Lorsqu’il arrive dans la dernière ligne droite, il n’y croit pas. Après une attaque à plus de 100 kilomètres de l’arrivée, Tadej Pogacar a pu célébrer à Zürich son premier titre de champion du monde, après plus de six heures et 273,9 kilomètres de course pour 4 470 mètres de dénivelé positif.

Agrandissement : Illustration 1

Le coureur slovène a écrasé la concurrence en partant à 3 tours et demi de la fin, sur un circuit exigeant de 26 kilomètres, comprenant plusieurs côtes dont la Zürichbergstrasse, 800 mètres avec un passage à 17 %.
Quand il attaque (dans la côte de Witikon), personne ne le suit. Seul Andrea Bagioli (Italie) parvient à tenir sa roue, mais pas bien longtemps : 3 kilomètres. Pogacar profite ensuite du relais de son coéquipier de la sélection slovène Jan Tratnik, son concurrent (Team VISMA | Lease a Bike) durant le reste de la saison. Suivi pendant un tour par le Français Pavel Sivakov, « Pogi » s’envole seul à 51 kilomètres de l’arrivée et gagne cette course qu’il voulait tant. Avec la manière.
Derrière, aucun favori n’a été en mesure de suivre l’attaque de Pogacar dans le Witikon (ou du moins aucun n’a voulu prendre le risque). Ni Remco Evenepoel, ni Mathieu Van der Poel, les deux autres ultras-favoris (le champion olympique et le champion du monde sortant) pour le titre, n’ont bougé. La poursuite a eu du mal à se mettre en place et au bout d’un tour seulement tous les équipiers du Belge ont disparu, laissant un groupe composé uniquement de favoris et d’outsiders. Logiquement, on a assisté à une alternance entre phases d’attaques éparses puis de marquage. Cette désorganisation de la poursuite a évidemment profité au Slovène, qui a plus ou moins réussi à stabiliser son avance aux alentours de la minute.

Agrandissement : Illustration 2

Sur le dernier tour Tadej Pogacar a semblé souffrir quelque peu (et heureusement au bout de plus deux heures d’effort en tête de course). Mais ses adversaires ne se sont pas entendus et ne sont pas parvenus à revenir sur celui qui allait alors devenir le nouveau champion du monde. Il devient donc le premier Slovène maillot arc-en-ciel Elite.
Ben O’Connor (Australie) et Mathieu Van der Poel (Pays-Bas) viennent compléter le podium.
Les réactions
Quand il attaque, tout le monde le prend pour un fou. Aux commentaires de France Télévision, Laurent Jalabert déclare : « On connaît les qualités de Pogacar qui est capable de faire de grands numéros mais attention de ne pas être son propre ennemi, de ne pas se faire perdre seul en présumant de ses forces ».
Tadej Pogacar après sa victoire à Zürich : « J’ai peut-être fait une attaque stupide »
Pogacar semble avoir agi sur un coup de tête, énervé par les attaques qui fusaient de tous les côtés alors que son dernier équipier du peloton (Domen Novak) lâchait ses dernières forces. Dans une interview après l’arrivée, le nouveau champion du monde explique que ce n’était pas du tout une offensive calculée mais bien une « attaque stupide ». La sélection slovène avait au contraire prévu de « contrôler la course ».
« Après beaucoup d’années à me battre pour le Tour de France et d’autres courses, je n’avais jamais eu les championnats du monde comme objectif clair. […] Après une saison parfaite, c’était mon but de les gagner. Je n’arrive pas à croire que ce soit arrivé. Je dois remercier toute l’équipe, sans eux cela aurait été impossible. Je suis super fier de notre équipe nationale. »
Remco Evenepoel, cinquième de la course après avoir tenté d’attaquer à de multiples occasions, ne cache pas avoir été très surpris de l’accélération du Slovène. « Journaliste – Avez-vous été surpris quand Tadej a attaqué ? R. Evenepoel – Bien sûr, il restait environ 100 kilomètres. Normalement c’est suicidaire, et à un moment c’est qu’on pensait car on se rapprochait dans le dernier tour. Mais quand on était revenu à 30 secondes, il était dans la descente donc il a pu garder son avance. C’était une course vraiment spéciale,[…] 100 kilomètres full gas. ».
De même pour le médaillé de bronze, Mathieu Van der Poel, qui s’est senti impuissant face à cette performance : « Je pense que tout le monde a essayé, mais on était tous à la limite. C’est difficile de décrire à quel point la course a été dure. L’attaque de Pogacar était assez inattendue avec 100 kilomètres restant. ». Et d’ajouter : « J’ai pensé que c’était assez stupide pour être honnête. Mais il nous a fait mentir. ». Par contre, « MVDP » ne pense pas que le Slovène a gagné grâce au marquage de ses adversaires. Il affirme que tout le monde était « cuit » sur la fin.
Dans les colonnes de L’Equipe, Eddy Merckx ne cache pas son admiration pour le nouveau maillot arc-en-ciel : « On a affaire à un coureur incroyable. […] Pogacar est un immense champion, il est hors norme ». Le monde cycliste en général a salué l’exploit du Slovène.
Une saison exceptionnelle
Cette victoire couronne sa saison ahurissante. En 55 jours de course, Pogacar a gagné 23 fois. Parmi ces victoires, trois classements généraux : Tour de Catalogne, Giro d’Italia, Tour de France. Soit les trois seules courses par étapes auxquelles il a participé.
Lui qui s’était lancé le défi audacieux de réaliser le doublé Giro-Tour a remporté ces deux épreuves avec brio, sans lancer aucune chance à ses adversaires puisqu’il repart avec 6 victoires d’étapes dans chacun de ces grands tours. Rien ni personne n’a pu arrêter celui que certains appellent l’« ogre slovène » dans sa conquête des maillots rose et jaune. Jonas Vingegaard, impuissant, revenant d’une blessure sur le Tour du Pays Basque quelques mois plus tôt, a été relégué à plus de 6 minutes à Nice.
Ce qui est peut-être le plus frappant, c’est que le coureur n’a pas seulement gagné des courses par étapes -sa spécialité- mais aussi des classiques. Et pas des moindres : les Strade Bianche, Liège-Bastogne-Liège et le Grand Prix de Montréal il y a un peu moins d’un mois. Tadej Pogacar n’a laissé en 2024 aucune miette à ses adversaires, et ces championnats du monde en sont la confirmation.
Le Slovène est d’ailleurs sans surprise numéro 1 mondial au classement UCI avec 11 690 points, loin devant le deuxième, le Belge Remco Evenepoel (5677,57 points au 1er octobre). C’est la quatrième saison d’affilée que « Pogi » est en tête de ce classement, mais la première fois avec autant d’avance (sa première place ne bougera pas d’ici la fin de la saison).

Agrandissement : Illustration 3

Le meilleur coureur de l’Histoire ?
Difficile de dire le contraire : Tadej Pogacar est le meilleur coureur du monde actuellement. Il devient le troisième de l’Histoire à réaliser la « triple couronne », c’est-à-dire le triplé Giro-Tour-Mondiaux, après Eddy Merckx en 1974 et Stephen Roche en 1987. Que ce soit par son palmarès déjà immense à seulement 26 ans ou par le panache dont il fait preuve, le Slovène mérite bien son surnom d’« ogre ». Mais est-il le nouveau Cannibale ?
Bien sûr, il est complexe et potentiellement absurde de vouloir tenter une comparaison entre deux immenses champions d’époques totalement différentes. Mais l’homme en question, Eddy Merckx, qualifié de meilleur coureur de tous les temps, ne s’est pas privé d’en faire une : « C’est évident que Tadej Pogacar est maintenant au-dessus de moi. Je le pensais déjà un peu au fond de moi-même quand j’avais vu ce qu’il avait fait sur le dernier Tour de France mais ce soir il n’y a plus de doute. Evidemment on ne peut jamais comparer les époques, mais là on a affaire à un coureur incroyable. Moi je n’attaquais pas à 100 kilomètres de l’arrivée sur un Championnat du monde, ce qu’il a réalisé aujourd’hui est inimaginable. ».
Est-il pertinent d’établir cette comparaison ? Je ne sais pas. Le Cannibale remportait dans ses meilleures années plus de 30 victoires par saison. En comptant les classements généraux, on en compte 39 en 1970, 36 en 1971, 34 en 1972 et 1973 par exemple. Au total, dans son immense carrière, 279 victoires, 11 Grands Tours, 27 classiques (dont 19 Monuments). Il est logiquement resté numéro un mondial au classement UCI de 1969 à 1975.
Pogacar n’a évidemment pas un tel palmarès : 86 victoires, 4 grands tours (trois Tour de France et un Giro) et 13 classiques, dont 6 Monuments. Mais, en considérant qu’il n’est absolument pas au bout de sa carrière, et que le peloton s’est considérablement professionnalisé depuis Merckx, avec plus de coureurs et une plus forte densité de niveau, ces résultats n’ont pas grand-chose à envier à ceux du Belge. Certes le Cannibale avait plus de victoires par saison, mais il avait également davantage de jours de course : en 1970, pour 39 victoires, ce sont 82 jours de course au compteur. Aujourd’hui, les programmes vont vers de moins en moins de jours de course pour de plus en plus de préparation et de stages en altitude. Ainsi, cette année, pour 23 victoires, Pogacar a couru 55 jours. De quoi remettre en perspective cette différence. Et pour couronner le tout, le Slovène semble sur une bonne lancée pour concurrencer la série d’années en tête du classement UCI (il est en tête de ce classement depuis 2021).
Quoiqu’il en soit, Pogacar continue d’épater, et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Et même si l’on considère que la comparaison Merckx-Pogacar est impertinente, il est incontestable que l’ogre slovène marque l’Histoire du cyclisme.
La fin de saison
Pour clôturer sa saison 2024, le champion du monde participera à trois courses italiennes : le Giro Dell’Emilia demain (5 octobre), la Tre Vari Varesine (8 octobre) et le Tour de Lombardie (12 octobre).
Pour ce dernier monument de l’année, le Slovène est a priori le favori. Il y retrouvera son compatriote Primoz Roglic, récent vainqueur de la Vuelta, ainsi que Remco Evenepoel qui sera -on l’imagine- avide de revanche. De quoi offrir du spectacle. Surtout si Pogacar nous refait une Pogacar.