Qu’y a-t-il donc de commun entre l’antique et folle Galatée dont Virgile nous raconte qu’elle lui lance une pomme puis s’enfuit vers les saules : « Et avant, elle désire être vue » - et M. Takkiédine, ce drôle de paroissien ( qui au monocle près, ressemble furieusement à Rastapopoulos) venu se confesser en direct chez Laurent Ruquier ?
Pas grand-chose, sauf l’essentiel : être vu, au moins, et suivi, peut-être.
Et convenons que la stratagème a superbement réussi pour ce qui est d’être vu : le spectacle valait le coup d’œil, et si l’on en croit le nombre impressionnant de suivis sur youtube et autres daylymotion repassant en boucle la vidéo de l’émission, ceux qui ont suivi l’émission en direct n’ont pas été les seuls à n’en pas perdre une miette.
Quant à être suivi, là, à en juger par l’étonnant silence radio des médias, à quelques rares exceptions près, c’est une toute autre affaire.
Pas un mot de commentaire le lendemain, ni même ce lundi, ou presque : à peine a-t-on vu sur BFM passer un extrait de la prestation du vizir Takkiedine dans ses œuvres, sans aucun commentaire. Rien, ce qui est quand même assez fort de café, au 13h ni au 20h de France 2, la chaîne de Ruquier. Rien à la Une de libé de ce jour : pourtant il était question de turpitudes inouïes, de crimes contre les personnes, contre l’Etat, contre la République ! De l’attentat de Karachi à la guerre de Lybie, Sarkozy était à entendre Takkiédine, celui qui a tout manigancé, pour la campagne de Balladur comme pour la l’histoire d’amour avec Kadhafi puis soudain la guerre de Lybie, sur fonds de « 80 000 morts civils non déclarés par l’Otan » et d’exécution du tyran par les services spéciaux français…
De quoi alimenter les gazettes, non ? Non ?
Eh bien non. Les rares qui en parlent le font avec des précautions de style ramenant tout cela au niveau d’une anecdote : une élection entachée d’illégitimité, et le quinquennat qui a suivi avec, des détournements de fonds, des pratiques mafieuses au plus haut niveau de l’Etat, une guerre engagée sous un faux prétexte, tout cela est en somme si parfaitement excessif que c’en est devenu, comme le suggère Pierre Haski dans Rue89, dérisoire…
Quant à la réaction de Médiapart, elle est en l’état, très réservée.
Un très bref billet, pas même à la Une, titré de façon assez péjorative, mettant en scène un manipulateur disposant d’une tribune complaisante…
Complaisante vraiment?
Pourtant, les interruptions furent nombreuses, certaines fort opportunes, quelques autres ont eu pour effet de faire taire Takkiedine - mais le bougre n'a jamais perdu le fil et a systématiquement repris et complété son propos. De plus, à l'évidence, les deux journalistes en face de lui avaient sérieusement bossé et étudié le dossier - et sans doute notamment l'ensemble des articles et enquêtes de Médiapart.
C'est à croire que la rédaction de Médiapart a été quelque peu frustrée et prise de court par nombre de révélations qui lui auraient en somme coupé l'herbe sous le pied, après tant de mois d'enquêtes et de suivi attentif et très fouillé de cet énorme dossier.
Et le fait est que ces révélations de Takkiédine furent exactement spectaculaires: faites par ce félon de service, véritable bête de scène, aux sourires machiavéliques et sournois, incarnation parfaitement réussie de l'insinueux, du cauteleux, du fourbe, à l’évidence transporté d'un plaisir à vrai dire assez obscène à l’énoncé soigneusement distillé de ses accusations d'infamie...
Et suffisamment avisé pour ne surtout pas risquer lors de sa sortie du plateau, à se faire refuser une poignée de main par plusieurs invités plus qu'incommodés par ce spectacle somme toute assez répugnant.
Reste le fond, la réalité de ces accusations, qui sont énormes.
Certes, il y avait du « suivez-moi jeune homme » chez ce comédien achevé, madré, d’un cynisme si naturel qu’on le dirait exactement sarkozyste dans son exhibition satisfaite du genre « Mais quand on est riche, n’est-ce pas… » disait cet homme de l’immonde, qui pour finir se paie le luxe d’une juste leçon de bon épicier de la mort : « Si vous voulez faire des affaires avec ces gens-là, apprenez d’abord à les connaître »…
Mais ne serait-ce que l’étalage de ce cynisme odieux sur une chaîne du service public de la télévision française, ce serait déjà, c’est déjà, un scandale sans précédent.
Reste ce silence pesant.
Pour un peu, certains anti-sarkozyste primaires en viendraient presque à prendre la défense de l’ancien président… Imagine-t-on la même émission en janvier 2012 ?...
Sans doute n’aurons-nous pas trop longtemps à attendre avant l’importante explication de texte et le décryptage que nous attendons de la rédaction de Médiapart.