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Billet de blog 25 novembre 2011

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Quelle Laïcité à l'Université ?

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L'Université a cette grande qualité d'être ouverte aux idées, aux cultures et au monde. La dimension internationale se traduit par la fréquentation d'étudiants venus de tous horizons, tant au sein de l'Europe que des autres régions du monde. Cette diversité ne se perçoit pas uniquement par la multiplicité des langues parlées et entendues dans ses couloirs. Elle se caractérise aussi par la présences d'étudiants portant des signes religieux tels le voile (musulman ou chrétien) la kippa ou le turban1. Par leur nature vestimentaire, on les remarque davantage que les médaillons (figure de la Sainte-Vierge, croix de David, main de Fatma, etc …) autour du cou bien plus largement portés.

D'après l'article L141-6 du Code de l'Education, « le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ». Par son caractère laïque, les agents du service public, enseignants-chercheurs ou non-enseignants, sont tenus au devoir de neutralité. De même, il concerne l'enseignement en tant que tel, et aborde la question religieuse uniquement sous l'angle scientifique. Par conséquent, la formation par l'Université (actuelle) des cadres religieux n'a pas sa place2. Or, côté usager (les étudiants), rien dans ne précise l'exclusion ou l'affichage de l'appartenance religieuse, contrairement à l'enseignement primaire et secondaire3. Pourquoi ?

Dans l'enseignement supérieur, il ne s'agit plus d'éduquer des enfants de manière (théoriquement) identique. Sont formés des adultes, jeunes pour leur écrasante majorité4, en vue d'une formation intellectuelle et technique poussée et. Cependant, les droits et obligations des usagers du service public de l'enseignement supérieur sont à la fois très large et très floue : « (Les usagers) disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteindre aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public »5. Par conséquent, on peut légitimement émettre l'hypothèse que les établissements sont libres, dans leur règlement intérieur, de définir les bornes sauvegardant dans leurs murs « l'ordre public ». De même, la dimension internationale de l'université – particulièrement pour le troisième cycle et la recherche – peut plaider en faveur d'une interprétation souple. Elle est complétée par la grande liberté confiée à l'enseignement supérieur depuis 18756. Le poids de la tradition libérale (sur ce point) reste aujourd'hui considérable.

Mais un autre conflit surgit. Il n'est pas rare de croiser, aux hasards des couloirs un peu à l'écart, des étudiants pratiquant leur culte, priant leur divinité. Ce dernier phénomène – qui ne touche en réalité qu'une poignée d'individus pour plus de deux millions – interroge quant à la réaction appropriée et de la place de la pratique religieuse. Pour proposer une réponse, il faut se reporter dans un premier temps aux textes fondamentaux qui encadre la laïcité. Le premier d'entre-eux est bien sûr la loi du 9 décembre 1905 « concernant la séparation de l'Eglise et de l'Etat. L'article premier dit que « la République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes ». Ce premier élément permet d'affirmer que l'Etat est le garant de la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire. L'article 2 consacre la neutralité absolue de l'Etat, ne subventionnant ni ne salariant aucun culte, qu'il ne reconnaît pas.

Mais la deuxième partie de ce second article apporte une autre dimension : « pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Parce qu'il est garant du libre exercice des cultes, l'Etat peut financer – mais n'est nullement obligé – un service public cultuel dans les établissements publics. Cette deuxième partie est généralement oubliée d'une frange radicale laïque. Sa présente peut se justifier de la manière suivante : pour éviter les situations d'infraction de l'espace public, les établissements peuvent consacrer (et le mot prend tout son sens) un local ou une salle au recueillement cultuel et à la prière, en excluant toute pratique d'endoctrinement et de prosélytisme.

Aux vues de cette analyse, la réponse n'est pas évidente. L'enseignement supérieur est un service public, et doit répondre aux règles qui s'appliquent aux établissements publics. D'un autre côté, elle n'est pas au service de l'athéisme, et ne contribue plus autant à la construction d'une cohésion nationale que ne le fait normalement l'Ecole. Le public accueilli dépasse de loin le champ national, tandis que le caractère scientifique l'emporte sur la dimension partisane et politique. Cependant, beaucoup d'autres facteurs interviennent dans ce débat. Il semble par ailleurs que cet article soit bien loin de répondre à la problématique, tant le sujet est étendu. Il faut alors le voir comme une première approche, en attendant de progresser dans la réflexion.

1On constatera que ce sont surtout des étudiantes de confession musulmane qui sont souvent l'objet de ces remarques. Le port du voile dit islamique est devenu le symbole des tensions entre une laïcité radicale, presque athéiste, et une laïcité plus souple, plus libérale. Mais le cas existe aussi avec les étudiants portant la kippa (judaïsme) ou, plus rare, le turban (sikh).Ce sont des cas extrêmes, qui comprennent une palette de situations intermédiaires.

2Référence d'une part au Diplôme d'Université de l'Université de Strasbourg. Un DU équivalent mais clairement dirigé vers la formation des imams que l'ancien président de l'université Paris-Sorbonne, Jean-Robert Pitte (2003-2008) avait tenté de faire passer vainement en 2005.

3Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Article 1 : « Il est inséré, dans le code de l'éducation, après l'article L. 141-5, un article L. 141-5-1 ainsi rédigé : " Art. L. 141-5-1. - Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit (...) " »

4Il ne faut pas oublier les étudiants inscrits en formation continue, en constante augmentation. Il existe aussi des étudiants "professionnels", mais ils sont marginaux en réalité.

5Code de l'Education, Partie Législative, Livre VIII : la vie universitaire, Titre 1er : Les droits et obligations des usagers du service public de l'enseignement supérieur, Chapitre unique, article L811-1, deuxième alinéa.

6Loi Laboulaye du 12 juillet 1875, article premier : « L'enseignement supérieur est libre ».

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