I -
C’est dix ou quinze dernières années, sur les réseaux sociaux francophones les zététiciens ont fait leur trou. Ces zététiciens aspirent à l’expertise du doute. Ils ne parlent pas de devenir experts en biologie, en physique ou en sociologie, mais bien dans le fait de douter et de raisonner rationnellement.
Cette approche sépare la méthode d’analyse scientifique de la nature de la science en question. Ils postulent qu’avec une approche ‘rationnelle’ il est possible d’analyser n’importe quel fait quel qu’en soit sa nature, quel que soit le champ disciplinaire dans lequel celui-ci s’inscrit.
Si bien que ces youtubeurs zététiciens peuvent un jours faire une vidéo traitant d’un sujet plutôt lié à la biologie, le lendemain publier une vidéo au sujet des OVNI puis le mois d’après parler d’un fait-divers ayant fait la Une des médias.
Je ne pense pas qu’il y ait de souci à tenir une chaîne Youtube généraliste. Ce que je veux dire ici c’est que leur ligne n’est pas lié à un champ disciplinaire particulier mais bien à cette ‘pensée critique’.
II -
Dans le monde professionnel dans lequel j’évolue on y croise beaucoup de consultants, c’est comme ça qu’on les appelles. On a récemment entendu parler du ce concept dans les médias avec l’affaire McKinsey. Ce sont des gens que certaines entreprises – ou gouvernements – payent pour travailler sur un sujet donné ; crée des comptes-rendus, donnent des analyses, des conseils.
C’est consultants n’ont pas vocation à travailler toute leur carrière sur un seul sujet, c’est d’ailleurs plutôt déconseillé dans ce milieu. Ils vont passer d’un projet à un autre d’année en année, passer de la finance au secteur aéronautique ou à celui de l’énergie. D’ailleurs dans ce milieu on utilise souvent les termes de ‘projet’ ou ‘mission’. Il y a là déjà dans ces termes une notion de courte durée, ou du moins d’une durée définie, qui a vocation à s’arrêter.
Ici comme chez les zététiciens on a une séparation entre l’expertise et le secteur. Les consultants semblent aspirer à devenir experts et non spécialistes d’un secteur d’activité. Ce sont des experts en compétences transverses ; la méthode de travail, les beaux PowerPoint.
III -
Je travail également avec ce que l’on appelle des data-analysts (oui, on le dit en anglais aussi dans la vraie vie). Ici on retrouve un schéma similaire à ceux présentés plus haut : l’analyseur de donnée fait ça, quelque soit les données, il analyse. Qu’elles soient issues du séquençage d’un génome ou de transactions boursières, l’analyseur de données les traitent comme les octets que ces données sont physiquement.
On a là une séparation entre la nature de l’activité dans laquelle s’inscrit l’analyse et le traitement des données. Les data-analysts, comme les consultants, sont formés aux compétence transversales nécessaire à la gestion de ces bits. Du jour au lendemain (ou presque) l’analyseur peut devenir banquier, assureur ou biologiste.
IV -
Ces trois profils m’ont l’air parfaitement adapté, ou semble découler, d’une société de l’économie libérale dans laquelle on demande aux acteurs d’être toujours plus mobile, flexible : passer d’un boulot à un autre, se former… Être réactif sur le marché du travail, réorienter son activité si celle-ci baisse etc.
Le data-analyst peut partir bosser pour Dassault si jamais Astrazenecat n’a plus besoin de lui, pareil pour le consultant qui s’inventera une expertise sur le marché des voitures électriques si jamais la Poste n’a plus de mission pour lui.
Le zététicien dans tout ça a adopté cette approche libérale. Il aspire à devenir un expert des compétences transversales des sciences.
V -
Cependant, si le zététicien peut expliquer, de part une analyses assez distante d’un design expérimental, que rien ne prouve la pertinence de la lithothérapie. On se rend vite compte que d’autres sujets demandent de mobiliser des connaissances plus approfondies dans un champ disciplinaire spécifique. Alors dans ce cas on perd cet aspect universel auquel aspire la zététique. Expliquer à quelqu’un pourquoi la Terre n’est pas plate, demande l’utilisation de notions empruntées à la physique. Et si en face, le platiste avance de nouveaux arguments, alors il faudra être encore plus précis et utiliser toujours plus de notions spécifiques au champ disciplinaire.
Ainsi les zététiciens deviennent expert en démystification de marronnier des pseudosciences, et théories de complot à la mode ; l’homéopathie, la terre plate, les vaccins, le covid…
Cependant, pour aller plus en profondeur dans un sujet ils ont besoin d’y passer plus de temps, et donc, devenir expert (pour de vrai cette fois). On voit d’ailleurs des phénomènes de spécialisation : Hygiène Mentale par exemple avec ses interventions dans les écoles pour former à l’analyse des médias. La Tronche en Biais avec sa série de vidéos sur l’homéopathie. Peut-on encore appeler ça de la zététique ? C’est pas juste de la science/vulgarisation ?
Il en est de même pour les consultants et analyseurs de données que je rencontre – désolé là vous allez devoir me croire sur parole –. Les consultants les plus pertinents sont souvent (toujours) ceux qui ont passé le plus de temps sur le sujet. Ce sont ceux qui n’en sont pas à leur première mission dans le secteur. Ceux qui ne maîtrisent pas seulement les fameuses compétences transversales mais bien ceux qui connaissent le secteur et ses spécificités que l’on ne soupçonnent pas. Ce sont ceux qui connaissent les gens avec qui ils travaillent et ce depuis longtemps, en connaissent les habitudes, les codes.