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Billet de blog 24 juin 2021

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Vivre libre et mourir (de chaud)

Le récent échec de la proposition de la Loi sur le CO2, refusée par une majorité de votants helvétiques lors du scrutin du 13 juin dernier, a inspiré à l'une des figures de proue du Parti Libéral-Radical, Philippe Nantermod, une réflexion sur l'écologie politique.

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Récemment, dans un petit texte artistement ficelé[1], le chansonnier favori du Parti libéral-radical (PLR), Philippe Nantermod, a trouvé astucieux de comparer les activistes pour la justice climatique, qui se seraient selon lui désintéressés de leur cause, à un « gamin trop gâté » qui dédaignerait, à la veille de Noël, le « train électrique » pourtant fantasmé toute l’année durant.

On ne saurait être trop admiratif de la puissance suggestive de l’image mobilisée – l’amateur occasionnel des belles lettres pourra s’étonner de trouver chez M. Nantermod de si éminentes qualités de prosateur, mais un lecteur plus avisé des œuvres complètes du député n’en attendait à la vérité pas moins de l’auteur de Planification et réalisation des domaines skiables (2017)[2] –, qui dit bien l’intérêt porté par l’auteur aux questions environnementales, si adroitement assimilées à un petit train ; on ne doute pourtant guère que le Reagan de Troistorrents préfère les gros avions.

Il convient néanmoins de placer cette intervention dans le corpus plus large de notre Milton Friedman alpin : c’est que celui-ci a récemment fait de l’injure publique aux militants contre le réchauffement climatique son cœur de métier, donnant à sa carrière un second souffle qu’on anticipe aussi virtuose que ses réalisations les plus précoces. Ainsi de sa participation, pour ne citer qu’un cas paradigmatique de cette seconde manière, à l’émission radiophonique Forum du 21 septembre 2020 lors de laquelle, dans une savoureuse combinaison de misogynie et de psychophobie, il avait proposé à une chercheuse en écologie et militante qui se disait inquiète de l’évolution de la situation climatique d’aller consulter un psychiatre pour se soulager de ses angoisses[3].

Ostensiblement satisfait de son épigramme, et découvrant les joies de la psychiatrisation de l’opposition politique – méthode étrennée par plus d’un régime autoritaire, mais remis au goût du jour par lui, et avec quelle verve ! -, notre Benjamin Constant du Chablais a depuis redoublé d’ardeur dans sa stigmatisation de toute promotion de la justice socio-écologique. C’est que, dans son immense perspicacité, il a immédiatement perçu le péril vert que le mouvement de lutte contre le réchauffement climatique faisait courir à la-démocratie (marque déposée) : « gangrené » par l’ « extrême gauche », il ne fut jamais pour les léninistes de toute obédience qu’un « prétexte pour vendre sous couvert [leur] idéologie mortifère ».

Aux naïves et naïfs songeant candidement, sur la base de la lecture des rapports du GIEC, que le danger résidait bien plutôt dans le dérèglement climatique précipité par le mode d’organisation sociale promue avec ferveur par M. Nantermod et ses multiples doubles, il fait voir, tel Socrate luttant sur l’agora athénienne contre la tyrannie du préjugé et de l’opinion commune, combien plus sérieuse est la menace que font peser sur notre-société-libérale (marque déposée) les activistes écologistes. Cette précieuse vigie de la liberté n’eût-elle fait rempart, par sa plume comme par son activité politique, que notre-belle-démocratie (marque déposée) eût, le doute n’est pas permis, été d’ores et déjà transmuée en une sordide Archipel du Goulag. M. Nantermod, fort heureusement, ne souffrira pas sous nos latitudes, les mêmes avanies que Soljenitsyne jadis, habile qu’il est à déjouer le stalinisme vert avant qu’il ne trompe la majorité de ses concitoyens. Jamais la Suisse ne deviendra la sinistre Sibérie soviétique – ne serait-ce que du point de vue météorologique, sinon politique, M. Nantermod s’emploie à ce que le territoire de la Confédération soit infiniment plus clément que le pays des camps de travail forcé.

[1] https://www.letemps.ch/opinions/enfants-gates-greve-climat-ont-tue-vague-verte, consultation le 24.06.2021.

[2] Nantermod, Philippe, Planification et réalisation des domaines skiables, Zurich, Schulthess, coll. « Recherches juridiques lausannoises », 2017, 336 p.

[3] L’extrait est disponible sous https://www.rts.ch/play/tv/forum-video/video/des-activistes-pour-le-climat-occupent-la-place-federale-debat-entre-anas-tilquin-et-philippe-nantermod?urn=urn:rts:video:11621001, consulté le 24.06.2021.

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