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Billet de blog 4 février 2019

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RESTAURER LA FONCTION POLITIQUE DU DROIT

Nous vivons aujourd'hui une régression spectaculaire de la fonction politique du droit actée dès le début du XVIII siècle. Cette régression est actuellement en cours comme nous le montre l'actualité chaque jour alors qu'il s'agit là d'un processus portant atteinte au patrimoine immatériel de l'humanité.

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RESTAURER LA FONCTION POLITIQUE DU DROIT

L' actualité nous informe aujourd'hui de la multiplication des textes de loi imposant de nouvelles contraintes aux citoyens confirmant ainsi le rôle important du droit comme instrument principal de gouvernement tout en restant théoriquement aussi à leur service. Cette conception du droit essentiellement assujetti à l'exercice du pouvoir est récente car jadis, le droit était considéré comme le moyen de transformer la société au nom de valeurs considérées comme universelles, qu'il s'agisse des droits de l'homme formulés d'abord dans la constitution américaine puis française en 1789 ou bien du droit de propriété dans notre code civil qui a servi de modèle à de nombreux pays européens au XIXème siècle. Il y avait un idéal politique inscrit dans la constitution et la loi qui pouvait mobiliser les passions des gouvernés comme celles des gouvernants. Les juristes célèbres de jadis comme Léon Duguit en droit public ou Jean Carbonnier en droit privé ne se contentaient pas de faire preuve de connaissances savantes dans leur domaine mais exprimaient aussi un point de vu tant moral que politique. Or aujourd'hui la professionnalisation de nos disciplines juridiques a poussé le droit dans l'impasse d'une conception positiviste, autrement dit technicienne comme aurait dit mon professeur Jacques Ellul, une évolution qui lui fait complètement perdre le sens profond qui était le sien à l'origine. Au nom de la neutralité axiologique, seuls comptent les analyses relatives aux dispositions du droit existant abstraction faite de ses finalités et du contexte sociologique qui a présidé à l'adoption de ses règles. Delà les multiples signes de décadence qui en affectent le sens et la raison d'être aujourd'hui.

La crise du droit va d'ailleurs de pair avec la crise du langage comme le montre l'emprise d'oxymores tels que la définition d'un « délit dit de solidarité », ou encore le qualificatif « d'utilité publique » à des opérations d'expropriation profitant à des personnes privées. Ces abus de langage se retrouvent aujourd'hui partout dans la bouche d' hommes politiques qui prétendent agir au nom d'un concept aussi sacré que celui « d'Etat de Droit » sur la base de décisions qui en sont pourtant la négation, comme celles d'internement ou d'arrestation préventive de supposés délinquants par des fonctionnaires représentant le pouvoir exécutif sans intervention d'une procédure judiciaire.

De plus, l'évolution de notre société marquée par un changement accéléré a tendance à saper les fondements même du droit en raison de l'inflation incontrôlée et de l'obsolescence de ses règles : c'est ainsi que la sécurité des situations juridiques n'est plus aujourd'hui qu'un lointain souvenir, ce « droit  liquide » contribuant par ailleurs à alimenter le chaos sociopolitique en cours. C'est ainsi que sont votées des des « lois expérimentales » dites de « simplification » reflétant un évident opportunisme résultant d'un pragmatisme qui paradoxalement ne fait que contribuer à l'obésité de nos codes rendus illisibles pour le simple citoyen.

Par ailleurs, il faut bien dire que le rôle historique de régulation joué par les règles de droit dans le fonctionnement de notre société est actuellement concurrencé par l'ensemble des techniques de communication représentées par internet et la télévision. C'est ainsi qu'avant même qu'elles soient prononcées par la justice, les sanctions pénales sont précédées par la médiatisation d'informations rendant publics des scandales affectant le monde politique (ex : affaire Cahusac) ou économique (ex : Médiator et autres). Et ceci avec des conséquences souvent plus graves pour les personnes concernées que des condamnations pénales. D'autre part, la numérisation à marche forcée de nos existences affecte aussi le monde du droit qui se dirige vers des situations incompréhensibles pour les justiciables en raison de l'adoption généralisée de signes informatiques cabalistiques qui fatalement conduiront à une justice où sera éliminé toute forme de jugement humain. Ce sont des machines qui vont rendre des jugements fondés sur des algorithmes incompréhensibles par les justiciables.

Est alors en train de naître un monde de nature totalitaire étranger au langage humain mais qui est déjà celui inscrit dans nos règles de droit. Dans ce monde et à ce stade de notre évolution, comme jadis les prêtres de certains empires théocratiques, seul une élite du pouvoir en place sera capable d'en déchiffrer les mystères. Il s'agit là certainement d'une grande régression dans l'histoire de la civilisation humaine.

Il revient donc à chacun de nous de refuser cet avenir pour travailler à la préservation et à la restauration anthropologique de ce qui est menacé de destruction parce que faisant partie du patrimoine immatériel de l'humanité à sauvegarder.

Simon CHARBONNEAU Maître de Conférence honoraire à l'Université de Bordeaux

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