Légitimation de l’apartheid
Les nouvelles régulations du colonialisme en Israël
L’approbation de la Loi Fondamentale de l’Etat Juif suppose une dégradation de la citoyenneté pour tous ceux qui ne possèdent pas l’identité hébraïque. Cette loi, approuvée par le congrès unicaméral israélien (Knesset), légitime juridiquement la ségrégation de fait qui existe à l’intérieur du territoire israélien depuis des décennies et impose de nouvelles conditions d’asservissement pour les habitants des territoires occupés (militairement) de Palestine. La norme cherche à consolider les privilèges (déjà consacrés de fait) dont profitent les citoyens d’ascendance juives sur les autres communautés, qui représentent –à l’intérieur du territoire israélien- 20 pour cent de la population (Bédouins, Druses et Arabo-musulmans)
Israël n’a jamais approuvé une Constitution Nationale mais cette loi possède cette architecture juridique transcendante. Elle fut approuvée à la majorité simple de 62 votes pour, 55 votes contre et deux abstentions. Son objectif principal est l’imposition de la prééminence juive sur toute autre composante ethnique, linguistique et/ou confessionnelle. Les votes majoritaires qui ont approuvé cette loi suprématiste, proviennent de l’alliance qui regroupe la droite et les religieux orthodoxes, à leur tête Bibi Netanyahu.
L’offensive de cette alliance a été encouragée par le président Donald Trump, qui récemment a légitimé l’annexion de Jérusalem Est en transférant l’ambassade américaine dans cette ville. Cette loi non seulement identifie l’Etat avec une identité spécifique de ses habitants (en excluant ceux qui ne la possèdent pas) mais elle annule l’arabe comme langue officiel, déclarée comme telle lors de la déclaration de l’Independence d’Israël, en 1948. En outre, légitime l’interdiction aux arabes musulmans d’accéder à l’achat de propriétés à l’intérieur des conglomérats définis comme hébreux.
Le ségrégationnisme apparaît comme la continuité de politiques récurrentes de persécution qui se manifestent à différents niveaux. Le 16 juillet 2018, le congrès se prononçait contre la possibilité que des groupes pacifistes – formés par des juifs et des musulmans- parmi eux Breaking the Silence, puissent aller dans les écoles pour sensibiliser sur les abus de l’armée dans les territoires occupés. Deux jours plus tard le gouvernement interdit –à la demande de religieux fondamentalistes- que les citoyens homosexuels puissent accéder à la GPA. Le 19 juillet 2018 on a arrêté un rabbin indépendant (de la hiérarchie local) pour ne pas se soumettre aux mandats de l’orthodoxie. Le 20 juillet 2018, M Netanyahu reçois en pompe –à Jérusalem- Victor Orban, le premier ministre Hongrois, et le grand représentant de l’extrême droite européenne. Le 25 juillet, à cause des pressions du Likoud, on a licencié le dessinateur du Jérusalem Post, Avi Katz, pour avoir représenté Netanyahu et ses acolytes, comme des cochons.
Un des plus importants promoteurs de la normative ségrégationniste, est le député de droite Avi Dichter, qui a déclaré avec clarté ce qui a motivé cette loi : « Nous avons sanctionné cette loi pour éviter qu’Israël devienne le pays de tous ». Un seul député de droite n’a pas accompagné le projet : le fils de l’ex premier ministre Menajen Beguin (Beny), et il a lancé un avertissement : « on ne prouve pas son patriotisme sans respect pour les Droits de l’Homme, car sinon il s’effondre et se transforme en nationalisme (dans le sens de fascisme) ». Par ailleurs, le président du parti travailliste, Isaac Herzog –fils de Jaim, ex président d’Israël- considère que l’approbation de cette loi détruit « le principe d’égalité » et suppose le discrédit d’Israël devant la communauté internationale. Des mises en cause sont apparues, y compris dans les secteurs conservateurs, c’est le cas du président du Congrès Juif Mondial, Ronald Lauder, qui a affirmé dans le New York Times que : «Si les choses continuent comme cela, Israël devra faire un choix difficile, ou octroyer les pleins droits aux Palestiniens et ne plus être un Etat exclusivement juif ou supprimer tous les droits aux Palestiniens et ne plus se considérer comme un Etat démocratique ». Lamentablement la droite israélienne a choisi la dernière option.
Pendant les débats, les partis qui ont rejeté la loi, tels que les parlementaires de la Liste Unifiée (composée de juifs antisionistes, de musulmans et d’arabes laïcs) ont prévenu à travers de leur porte-parole, le député communiste Yusef Jabarin, que l’accord avec la normative suppose « une claire discrimination ethnique envers les citoyens arabes d’Israël ». Le député arabe Issawi Frej (du parti Meretz) a critiqué les termes ségrégationnistes utilisés et il a été expulsé de la salle de la Knesset. Par ailleurs, le législateur Ayman Odeh a hissé un drapeau noir, en signe de deuil. Tandis qu’il prononçait son plaidoyer il a déchiré une copie du projet et –avec des militants du groupe Paix Maintenant- dénonçait l’initiative comme « la légalisation de l’apartheid ». Ils ont été tous conviés à quitter la salle de sessions. L’intégrante du Comité Exécutif de l’OLP, Hanan Ashrawi, déclara dans un communiqué officiel que cette loi de l’Etat-Nation juif « est une licence pour la discrimination, le nettoyage ethnique et le sectarisme au détriment du peuple palestinien ».
On prétend compter avec l’appui complice des juifs du monde entier pour faire accepter cette modification du statut de la citoyenneté. Pourtant, cette politique ne paraît pas trop effective étant donné que plusieurs collectifs identitaires juifs –à l’intérieur comme à l’extérieur d’Israël- ont désavoué vertement cette loi ségrégationniste et ont aussi condamné l’apartheid qu’elle installe. En Argentine, le Llamamiento Argentino Judío (l’Appel Argentin Juif) qui s’est prononcé à chaque fois contre les différentes opérations répressives à l’encontre des Palestiniens et –en référence à la ignominieuse loi ségrégationniste- il prend comme sien les positions des écrivains judéo-israéliens Guideon Levy et Hamira Haas. Cette dernière, dans un courageux article publié dans le journal israélien Haaretz, le 18 juillet 2018, a prophétisé : « Il arrivera un jour où le crédit de l’Holocauste sera épuisé. Il arrivera un jour où les leaders du colonialisme juif israélien seront traduits en justice. Ce jour-là arrivera. Et tous ceux qui aujourd’hui témoignent de tolérance envers nous, à cause d’Auschwitz pour les uns ; notre industrie de guerre et d’intelligence, pour d’autres ; pour notre blancheur relative pour d’autres encore ; se lasserons (…) Cela arrivera-t-il après une horrible effusion de sang ou avant ? Personne ne le sait. Plus vite ce jour-là arrivera, mieux ce sera pour nous tous ». [1]
Jorge Elbaum, journaliste, universitaire, écrivain, et président du Llamamiento Argentino Judío.