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Billet de blog 17 avril 2024

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L'écologie à la sauce néolibérale

On connaissait déjà les palabres des entrepreneurs et communicants qui prétendent pouvoir changer le monde grâce à leurs grandes innovations. Lorsque la Chambre de commerce et d'industrie les convie à s'autocongratuler dans un événement dédié à la transition écologique, on est certain qu'on ne sera pas déçu. Immersion au cœur de la mise à mort du langage, dans une ambiance corpo-friendly.

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Le communiqué de presse annonce la couleur : "L'événement qui change tout !" Avec une telle promesse, on s'attend à une ambiance électrique en entrant dans la Maison des Entreprises, dans ce qui semble être un rassemblement de start-uppeurs prêts à unir leurs forces pour contrecarrer les plans maléfiques du réchauffement climatique. Les journalistes locaux sont souvent conviés à ces événements supposément inspirants. Par souci d'anonymat (et aussi parce que j'aimerais garder mon taf), ni lieu précis ni entreprises ne seront mentionnés.

L'art de ne rien dire en trop de mots

Ce qui ressort principalement de ce genre d'événement, ce sont les mots utilisés. Là où les entrepreneurs se targuent d'être experts en communication, on note surtout qu'ils sont de moins en moins bons pour diluer leur sujet (la fameuse transition écologique) dans de longs discours qui se ressemblent tous par le vide abyssal de leurs idées.

Dans ces plaidoyers émouvants, on multiplie les termes assez larges et abstraits pour englober tout ce qui touche de près ou de loin à l'écologie : les fameux "enjeux sociétaux", saupoudrés de "sobriété énergétique", sans oublier le sacro-saint "développement durable". Le tout s'inscrit dans la "responsabilité sociétale des entreprises", ou RSE pour les intimes, définie par l'Insee comme "la contribution volontaire des entreprises aux enjeux du développement durable, aussi bien dans leurs activités que dans leurs interactions avec leurs parties prenantes".

Ces éléments de langage plus vagues qu'une tirade de Sarah El Haïry devraient perdre en efficacité face à un auditoire conscient de l'urgence climatique actuelle. Fort heureusement pour nos entrepreneurs préférés, cet auditoire n'existe pas dans ce genre d'événement. Ici, les organisateurs souhaitent "prendre en main le développement durable" en soulignant les "bonnes actions" des entreprises qui affichent l'objectif d'un bilan carbone neutre d'ici 2050. On applaudit les directeurs et leurs "convictions personnelles" qui les poussent chaque jour à s'investir pour rendre la planète plus belle.

Un vaste programme, divisé en plusieurs espaces de networking pour "identifier des solutions" et "être acteur du changement" : on commence par un atelier sobrement intitulé "Inventons nos vies bas carbone", avant d'enchaîner sur une table ronde autour de l'innovation circulaire, "une opportunité pour les entreprises". Après la pause réseautage pendant laquelle on s'échange des cartes à tout va, le clou du spectacle peut commencer : une "conférence inspirante" qui invite ses auditeurs à "lever [leurs] pensées limitantes". Séchez vos larmes, vous n'avez encore rien vu.

Captiver son auditoire par des termes vidés de leur sens

De quelles "bonnes actions" parle-t-on exactement ? À en croire les tirades passionnées de certains commerciaux, il s'agirait d'initiatives révolutionnaires. C'est en tout cas ce que prétend la représentante d'un groupe bancaire, lorsqu'elle explique que sa société est sur le point de "mener une révolution environnementale". Rien que ça.

À ces mots, certains de ses comparses haussent les sourcils : "C'est un peu fort non ?" On comprend que l'usage de ce terme choque nos amis entrepreneurs : la révolution, c'est bon pour les islamo-gauchistes. 

D'ailleurs, même si on souhaite endiguer les effets du réchauffement climatique, la lutte n'est jamais une option envisagée : on opte plutôt pour un accompagnement, une transition, rien de trop brutal pour les investisseurs. Précisons également que les effets dramatiques des bouleversements climatiques ne sont jamais développés par les intervenants. Il ne faudrait pas effrayer le bon sens commun par des scénarios catastrophiques.

Mais revenons à notre représentante marxiste-léniniste : quel projet révolutionnaire son groupe bancaire a-t-il pu concocter pour sauver notre monde ? Accrochez-vous : ils ont acheté une forêt. "Nous souhaitons la préserver et la faire fructifier", précise-t-elle. Et soudain, tout s'éclaire dans les yeux de ses comparses : il ne s'agit pas de renverser la société capitaliste en bouleversant nos modes de consommation, loin de là. Tout est fait pour goinfrer le chiffre d'affaire d'entreprises qui ne souhaitent en aucun cas la disparition du système néolibéral qui les enrichit chaque jour. En bref, si on investit dans la transition écologique, c'est parce que ça rapporte du fric. Toutes nos excuses si vous êtes tombé.es de votre chaise à la lecture de ces mots.

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