Emporté par l'indignation du jugement inique des versaillais, j'ai à l'instar de nombreux autres soutiens de Médiapart, imaginé que reprendre sur nos sites respectifs voire sur un site ad hoc les éléments censurés était un moyen de lutte efficace. En fait, non seulement ce n'est pas un recours possible, mais ce serait commettre une infraction et pour le coup, tomber dans le piège: non pas ici une désobéissance civile, mais bel et bien une action illégale délibérée dont les conséquences seraient désastreuses.
En effet, il s'agit d'une juridiction CIVILE: Médiapart doit donc impérativement s'exécuter (c'est le cas de le dire) dans les délais prescrits par le jugement et toute personne qui s'aventurerait à reprendre les éléments en question se ferait très durement réprimer à très grande vitesse et sans l'ombre d'un recours: eh oui, nous avons affaire au civil, pas au pénal: les recours y sont très compliqués, lourds, lents, onéreux...
Quant aux citoyens à juste titre révoltés par la décision du plus réactionnaire tribunal de France (Versailles, bien dans sa tradition séculaire!) qui se risqueraient à braver la loi, ils le feraient à leurs seuls frais individuels - il n'y a pas de class action en France, et surtout pas contre...une décision de justice - et la machine judiciaire est exactement taillée pour "traiter" chacune des affaires individuelles qui se présenterait - que ceux qui s'imaginent que le nombre ferait peur n'y pensent même pas: c'est leur métier!
A côté de cela, le problème n'est pas, contrairement à ce que je pensais dans le choc de cette décision inique, la publication ailleurs de ces informations: si ce n'était que cela, la réponse serait vite et aisément trouvée, soit sur wikileaks, soit sur un quelconque site-miroir. Mais le problème n'est pas là: au-delà de l'évidence du scandale politique que constitue cette décision de justice aussi insupportable soit-elle, le vrai problème réside dans le fait concret de l'obligation de Médiapart d'exécuter ce jugement. Et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour et par infraction constatée - et qui va devoir s'exécuter sans tarder, dans les délais précisés, ce qui va avoir d'ici quelques jours des conséquences sans précédent depuis les périodes de... guerre mondiale: la suppression des informations visées, partout dans Médiapart!
Dans les articles archivés, bien sûr, mais aussi...dans les commentaires reprenant les mêmes infos! Et là ça donne le vertige!
Peut-être est-ce d'ailleurs dans l'invraisemblable, dans l'omniprésence, dans la scandaleuse omniprésence de cette censure dans tout Médiapart ( sans oublier la faisabilité technique de ces suppressions dans les innombrables commentaires!) que réside le meilleur espoir de faire, d'une façon ou d'une autre, que cette décision odieuse et liberticide soit désormais l'exemple même des attentats à la démocratie que la République Française doit impérativement interdire! Sauf à se démasquer pour ce qu'elle est en passe de devenir si nous laissons faire.
Car enfin, il faudra s'exécuter, et donc, revenir au tristement célèbre "caviardage" de 14-18: quand les informations étaient dites "caviardées" par la censure du temps de guerre au nom du secret-défense! Le mot de "caviar" étant une expression de typographes pour désigner le maculage à l'encre noire de passages d'articles, voire d'articles, voire de titres à la Une, tombant sous le coup de la censure du temps de guerre!
Nous sommes donc à l'heure du web, d'internet, de la technologie sans cesse innovante de l'information et de la communication, renvoyés par de Tribunal de Versailles, vers le passé le plus sinistre de l'histoire de la presse française! Celui de la censure omniprésente, toute-puissante, sans recours ni trêve, c'est à dire: le rêve Versaillais!
Retour vers le futur ô combien désiré par les plus réactionnaires et les plus farouches ennemis de la liberté et de la République elle-même - si les mots ont encore un sens!
Ce qui pouvait se subir aux yeux de certains en temps de guerre ne peut cependant que se révéler intolérable en 2013...
Attendons-nous à voir MEDIAPART, qui est l'honneur de la presse française, cloué au pilori, censuré et donc: caviardé!
Et si bien, si visiblement, si complètement et même si consciencieusement caviardé aux ordres de la Justice que ce caviardage, cette censure odieuse, devienne l'exemple spectaculaire, aux yeux du monde entier, sur toute la Toile, des exactions légales que les inlassables ennemis de la liberté peuvent impunément commettre au sein même de cette République Française, patrie supposée et sempiternelle donneuse de leçons de Droits de l'Homme.