Bonjour!
Je l'avoue, j'ai volé...
Il y a seize ans, deux petits jardins en friche. Vous savez, de ces petits lots de terre "de derrière les maisons" issus des partages notariaux dans les villages.
L'un offert à mon désir par ma rencontre avec ma dame; l'autre, apanage d'une famille voisine partie ailleurs, mais dont la patriarche venait, en été, passer chez ses ancêtres quelques semaines.
Je l'avoue, j'ai craqué...
Craqué pour ces jardinets qui réveillaient en moi un désir intense de créer ce que je ne sais pas créer sur une toile. Imaginez: pouvoir créer une toile en 3D, mouvante et vivante, qui plaise autant au palais qu'à la pupille.
Chez ma dame, ce fut aisé; elle sontint, elle aima. Chez la voisine, ce fut grâce à son ravissement qu'on veuille bien entretenir son petit domaine.
Je l'avoue, j'ai foncé...
Sur le pré de chiendent devenu pelouse, on a dessiné de petits espaces, en des formes variées, berceaux d'agencements floraux et potagers.
Un grand laurier, après négociation entre lui et moi, accepta en sa base de se faire grotte pour accueillir un banc de repos et un petit chalet à outils.
Un impudent voisin ayant jeté une grille de fer à béton, celle-ci s'est vu recyclée en mur végétal, habité par un pied de houblon sauvage en son bord, qui veille sur la grimpette aimable des ipomées, pois de senteur, capucines varappeuses, haricots d'Espagne aux fleurs d'un vermillon adorable.
Des tournesols font haie discontinue entre les deux espaces, les dalhias maintenus même en hiver sont protégés du gel par un léger croissant de rue au fort parfum. .Des fraisiers et les infernales violettes tapissent le sol sous le niveau de la tondeuse...
Je l'avoue, j'ai rêvé...
Assis sous le laurier, sur le banc en pierre, j'ai goûté les territoires si divers du regard: du détail mille fois re-soigné aux grands chênes du talus, des vols de mes copines hirondelles jusqu'aux faufilements des mésanges bleues dans les trous du grand mur où elles nidifient, des nuages de moucherons gredins au chatoiement des fleurs.
J'ai souvent pensé, comme on plane, dans ce "chant des possibles" aux accents de sérénité. C'est fini...
Je l'avoue, j'ai volé...
La vieille dame voulait nous le donner, ce lopin aimé. Ses enfants ont vendu la maison, et le jardin! Z'ont pas voulu nous le vendre, comprenez, c'est une plus-value! Cette année, au printemps!
Je suis triste; le jardin a malignement marqué sa désapprobation, en redevenant friche en quelques semaines, privé de ma main complice et exigente à la fois. Même le compost montre sa contrariété, en s'écroulant de partout au lieu de se maintenir fièrement dans son enclos de quinze ans.
Oui, jai volé: des groseilles que la nouvelle "jardinière présumée" laissait tomber sur la terre plutôt que sur des tartines bienveillantes. Deux coings, première récolte de ces petits arbustes offerts jadis par une amie. Ce sera tout, et je n'en conçois aucun remords...
Désormais, je flâne dans notre "propriété" de cent dix centiares. Je l'aime, mais je m'y sens à présent serré aux entournures. J'y regarde pourrir et tomber les pommes. Même Mandoline, la papesse des grenouilles de la mare, exprime cette ambiance un peu mélancolique.
Ce que ça m'inspire, c'est que le temps de la vie, c'est d'abord celui de l'échange et de la création avec ce qui nous est coexistant. Le reste a le parfum languide de la mort à venir...
Bon automne
JCD