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Billet de blog 4 juin 2011

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le cendrier d'Arthur

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bonjour!

Ainsi vous ne connaissez pas Arthur? Quelle tristesse!

C'était un petit bonhomme, qui jamais n'éprouva le besoin de se rehausser.

Petit par la taille. Petit par son "bagage culturel"; dame, il avait toujours préféré les lapins au calcul et à l'écriture (donc foin des "excellences universitaires"). Bien sûr, il savait tout des plantes, des hirondelles, du temps qu'il fait, du temps qu'il faut...

Petit par le statut social. Pas "la france d'en bas"comme le disent ceux qui marchent sur l'homme comme on piétine une merde, mais dans un à-côté tout personnel.

Il fut, dès l'âge de dix ans et jusqu'à sa retraite à 65 ans, chauffeur. Non pas sur un quinze tonnes et trois essieux, non, tu parles, le permis! Faut savoir lire, n'est-ce pas? Chauffeur, dans les usines textiles à l'ancienne, c'est le gars qui, dès quatre heures du matin, convoie les pelletées d'anthracite du tas qui semble n'en jamais finir à la gueule rougoyante de la chaudière à vapeur. Car oui, il fallait bien que les machines, cardeuses, tisseuses, déchiqueteuses aient, à six heures tapantes, à l'"embauche", leur quota gourmand de pression, au moment où, lestés d'un jus arrosé, les ouvriers prenaient leur poste.

L'ami Tutur, pendant cinquante cinq ans, a bourré les chaudières; quelques brefs instants de pause, pour s'en rouler une, du gris, bien sûr; à l'époque il n'était pas plus interdit de s'encrasser les poumons avec la poussière de houille que d'en rajouter avec le mégot pendouillant savamment entretenu. Pas un arrêt de travail, pas un raté; question de fierté. Quand il rentrait chez lui, mon voisin adoré; il cassait une croûte, sortait au printemps sa faux ébréchée, allait saccager quelques talus ou mes plantations d'enfant dans la pelouse familiale; pour nourrir ses lapins chéris. Et puis il vaquait; à quoi, on ne sait trop; et puis il allait s'envoyer au comptoir un petit verre -jamais trop, fils!-, histoire de nettoyer une arrière-gorge sépulcrale.

Ainsi allait la vie d'Arthur...

Nous étions des amis; va savoir pourquoi; parce que c'était lui, parce que c'était moi.... En mon adolescence, je crois que j'avais grand besoin de ces autres images que n'apporte pas une famille "propre sur elle". Nous devisions, dans sa cuisne, de tout, de rien, autour d'un verre longuement siroté; du picon-bière, je crois me souvenir.

Un jour, il me raconte qu'il va devoir retapisser cette cuisine. Tiens, il avait enfin vu à quel point la tapisserie, on ne la voyait plus que par lambeaux, entre les volutes grasses de la suie du poêle à bois! Idem la salle à manger, inutilisée ou peu s'en faut, tachée, elle par le salpêtre, l'ennui et la moisissure. Mais voilà, Tutur, si fin en matière des choses du monde, si fûté pour tant de choses, était un maladroit de première... Je lui avais donc proposé de prendre les choses en main, ce qu'il avait accepté avec soulagement.

Chantier jovial, "expert" de mon côté, brouillon du sien. Ce fut dit, ce fut fait et bien fait; flambant neuf, en route pour quarante autres années d'encrassement du papier à grandes fleurs hideuses et mordorées!

Voilà t-y pas qu'il s'était mis en tête de me payer. Le combat du refus devint homérique, la négociation serrée autour de la quantité de canettes dont il me gratifiait, de notre amitié qui impliquait la solidarité... J'ai cru lontemps avoir gagné, losqu'il scella notre accord d'un cendier en verre, joli au demeurant.

Trente ans plus tard, un jour où je lave ce cendrier pour la dix millième fois, je m'avise d'une regrettable griffure sur le verre, jusque là inaperçue; En y regardant de plus près, je suis saisi de stupeur; pourtant je ne portais pas à l'époque les "culs de bouteille" que sa myopie lui imposait. Je m'aperçois que la griffure est une griffe, que la griffe est celle de Daum, que le cendrier est en cristal. coût prohibitif, cadeau royal, fou!

Sacré Arthur! il devait bien rigoler, du haut du petit paradis des charbonniers...

JCD

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