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Billet de blog 16 février 2015

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LA ROBOTISATION, UNE CATASTROPHE ANTHROPOLOGIQUE EN COURS

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LA ROBOTISATION, UNE CATASTROPHE ANTROPOLOGIQUE EN COURS

Depuis le début de l’ère industrielle, les inventions technologiques combinées avec l’usage d’énergies fossiles ont soulagé la peine des hommes dans tous les domaines tout en augmentant la production de biens matériels contribuant au confort des populations des pays occidentaux. Ce modèle de développement s’est étendu aujourd’hui à la majorité des pays du monde depuis les transports jusqu’aux moyens de production d’énergie et de transmission de  l’information sans aucune réflexion sur les conséquences de sa dynamique autonome.  Pendant longtemps la technologie est restée à l’échelle humaine permettant aux hommes d’en comprendre la nature et le fonctionnement pour en profiter et assurer la maîtrise, autrement dit, les avantages du progrès l’emportaient sur ses inconvénients. Mais depuis une cinquantaine années, la rapidité et la sophistication du développement technologique expliquent le sentiment vieillissement artificiel ressenti par les générations les plus âgées mais également plus jeunes, également touchés par des difficultés d’adaptation, sans compter ses responsabilités en matière de chômage structurel. A cause du déferlement technologique, le monde change de plus en plus rapidement laissant sur le bord de la route ceux qui n’ont pas réussi à en suivre le rythme, un monde qui voit en même temps s’accumuler les problèmes écologiques pour l’instant insolubles.

Or ce déferlement est aujourd’hui boosté par le numérique qui en accroit encore la vitesse et les impacts sur l’homme et la nature, alors même que nous n’en sommes qu’au début de ce processus. Actuellement, les progrès fulgurants de la robotique dessinent des horizons particulièrement menaçants pour l’identité humaine. Certes, depuis la dernière guerre, les progrès de l’électronique, combinés à ceux de l’informatique, sont à l’origine de ceux de l’automation dans l’industrie mais également maintenant dans le secteur des services où la présence humaine a tendance a disparaître au profit d’automates (tapez 1, tapez 2 etc…). Avec la multiplication des robots dans notre vie quotidienne, un pas de plus est en train d’être fait dans le sens de ce que le philosophe Günther Anders a appelé « l’obsolescence de l’homme », alors même que les conséquences sociales, économiques et écologiques n’ont jamais été évaluées. Ce que la science fiction avait anticipé, la plupart du temps pour le pire, est donc en train de se réaliser. Or ce changement anthropologique majeur est toujours présenté comme relevant d’un déterminisme cosmique échappant à la liberté humaine alors même que des programmes de développement et des financements sont chaque jour décidés dans le secteur public comme privé. Il s’agirait là, paraît-il, de « questions de société » échappant par définition à toute dimension politique et morale !

Il est vrai que la robotisation s’inscrit dans le projet prométhéen de « l’homme artifice » visant à l’émanciper totalement de la nature, comme en rêvent une minorité de chercheurs et d’ingénieurs séduits par le transhumanisme. Jadis, la religion nous enseignait que l’homme avait été engendré par Dieu mais maintenant c’est ce dernier qui prétend créer une nouvelle espèce humaine née de son génie scientifique. Feuerbach disait que Dieu était seulement né de l’imagination humaine alors qu’aujourd’hui c’est l’homme qui cherche à le remplacer grâce à des inventions inimaginables il y a encore une centaine d’années. Jadis, c’étaient les révolutions politiques qui avaient prétendu créer « un homme nouveau », une ambition dont notre expérience historique a depuis montré l’échec sanglant et ridicule. Aujourd’hui, il semble que la science et la technique qui soient en charge de réaliser ce vieux rêve de l’humanité, avec toute fois une différence de taille par rapport au passé, à savoir la disparition de toute dimension morale et politique caractérisant ce dernier. Car l’homme robotisé n’a nullement besoin d’accéder à une forme supérieure de conscience morale mais uniquement à voir croître sa puissance d’intervention sur la nature en le dotant de techniques ad hoc, par delà le bien et le mal comme disait Nietzche qui lui aussi avait rêvé du surhomme.

Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de voir les esprits le plus lucides s’inquiéter des conséquences inévitablement néfastes de cette entreprise. Car si Dieu n’a pas réussi à créer l’homme à son image, on peut imaginer que « l’homme nouveau robotisé » risque de se réduire à un avorton super cérébralisé ou à un diable sorti de sa boîte, capable des pires méfaits en raison de ses défauts de conception ! Or ces conséquences néfastes sont multiples car nous en connaissons déjà quelques unes alors même que la robotisation n’en est qu’à ses débuts.

Parmi elles, il y a d’abord la déshumanisation de nos relations sociales, déjà bien entamée par la société industrielle depuis la dernière guerre qui en a montré le paroxysme. Qu’il s’agisse du travail industriel en usine qui tend très logiquement à remplacer l’ouvrier par la machine ou encore de la bureaucratie imposant à ses participants un travail spécialisé et répétitif aujourd’hui de plus en plus exécuté par des ordinateurs, le profil du professionnel reste marqué par sa fonction déshumanisante. Comme client, usager ou simple observateur, tout le monde a fait l’expérience de cette déshumanisation qui marque certaines institutions comme les administrations, les banques ou les laboratoires. A vrai dire, c’est la nature même du travail défini par la rationalité de ses méthodes et sa perte de sens qui est à l’origine de cette expérience. Aliéné par sa tâche mécanique, le salarié et le bureaucrate perdent fatalement toute dimension humaine pourtant indispensable à une existence digne de ce nom.

Actuellement, avec la diffusion massive du numérique et l’installation de logiciels multifonctionnels dans tous les secteurs d’activité, la relation humaine tend à disparaître cassée par la médiation d’écrans et de voix d’automates. Prendre contact avec quelqu’un dans une institution devient alors de plus en plus difficile, même par téléphone qui reste encore une technologie à dimension humains puisque l’on peut entendre encore la voix vivante de son interlocuteur. Avec l’introduction des robots, c’est la présence humaine elle même qui disparaît : on parle alors avec du matériel seulement animé par des voix de synthèse. De là l’impression désagréable de voir naître un monde étranger et hostile à toute vie humaine qui est dirigé par une petite élite mondialisée dotée de pouvoirs et de privilèges exorbitants. Nous en prenons d’ailleurs maintenant le chemin.

Es ce vraiment cela que nous désirons ?

Mais, il y a des conséquences plus graves car collectives dans cette évolution absurde, à savoir l’expulsion de l’homme du monde du travail qui engendre inévitablement une aggravation considérable du chômage. Certes la logique économique néolibérale joue un rôle déterminant dans cette destruction du travail humain mais, il faut le dire, la robotisation obéit à une logique propre qui est celle de l’autonomie du développement technologique, une idée visiblement difficile à faire comprendre pour les héritiers de la vulgate marxiste. De ce point de vue là, la combinaison de ces deux facteurs annonce pour nos sociétés industrielles un avenir désastreux où, comme l’a dit Hannah Arendt, le travail disparaît dans une société paradoxalement dominée par le rôle historique joué par le travail. Si aucune prise de conscience politique et morale n’est enclenchée à ce sujet et si on laisse aller la dynamique aveugle de l’innovation à la quelle participent dans l’inconscience totale une armée de chercheurs et d’ingénieurs, il faut s’attendre à voir se développer un indescriptible chaos social au quel seul un régime politique utilisant des méthodes totalitaires pourra faire face. Et le paradoxe ultime est que tous ces apprentis sorciers de la robotique vont finir à leur tour par être éliminés par leurs créatures, comme dans un scénario de science fiction. Jugés superflus et encombrants par l’oligarchie mondialisée qui nous dirige vers cette impasse tragique, les hommes finiront par régresser dans la violence et la barbarie. Dans l’imaginaire inconscient de notre système, cette oligarchie finira enfermée dans des bunkers d’où elle prétendra contrôler le reste de la population.

Reste le mur représenté par la crise écologique car les robots sont peut être nés de l’imagination humaine mais ils n’appartiennent pas à un monde immatériel émancipé de la nature tel qu’il a été imaginé par ses adorateurs. Car pour être fabriqué par l’industrie et pour fonctionner ils auront toujours besoin de ressources énergétiques et de matières premières en voie d’épuisement. C’est ainsi que finira par un réveil douloureux le rêve prométhéen de l’humanité. Il faut alors espérer que naîtra enfin dans le cœur des hommes une révolte refusant un tel destin pour un retour à l’échelle humaine.

Simon CHARBONNEAU

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