La mort de Neil Armstrong est saluée par la presse unanime comme celle d'un héros américain, le premier homme qui en 1969, a marché sur la lune et a ainsi ouvert la voie... on ne sait trop à quoi, au fait.
Reconnaissons au passage ce que peu avaient remarqué à l'époque, que l'homme Neill Armstrong ne manquait pas de tenue, ni d'une vraie indépendance d'esprit: il a salué "un grand pas pour l'Homme", c'est un fait, et s'est toujours gardé de l'hystérie patriotique et médiatique qui avait salué un Lindberg par exemple.
Ceci dit, pour couper court à tout malentendu, soyons aussi modestes qu'impossible, nous autres français: imaginez seulement une seconde ce que ça aurait donné si Neil Armstrong s'était appelé, par exemple Roland Garros: reportez-vous à la presse hystérique d'époque, ou celle d'il y a trois semaines sur les médailles d'ors française ou d'ailleurs à celle de la semaine dernière, répétant ad nauseam combien les photos de Mars étaient réussies - grâce à une caméra française!
Revenons à 1969: A l'époque, cette déclaration n'a guère consolé tous ceux, innombrables alors et aujourd'hui, à lire la presse, bien oubliés, qui n'ont vu eux que le drapeau des USA planté sur la lune.
J'ai entendu dire hier que partout dans le monde on avait regardé la télé, du fin fonds de l'Afrique jusques aux steppes d'Asie.
D'autres en Asie avaient des raisons bien différentes de guetter dans les cieux le drapeau américain. Au moment même de cet immense exploit, l’aviation américaine bombardait Hanoï.
Et cet emblème étoilé, qui à la Libération pouvait encore faire naître des espérances chez les européens désespérés par la ruine de leurs pays, était alors devenu l’emblème du crime de guerre, du crime contre l'humanité, ceux de My Lay à peine révélés, mais aussi des bombardements du Laos et du Cambodge, pays non belligérants faut-il s'en souvenir?
Pour tous les contemporains qui luttaient et se désespéraient désormais de l'impitoyable brutalité meurtrière de nos libérateurs de la veille, lever les yeux pour regarder la lune et y imaginer le drapeau américain planté dessus, c'était tout simplement un grand rêve pollué, ruiné, déserté, la connerie et la saloperie humaine, parfaitement représentée par la bannière étoilée, donnant l'impression de s'étendre désormais sinon à l'infini, du moins jusqu'aux étoiles.
1969, année vietnamienne, année irlandaise, voire année érotique comme on le répétait à loisir : mais année héroïque, sûrement pas.
Un livre de l' auteur de science-fiction, Robert Heinlein, traduit cette année là en français, "Révolte sur la lune" montrait en couverture un jeune homme debout sur la lune jetant un pavé vers la terre. Il reste pour beaucoup d'entre nous comme une des rares consolations de cette annus horribilis, lendemain de mai perdue et de Prague occupée, sans air ni perspective - voire sans espace - entre tyrannie soviétique bourgeoisie pompidolienne et domination américaine.