Simon CHARBONNEAU

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Billet de blog 18 mai 2010

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A propos de la crise : LE PRIX DE LA DEMESURE

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La cigale ayant chanté tout l’été ……… Il semble que LaFontaine ait anticipé la crise actuelle qui frappe les économies des payssurdéveloppés dont les peuples ont vécu depuis près de cinquante ans au-dessusde leurs moyens en tirant toujours plus de chèques sans provision sur l’avenirtout en provoquant une empreinteécologique démesurée. Et aujourd’hui, ce qui est en train de se passer démontreque nous nous heurtons aux limites socio-économiques d’un système fondé surl’utopie d’une croissance éternelle. Le cas de la Grèce est certes révélateur,mais il ne fait qu’illustrer la situation des autres pays de la zone euro,comme l’ont bien compris les dirigeants pompiers de la crise. Car, par delà laspéculation financière, la question des causes économiques structurelles qui ensont à l’origine est rarement posée.

Dans le cas de la Grèce, ce sont les dépenses pharaoniquesengagées par ce pays pour les jeux olympiques (9 milliards d’euros selon unarticle du Figaro) aggravées par un énorme budget militaire causé par le vieuxcontentieux avec la Turquie. D’où un déficit public important (23 milliardsd’euros) entraînant un endettement insupportable pour un petit pays. Maisd’autres pays européens sont aussi concernés par de tels déficits commel’Angleterre (179 milliards) qui était jadis montré en exemple pourl’efficacité de son économie, suivie par la France (144 milliards). A l’originede tels déficits, il y a souvent des programmes technologiques d’infrastructuresde transport (autoroutes, LGV etc…), ou de grands aménagements urbains (GrandParis et métropoles régionales) fondés sur l’idéologie de la performance qui, dans le cas d’un payscomme la France, sont aggravés par un budget militaire surdimensionné (force defrappe avec le laser mégajoule du CEA et présence dans plusieurs régions dumonde). L’Europe, elle-même, a encouragé cet endettement par l’intervention desfonds structurels (FEDER, Fond de Cohésion) destinés à faire rattraper leurretard économique à un certain nombre de pays du sud comme l’Espagne et lePortugal. Elle est aussi engagée dans le financement du projet ITER, fondésur l’utopie techno-scientifiqued’une production d’énergie inépuisable, dont le budget a récemment explosé (15milliards d’euros).

Cet endettement public se combine avec un endettement privédes ménages piégés par la surconsommation, mais également des entreprisesauprès des banques d’affaires qui, elles mêmes, sont obligées d’emprunterauprès d’autres banques. De là résulte une pyramide de dettes fondée sur del’argent virtuel et dont la solidité repose sur la confiance dans l’avenir, unecroyance collective qui peut parfaitement s’effondrer d’un jour à l’autre,comme l’a parfaitement montré la crise des subprimes aux Etats-Unis en 2008.Pour alimenter cette confiance ébranlée par la défiance croissante des opinionsen l’avenir, contrairement à la période des trente glorieuses, les Etats sontalors obligés d’injecter massivement d’énormes sommes d’argent (750 milliardsd’euros alimentant un Fond Européen) pour pérenniser le système. Or en agissantainsi, les Etats s’endettent bien sûr un plus pour alimenter unecroissance de plus en hypothétique. Le cercle vicieux est alorscomplètement bouclé par une accumulation les dettes au fil des ans pouvant provoquer un effondrement économiquecomme celui de Dubaï dont la tour inachevée de 1 km en est le symbole. C’estainsi que la cigale se trouva fort dépourvue quand l’hiver fut venu !

A l’origine de cette situation pourtant prévisible, il y ala course à l’investissement tant privé que public qui est au cœur del’idéologie de la croissance. Alors que les dépenses de fonctionnement sonttoujours considérées comme un poids qu’il faut à tout prix alléger (enparticulier les dépenses en personnel), celles d’investissement sont aucontraire supposées nous enrichir davantage pour l’avenir. Toutes lespolitiques de croissances sont fondées sur ce prêt à penser, pourtant démentiaujourd’hui par les faits. Si, pour les pays en développement cette croyancerepose sur une certaine réalité comme en Chine ou au Brésil qui ont encore desbesoins essentiels à satisfaire, elle se heurte dans les pays surdéveloppés àdes obstacles représentés par des coûts socio-écologiques croissants. Le chômage,l’exclusion, le vieillissement des populations, le coût des matières premières,dont, bien sur, le pétrole, la protection de l’environnement et la sécuritésanitaire coûtent de plus en plus cher. La concurrence internationale quiressemble de plus en plus à une guerre économique rend par ailleurs encore plusprécaires ces paris sur l’avenir. Combien d’entreprises ont fermé après avoirinvesti en vain dans des projets censés les rendre plus compétitives ?Puis il y a aussi un facteur de renchérissement des investissements dont onparle peu, à savoir les coûts croissants des technologies toujours plussophistiquées et complexes. Les nouveaux chantiers représentés par lesréacteurs nucléaires EPR et les LGV représentent des investissements énormesdans la mesure où doivent maintenant être pris en compte les risquestechnologiques et la protection de l’environnement. Ces équipements quirelèvent souvent du pur prestige technologique peuvent s’avérer ruineux pourdes pays en développement, comme par exemple le train rapide destiné àdesservir l’aéroport de Johannesburg dont le budget s’élèverait à 2,5 milliardsde dollars. Cet ensemble de facteurs limitant explique que les retours surinvestissements, tant vantés pour justifier des projets pharaoniques, relèventsouvent de l’illusion. A l’origine de cette fascination par la démesure, il y ala fameuse « honte prométhéenne » chère à Günther Anders. Or lasituation actuelle doit être interprété comme un rappel à la réalité :l’homme moderne habité par l’hubris n’est plus à la mesure de la puissance desinstruments qu’il a créé.

Une chose apparaît, en tous les cas, évidente : face àde tels défis, nos élites donnent l’impression d’un désarroi total quis’explique par un déficit complet de réflexion sur les processus économiques etfinanciers en cours. De cet aveuglement a résulté leur incapacité à anticiperl’effondrement au quel les populations des pays les plus développés assistentimpuissants et dont ils vivent aujourd’hui les premières conséquencesdouloureuses. Les mesures envisagées pour répondre à ces défis restent dominéespar le court terme et relèvent de choix politiques marqués par descontradictions économiques inextricables.

En premier lieu, d’un côté les plans de rigueur destinés àrassurer les marchés visent à diminuer les dépenses publiques avec un impactnégatif incontournable sur le niveau de consommation alors que, d’autre part,la relance de la croissance exige des investissements tant publics que privésqui exigent forcément des emprunts alimentant un peu plus l’endettementgénéralisé. D’où l’orientation privilégiée consistant à donner la priorité auxgrands chantiers et à la recherche-développement, censée nous rendre pluscompétitif à l’international au détriment de la consommation. Les plans derigueur, actuellement en cours dans de nombreux pays européens vont alorsconsister à imposer des tours de vis financiers draconiens aux salariés, auxfonctionnaires et aux retraités en diminuant traitements et pensions, tout enaugmentant la pression fiscale afin de lutter contre les déficits publics. Maisces choix risquent en fait d’aggraver l’endettement public sans pour autantrelancer la croissance en raison de la chute de la consommation due àl’appauvrissement généralisé. De telles mesures, accompagnées de décisions derationnement, font penser aux politiques publiques économiques pratiquéespendant la guerre lorsque les contribuables étaient appelés à « soutenirl’effort de guerre ». Il est vrai qu’au plan international nous sommes enpleine guerre économique mais avec une différence majeure ; lamobilisation des opinions publiques pour soutenir cet effort reste quasiimpossible malgré la propagande sur la relance.

En second lieu, l’Europe est incapable d’affronter un teldéfi en raison de la faiblesse de sa structure politique. De ce point de vuelà, les Etats membres de l’Union Européenne sont pris dans une autrecontradiction insurmontable puisque d’un côté ils ne peuvent consentir à desabandons supplémentaires de souveraineté, en particulier dans le domainefinancier et économique, mais que d’autre part ils ne peuvent pas non pluslaisser éclater la zone euro, ce qui signifierait la fin du projet européen.

Aujourd’hui donc, nous sommes entrés dans une phasehistorique qui signifie l’échec final du modèle industriel fondé sur l’illusiond’une croissance économique « durable » transgressant les multipleslimites qui jusqu’à présent bornaient les sociétés humaines. Il faut doncenvisager pour l’humanité un autre avenir que celui qui nous mène actuellementdans le mur. Seule la voie de l’autolimitation de nos moyens, exigeant desmodes de vie plus modestes, accompagnés de solutions économiques à taillehumaine et à l’échelle locale peut être envisagé[1].Cela signifie d’abord qu’il nous faudra renoncer à la course à la puissanceéconomique et technique pour donner la priorité aux finalités de nos actions.La nécessité peut nous aider à négocier un tel virage à 180 degré, mais cettereconversion ne se fera pas sans douleur en raison des immenses bouleversementsqu’elle implique. Dans le contexte catastrophique actuel qui fait suite au dénides décennies précédentes, il est indispensable de cultiver l’espérance dansune optique de pessimisme actif sous peine de sombrer.

Simon CHARBONNEAU


[1] E.F. SCHUMACHER :« Small is beautiful » : une société à la mesure de l’homme. Collection Points 1979. Il faut lire ou relire cetouvrage essentiel qui est aujourd’hui plus que jamais pertinent.

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