On entend souvent dire que les technologies ne sont pas bonnes ou mauvaises par nature mais que c’est l’utilisation que les hommes en font qui est politique. Cette phrase est assez facile à penser, elle paraît simple et pertinente à la fois. Un couteau peu servir à couper des oignons comme à tuer. On pourrait être tenté d’appliquer cette réflexion aux technologies OGM. Le problème ici c’est qu’aller dire, aujourd’hui, en France et en 2023 : « n’ayez pas peur des OGM ce n’est qu’une technologie etc », c’est nier ce qu’est l’industrie et des OGM.
Parce qu’en effet si on s’en tient à une définition stricte, les organismes génétiquement modifiés sont des organismes vivants dont le patrimoine génétique a été modifié via des approches de génie génétique. Les défenseurs des OGM vont souvent s’attarder sur cette définition pour répondre à leur détracteurs.1 Ils vont le faire en expliquant que le patrimoine génétique des organismes est constamment modifié, qu’on le veuille ou non. Que l’Homme modifie le patrimoine génétique des organismes qui l’entoure depuis toujours, que ce processus a commencé bien avant les débuts de l’agriculture moderne et ils pourraient même expliquer que n’importe quel organisme vivant sur terre modifie le pool d’ADN qui l’entoure.
En répondant sur des arguments techniques on fait passer les détracteurs des OGM pour des ésotériques et on perd de vue une grande partie du sujet. Aujourd’hui défendre les OGM c’est défendre des entreprises qui détiennent des brevets et qui exercent des politiques sur des territoires. Par exemple le déploiement de ces technologies pourrait permettre à des entreprises de breveter des gènes dit « natifs » c’est-à-dire présent dans les cultivars traditionnels et ainsi s’accaparer une partie du vivant. En contraignant les paysans qui auraient le malheur de cultiver des plantes porteuses de ces gènes brevetés à modifier leur activité voire à payer.2
Je reviens à la métaphore du couteau : le couteau peu servir à couper un oignon, certes, mais est-ce qu’à ce titre on doit militer pour défendre une industrie qui fabriquerait des dagues, des poignards ? Néanmoins, c’est aussi au seins de ces entreprises qu’on retrouve les techniques, les savoirs faire, les outils, qui permettent de fabriquer des couteaux et qui avec un peu de R&D pourraient permettre de fabriquer des couteaux destinés à la cuisine.
Alors si demain nous étions tous d’accord pour faire prendre à nos politiques un réel virage écologiste qui remette en question l’accaparement du vivant par des entreprises, que ferions nous de ces industries que sont Monsanto ou Syngenta ?
Supposons que nous ayons déjà socialisé ces industries et qu’il ne nous reste « plus qu ‘à » décider collectivement de ce qu’on en fait. Il serait stupide de vouloir arrêter la recherche en génie génétique, perdre une technologie pareille n’est pas souhaitable. Les défis à venir nous demanderons d’avoir des connaissances profondes des mécanismes biologiques, et abandonner tout un champ disciplinaire tel que celui de la génétique est absurde. La génétique nous éclaire sur la façon dont fonctionne nos cellules, nos organismes et nos écosystèmes. Je ne vois pas comment on peut sérieusement avoir pour projet d’arrêter toute recherche allant en ce sens.
Continuons les recherches donc ! Mais orientons-les afin qu’elles servent l’intérêt commun et non l’accumulation de capital. Si aujourd’hui les OGM servent à remplacer les champs de sorgho en Afrique de l’Ouest par des champs de blé pour satisfaire la demande européenne, tout en ruinant les paysans sénégalais – ce que certain appelle « l’agro-colonialisme »3 –, on pourrait imaginer un monde où l’OGM sert à produire des cultivars résistants aux sécheresses qui nous attendent, à l’augmentation de la salinité des sols etc. On pourrait également mettre ces technologies au service d’approches comme celle des cultures en agroforesterie, et pas seulement de la mono-culture.
Dans la société actuelle, les OGM servent d’outil au grand capital pour s’approprier la nature et en tirer profit, pour asservir l’Afrique et les paysans du monde. Défendre les OGM sur des arguments techniques en France en 2023 c’est soutenir l’action de ces entreprises. Mais vouloir les interdire c’est vouloir empêcher l’avancement d’une discipline clé pour la compréhension du monde vivant.
La lutte centrale que je voudrais mettre en avant ici, c’est donc la lutte anticapitaliste. Et quand la confédération paysanne défend les vingt-huit faucheurs volontaires arrêtés pour désobéissance civile* elle lutte pour sa survie face à un agrobusiness qui s’accapare le vivant. La lutte anti-OGM est un exemple concret de lutte contre la propriété des multi-nationales sur les terres agricoles, les brevets, les cultivars.
1 https://reporterre.net/Le-ministre-de-l-Agriculture-veut-banaliser-les-nouveaux-OGM-22072
2 https://www.confederationpaysanne.fr/rp_article.php?id=13483
3 https://www.mediapart.fr/journal/international/230921/en-afrique-des-paysans-en-lutte-contre-l-agro-colonialisme?userid=0b9d48c8-a051-41e0-8778-093e1f51662a