Les économistes nous le rabâchent, depuis que leur discipline est devenue l'ultima ratio des politiques publiques, que la science économique est caractérisée par la rationalité des décisions qui en découlent. Or la crise globale initiée en 2008 suite à la chute de Lehmans Brothers nous fait découvrir le contraire, à savoir qu'en définitive le moteur d'une économie de croissance repose sur la confiance des clients des banques et des acteurs du système économique. Une banalité debase constatée par tout un chacun ! Autrement dit, le reflux de la confiance en l'avenir paralyserait le système à l'image de ce qui se passe aujourd'hui dans les pays les plus développés.
De ce constat, deux observations peuvent être tirées. En premier lieu, observons que l'usage de la notion de « confiance » relevant de la psychologie sociale par les économistes est le signe d'un échec de leur revendication de rationalité de leur discipline. Visiblement, une telle notion échappe complètement à la rhétorique savante de nos experts en prospective puisqu'elle renvoie aux dimensions anthropologiques de la conscience collective. Ceci explique qu'ils aient été pris complètement à contrepied par les événements survenus en 2008 et son aggravation en 2011 après avoir pendant des années manifesté un arrogance intellectuelle insupportable en se prenant pour des oracles. La vraie raison de cette impuissance est qu'une crise comme celle que nous vivons aujourd'hui ne peut se satisfaire d'explications purement économiques. Il s'agit là d'un fait social global qui échappe forcément à une vision de spécialiste, car la crise n'est pas seulement économique.
En second lieu, la vraie question qui n'est aujourd'hui posée par aucun commentateur des évènements en cours caractérisés par la dette et le chômage est celle-ci : pourquoi donc une société perd confiance en son avenir ? Pour l'Occident industrialisé qui a connu la prospérité depuis plus de cinquante ans et dont les économies ont reposé sur lacroissance, il y a une explication qui se résume en un mot : l'effondrement de l'idéologie du progrès héritée du XIX ième siècle qui constitue un fait historique majeur ignoré encore par nos élites éclairées. Contrairement aux apparences, cet effondrement ne date pas d'il y a trois ans mais remonte à la fin des trente glorieuses, après les illusions des années 80 engendrées par le triomphe du libéralisme. L'accumulation des coûts multiformes de la croissance est à l'origine de son essoufflement qui a provoqué une aggravation de l'endettement du secteur tant privé que public destiné à la soutenir. Et cela s'est accompagné de la fin du dogme de la création d'emplois par la croissance à cause de l'amélioration continue de la productivité. En effet, faut-il le rappeler, la croissance repose sur l'investissement qui constitue toujours un pari plus ou moins calculé sur un retour d'investissement plus ou moins hypothétique. Or, l'investissement, dans la mesure où il concerne les grands projets, implique toujours l'endettement des entreprises comme de l'Etat et de ses collectivités territoriales. Et comme la réussite d'un investissement repose sur la confiance d'une société dans l'avenir, on comprend parfaitement la situation actuelle où le débiteur n'a plus les moyens d'éponger ses dettes et par voie de conséquence, le créancier n'a plus d'espoir de récupérer les fonds avancés.
Puis il y eut une crise sociale larvée qui s'est manifestée par la montée du chômage et de son corollaire le travail précaire engendré par l'amélioration de la compétitivité des entreprises et les délocalisations avec les fermetures définitives de sites industriels. A ceci s'est ajouté le poids de la crise écologique, toujours ignorée par les économistes, et qui a complètement ébranlé la confiance dans l'avenir de nos sociétés. La preuve paradoxale de ce constat tragique réside dans la réussite économique des nouveaux pays industriels qui, malgré une aggravation énorme de la crise écologique, en sont au stade historique où nous en étions en 1960 sur une pente ascendante.
Aujourd'hui, c'est une douloureuse récession qui nous menace et dont nous constatons les conséquences les plus dramatiques dans un pays comme la Grèce en attendant notre tour. Or les politiques d'austérité fondées sur une injustice sociale totale n'ont paradoxalement qu'un seul objectif macroéconomique, à savoir celui d'une relance illusoire de la croissance par apuration des dettes. Dans un contexte comme le notre, ce genre d'utopie ne peut avoir que des conséquences ravageuses tant sur le plan social qu'écologique. Dans tous les domaines, nos élites sont aujourd'hui dans le déni du constat de la fin de la croissance et de la nécessité d'imaginer une nouvelle voie permettant d'envisager un avenir autre que celui reproduisant les impasses du passé. La fin des illusions du « progrès » nous oblige à réfléchir sur les causes qui nous ont mené où nous en sommes aujourd'hui pour participer à la naissance d'un futur qui ne soit pas la reproduction de celui du passé.
C'est à cette condition qu'une société fondée sur le refus de la démesure et le choix de l'autolimitation pourra être édifiée, autrement dit une société à l'échelle humaine. Toute entreprise politique qui ignore ce nouveau contexte historique, comme c'est aujourd'hui le cas de la majorité des formations politiques, ne pourra jamais nous aider à sortir de l'impasse dans la quelle nous nous sommes laissés enfermés !
Simon CHARBONNEAU Juriste universitaire et militant associatif