LE TERRORISME SUICIDAIRE, SIGNE D’UN MONDE MALADE
L’action terroriste particulièrement spectaculaire et criminelle menée contre le groupe de journalistes du journal satirique Charlie Hebdo a provoqué un traumatisme manifeste au sein de notre pays. Et cela d’autant plus qu’il s’agissait d’atteindre la cible symbolique d’un journal représentant l’esprit libertaire français, irrespectueux de toutes les formes de religion jusqu’à la provocation malsaine. Il faut dire que le coup a été tellement bien réussi qu’il a provoqué un déferlement médiatique monolithique sans équivalent dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences politiques. Alimentée par un incroyable flot d’images, d’interviews, de tweets diffusés en temps réel sur tous les écrans depuis le moindre foyer familial aux lieux publics les plus ordinaires, une immense émotion collective a saisi le pays qui s’est senti blessé au plus profondément de lui même. Delà un unanimisme qu’il faut comprendre mais qu’il s’agit aussi d’interroger dans la mesure où cette mobilisation collective aboutit trop souvent à étouffer toute forme de conscience critique chez chacun de nous, comme cela a souvent été le cas dans le passé : rappelons nous à ce sujet l’aveuglement nationaliste qui, il y a cent ans, a provoqué l’assassinat de Jaures et précipité la France dans la première guerre mondiale au nom de l’unité nationale.
Une fois le temps de l’émotion passée, nous avons tous l’obligation de mener une réflexion à la fois individuelle et collective sur ces évènements et plus particulièrement sur leurs causes.
Avec d’abord un certain nombre de constats, a savoir celui de la permanence de ce type de terrorisme depuis trente ans, paradoxalement alimenté par les médias, mais avec aujourd’hui le fait de ces jeunes musulmans français qui passent par l’épreuve de la guerre civile en Syrie, un fait qui devrait nous interroger sur nos propres responsabilités dans ces crimes que les auteurs ont logiquement payé de leur vie. Car ces événements tragiques ne doivent pas servir à alimenter la bonne conscience de l’Occident qui depuis la colonisation s’est employé à déstabiliser les sociétés du Sud au nom du progrès en voulant leur apporter les Lumières et la Démocratie comme ont fait les américains en Irak. Il y a cinquante ans, les pays du Moyen Orient vivaient une religion musulmane qui tolérait d’autres confessions religieuses, sans manifestations fanatiques comme aujourd’hui. Depuis, le modèle occidental de développement s’est étendu sur toute la planète provoquant des contrerévolutions intégristes comme en Iran en 1979. Les guerres menées par les pays occidentaux au Moyen Orient avec ses « dommages collatéraux » inévitables causés par la puissance de feu (drones etc…), combinées avec une immigration sauvage non accompagnée d’une vraie politique d’intégration de ces populations déracinées, explique aussi en partie ces évènements sanglants.
Ensuite, il faut aussi souligner que les évènements en question ne s’expliquent pas seulement par les dérives fanatiques d’une religion dans la mesure où les pays occidentaux, particulièrement les plus avancés dans le développement comme les Etats Unis, ont connu depuis un certain temps ce phénomène de massacres collectifs suscités par les comportements suicidaires de certains individus. Celui aussi du fait historique nouveau représenté par le côté suicidaire de cette forme de terrorisme que nous n’avons jamais connu par le passé. Celui enfin de l’existence de massacres collectifs gratuit que l’Amérique connais déjà et l’Europe commence à connaître et qui ne concerne donc pas que les jeunes arabes fanatisés par la religion.
On est en droit de s’interroger à ce sujet, car les motivations religieuses ne peuvent prétendre tout expliquer. La vérité est que l’évolution de notre société est beaucoup trop rapide dans le sens désastreux d’une perte de dimension humaine. Aujourd’hui, les cadres supérieurs en charge du fonctionnement de notre système sont même atteints par le « burn out » qui peut les conduire au suicide. Tout le monde peut alors imaginer le sort de ces populations déracinées, prolétarisées et abandonnés dans les pays le plus riches et qui finissent par se réfugier dans des formes de religiosité primaire incitant à la violence. Car dans cette affaire, le ressentiment de ces esprits perdus s’explique d’abord par le mépris de l’humanité des individus qui caractérise notre société de la performance et de la compétitivité.
Et puis, il y a aussi la question des conséquences politiques néfastes de cette immense mobilisation pour « la défense des valeurs de la république », car nous pouvons nous attendre prochainement à voir se renforcer les mesures liberticides au nom paradoxal de la défense de la liberté comme ont fait les américains avec le « Patriot Act ». De ce point de vue, nous n’avons pas fini de voir se multiplier les dispositifs répressifs alimentés par les progrès du numérique améliorant la traçabilité du citoyen en temps réel.
C’est pourquoi, il nous faut prendre conscience de ce processus désastreux contre lequel chacun de nous doit s’élever avec détermination, justement au nom de l’héritage spirituel de l’humanité, un combat nécessaire appelé à donner sens à notre avenir.
Simon CHARBONNEAU
Universitaire retraité et militant associatif