Simon CHARBONNEAU

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Billet de blog 5 janvier 2014

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L'EMPIRE TOTALITAIRE DE LA TECHNIQUE

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A propos de l’affaire Snowden et de la NSA

L’EMPIRE TOTALITAIRE DE LA TECHNIQUE

Six mois après l’annonce faite par Edgard Snowden de la collecte des métadonnées téléphoniques (numéro, durée des appels etc…) par la NSA, le Washington Post du 4 décembre, sur la base de documents fournis pas ce dernier, nous annonce que la fameuse agence américaine intercepte aussi les données de géolocalisation de centaines de millions de téléphones portables dans le monde, ce qui lui permet de suivre à la trace les propriétaires de portables (éteint ou allumés) en se connectant aux câbles qui relient les différents réseaux de mobiles entre eux. Sans doute nos propres services font-ils pareil, mais avec moins de moyens. C’est donc, la transparence descendante vers la vie de chacun de nous à défaut de celle ascendante vers les lieux du pouvoir !

Il y a plus de cinquante ans, un universitaire bordelais (Jacques Ellul) publiait un ouvrage longtemps méconnu (La technique ou l’enjeu du siècle) qui analysait l’autonomie du phénomène technique et son autoacroissement continu, échappant à tout sens moral et politique. Avec le passage à l’économie numérique et l’expansion du réseau internet à travers le monde, la technicisation de notre société est passée en quelques années à une vitesse supérieure  en nous faisant entrer dans un monde inconnu qui échappe à tous nos repères traditionnels et d’où l’homme a été expulsé. Tapez 1, tapez 2 et la voix d’un automate va vous répondre en enregistrant parfois toutes vos données personnelles, sans que vous vous en rendiez compte. Il faut se rendre compte qu’aujourd’hui, comme cela a été écrit récemment par le collectif Marcuse dans Le Monde, il fallait être naïf pour s’étonner de l’usage du réseau informatique mondial par les Etats pour accéder à la sphère privée de chacun de nous.

C’est ainsi que se met en place, sans aucun débat démocratique, un système de nature  totalitaire permettant aux pouvoirs économiques, politiques et sanitaires de tout connaître de chacun de nous, sans que pour cela une procédure quelconque relevant normalement de l’Etat de Droit n’ait été activée. Nous assistons donc à la fin de toute vie privée et à l’impossibilité de toute action publique un peu clandestine. Dorénavant, le vieux récit de Georges Orwell extrapolant les moyens policiers de la dictature stalinienne par le biais d’une télévision dotée d’une caméra, paraît aujourd’hui comme relevant d’un stade artisanal du développement technologique. Imaginons alors un instant que, durant l’occupation, les nazis aient eu les moyens techniques dont disposent aujourd’hui tous les gouvernements de pays les plus équipés en matière d’identification numérique et d’intervention, comme par exemple les drones, la Résistance n’aurait jamais pu avoir lieu !!

Au plan international, ce réseau internet, dont le centre est aux Etats Unis, a donné naissance à de nouvelles puissances transnationales représentées par Google, Facebook, Amazon et compagnie, qui se sont instituées , sans aucun fondement juridique, contrairement par exemple au commerce international régi au moins par le traité de l’OMC. C’est toute cette infrastructure numérique qui a permis à la NSA d’étendre son entreprise d’espionnage au monde entier. Et cela est paradoxalement né dans la plus grande démocratie du monde que sont les Etats Unis qui ont aussi inventé l’industrie automobile (Ford et GM), celle de la chimie (Monsento et Dow Chimical) et expérimenté l’énergie nucléaire à Hiroshima. C’est ainsi qu’elle a enfanté d’un monstre totalitaire qu’auraient certainement renié les pères de la constitution américaine, mais qui a aussi séduit tous les gouvernements et les citoyens du monde par les manifestations de sa puissance, célébrées aujourd’hui par ces fanatiques de la technoscience que sont les transhumanistes.

Nous voilà donc, en ce début du XXI ième siècle, en train de nous enfermer avec notre consentement actif ou passif, dans une gigantesque prison aux murs invisibles. Mais il n’est pas dit que dans ces circonstances tragiques du point de vue de l’histoire de l’humanité, l’homme ait renoncé à sa vocation spirituelle. Il dépend alors de chacun de nous de savoir réagir à la fabrication de ce monde inhumain qui signe « l’obsolescence de l’homme » comme disait Günther Anders, cet ancien mari d’Hannah Arendt ! Soit nous nous laissons porter par le cours « normal » des choses qui ne pourra aboutir qu’à faire régresser l’humanité dans un état de barbarie innommable comme ont pu nous le peindre certains films de science fiction, soit une poignée d’hommes révoltés travaillera par un engagement réfléchi à la restauration de notre humanité.

Simon CHARBONNEAU

Juriste universitaire et militant écologiste

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