augmenté tout au long de ces tours de scrutin. Par rapport aux standards internationaux, nous n'avons pas à avoir de complexes. Il y a eu une très forte participation qui montre que les êtres humains, les gens dans ce pays s'intéressent à la politique, ou du moins que l'on peut susciter leur intérêt.

Je voudrais exprimer mon respect – quelles que soient nos différences que vous connaissez de toute façon – à mon compétiteur, Monsieur Hofer. C'était vraiment une performance remarquable.

Et je voudrais particulièrement saluer l'ancien Président, Monsieur Fischer. Cher Heinz, tu as consacré ta vie, du moins ta vie adulte, au service de la République. Tu as rempli de hautes et très hautes fonctions avec succès. Récemment douze ans comme Président. Je crois que je parle au nom de tous si je te dis un grand grand merci.

Mesdames et messieurs, je suis bien sûr aussi tout à fait conscient qu'à partir d'aujourd'hui au plus tard, je représente aussi celles et ceux qui pendant cette longue campagne électorale et quelles que soient les raisons, ne m'ont pas soutenu. Et j'essaierai en toute connaissance de cause de tenir compte d'eux, y compris dans ma politique, en toute connaissance de cause.

Ce discours du clivage, je le considère comme démesurément exagéré. L'Autriche, c'est simplement nous tous, tous les habitants et les habitantes de ce beau pays, peu importe d'où ils viennent, de Vienne, de Graz, de Salzbourg, du Kaunertal, de Pinkafeld par exemple et d'autres coins de notre beau pays. Peu importe aussi qui ces habitants et habitantes aiment -eux-mêmes j'espère !- , qu'ils aiment un homme ou une femme, qu'ils soient des hommes ou des femmes. Qu'ils aiment la ville ou la campagne, ou leur smartphone, ou tout cela à la fois.

Peu importe aussi -en principe- qu'ils aient encore leur vie devant eux -je ferai à la fin un appel à la jeunesse – ou qu'ils puissent déjà faire le bilan d'une vie bien remplie. Que leur famille soit déjà ici depuis des générations ou pas encore, cela nous est complètement égal. Nous sommes Autrichiennes et Autrichiens, égaux en droits et en devoirs, dans toute notre richesse, toute notre diversité que j'aime tant, mais égaux en droits et devoirs. Nous formons un tout et nous sommes liés les uns aux autres. Chacun est aussi fort que l'ensemble réuni, surtout dans les temps difficiles que nous affrontons.

C'est naturel que lorsque trois personnes tiennent des discours plus ou moins courts sans se consulter, que ces discours se répètent. Je suis en train de chercher quelques chose pour raccourcir. Nous étions d'accord, je crois, les deux Présidentes et moi, que nous vivons dans une époque de changement. Une époque de changement dans laquelle les certitudes éprouvées, les recettes éprouvées, ne marchent plus comme dans le passé, et dans laquelle il faut trouver et créer quelque chose de nouveau sans que l'on sache clairement quoi. Nous nous trouvons d'une certaine manière dans une époque entre deux époques.

Je n'énumère pas tout, beaucoup de choses ont déjà été dites : l'automatisation, les réseaux, l'exil, les migrations, le progrès scientifique aussi qui nous met en partie devant des questions toutes nouvelles d'un point de vue éthique et moral. Et tout ça dans une Europe qui, face aux nationalismes et aux égoïsmes à court terme, se bat pour sa reconnaissance, peut-être même pour son existence. Ebranlée aussi par les actes méprisables de la terreur internationale. Last but not least le changement climatique, avec les conséquences que l'on connaît dans le monde entier, y compris chez nous dans les Alpes.

Ces changements sont vraiment préoccupants. Beaucoup font peur. Le changement est nécessaire, mais il fait peur. Je me souviens du jour où pour la première fois je me suis retrouvé sur le plongeon de trois mètres à la piscine, c'était ma première année d'école. Il m'a fallu me dépasser. Cela ne m'a procuré aucune joie. Mais j'avais déjà le sentiment que si je voulais avancer, je devais sauter, mais je ne savais pas ce qui allait m'arriver – je ne prétends pas qu'à onze ans, on pense ainsi mais je pense intuitivement que je me suis dit la chose suivante : est-ce qu'au moins la piscine est suffisamment grande pour que je tombe dedans, et à combien de mètres vais-je descendre et est-ce que je vais remonter à la surface ?

Et dans la plupart des cas, l'enfant ose faire ce pas. Moi personnellement je suis même allé jusqu'à cinq mètres. A sept mètres, j'ai refusé, j'avoue. Pourquoi osons nous franchir de tels pas ? Parce que la confiance est plus forte que le doute que l'on ressent. Les doutes et la confiance. Est-ce que je vais y arriver, oui, je devrais y arriver. Le doute est justifié et nécessaire dans divers domaines. Par exemple dans la recherche, c'est le pain quotidien, je dois pouvoir douter de tout pour trouver quelque chose de nouveau. Mais dans la vie quotidienne, la confiance est au moins aussi importante, afin que l'on croie et puisse croire qu'une amélioration est possible. Cette confiance nous permet de faire le prochain pas en avant.

Et je vous demande d'être confiants, vous en tant qu'hommes et femmes politiques, mais pas seulement, vous toutes et tous qui nous écoutez en ce moment. Cette Autriche est un pays incroyable. Les Autrichiennes et les Autrichiens ont souvent montré qu'ils sont capables de relever les défis, quelle que soit leur taille. D'ailleurs dans notre hymne national, on dit, si je me souviens bien, « joyeux au travail et riche d'espoir », troisième strophe, j'espère que je ne me trompe pas. Ce ne sont pas des paroles en l'air. Je suis assez âgé pour avoir vécu beaucoup de choses. Je sais et j'ai vu comment, après la guerre, l'Autriche a été reconstruite, comment la constitution a été mise en place, comment le miracle économique ne s'est pas fait tout seul, j'ai vu l'entrée dans l'Union Européenne et d'autres pas importants, toujours portés par l'attitude confiante que la situation peut et va s'améliorer. (...)

Mais dans ce contexte c'est important de porter aussi notre regard sur ce qui, espérons-le, ne changera pas. C'est-à-dire sur nos principes fondamentaux. Le fondement des piliers centraux de notre République, d'une sorte de credo. A savoir que la liberté et la dignité de l'homme sont universelles et indivisibles. Que tous les êtres humains sont nés libres et égaux en droit, que ces droits humains valent de manière illimitée. A chaque fois que vous accédez au parlement par la rampe, vous voyez la déclarations des droits de l'homme sur ce beau tableau. Que le privilégié ait la sagesse d'aider le plus faible et de ne pas abuser de sa position de force. Nous sommes responsables des autres êtres humains avec lesquels nous vivons. L'entendement humain ne peut être sain sans empathie. C'est notre devoir en tant qu'être humain d'aider ceux qui sont dans le besoin, indépendamment du fait de savoir s'ils sont nationaux ou étrangers. Mais bien sûr, celui qui cherche de l'aide chez nous, doit respecter les valeurs de notre Etat de droit qui ne sont pas négociables.

En d'autres mots, je cite un peu 1789, nous croyons en la liberté, l'égalité, la solidarité et surtout en la capacité de l'Autriche et en ce qui a fortifié cette Autriche et l'Europe dans le passé. Sur ces valeurs fondatrices, nous pouvons construire. (…)

Voilà le mot de la fin : soyez courageux dans l'époque qui arrive. Vive notre avenir, pacifiste et européen , vive notre République l'Autriche ! Je vous remercie.

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Vous pouvez retrouver la vidéo du discours d'Alexander Van der Bellen ici.

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