Il suffit d'une simple recherche pour s'en rendre compte. Tapez "grève agricole" dans votre moteur de recherche favori, et les raisons de la colère des agriculteurs vous seront déroulées de façon claire et explicite, avec des directs analysant l'évolution du mouvement heure par heure.
Faites de même avec les termes "grève SNCF", et vous verrez fleurir les articles élogieux du Figaro qui s'insurgent de cette « menace », les billets du Point où l'on raille les « motifs fallacieux » des cheminots, et les interviews du patron de la SNCF Jean-Pierre Farandou qui explique au JDD que « les Français ne comprendraient pas une grève longue et dure en décembre pour des questions de salaire ». Parce que réclamer une paye décente dans le pays de Macron, c'est un peu osé quand même.
Sans surprise, les hostilités ont été lancées dimanche matin sur RTL par votre ministre fasciste préféré, celui qui pourrait faire passer Darmanin pour un dangereux Léniniste. On applaudit bien fort Bruno Retailleau pour sa fine analyse des mouvements de grève de la SNCF : « Les cheminots c’est habituel, c’est routinier. C’est ce que j’appelle la gréviculture. » Admirez l'habile mot-valise entre "grève" et "agriculture", qui annonce la suite de son discours.
Les bons travailleurs contre les preneurs d'otages
Parce que se contenter de taper sur ces feignasses du service public, c'est un peu surfait non ? Pas de panique, Bruno sait lier l'utile à l'agréable et n'hésite pas à enfoncer un peu plus les cheminots en les opposant aux agriculteurs qui sont de vrais bosseurs, eux : « Entre des agriculteurs qui n'arrivent plus à vivre du fruit de leur travail et des syndicats de cheminots qui veulent prendre en otage les Français, il y a deux poids, deux mesures. »
Attardons-nous sur l'usage absolument abject et déplacé du champ lexical de la prise d'otage, dont la droite adore s'emparer dès que ses intérêts financiers sont un peu ébranlés. Bruno Poncet, cheminot syndiqué chez SUD-Rail et rescapé du Bataclan en fait régulièrement les frais sur les plateaux où il est invité (par exemple dans cet extrait sur LCI) : « J'ai été pris en otage pendant une heure et demie, je peux vous garantir que ça n'a rien à voir avec une voiture bondée de voyageurs quand il y a une grève. »
Sur la question de la prise d'otage, l'Infâme Retailleau est rejoint par nul autre qu'Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA qui se définit comme un paysan à la tête d'une petite exploitation céréalière de 700 hectares et de plusieurs holdings. Pour s'attirer la sympathie des médias et du public, ce patron n'hésite pas à se placer à rebours des terroristes de la SNCF en annonçant la fin du mouvement vers la mi-décembre afin de « ne pas prendre en otage la période de Noël, une période de consommation de nos produits ».
Il faut sauver les fêtes de Noël
Pour Retailleau et Rousseau, les agriculteurs sont de bons grévistes : ils se plaignent, déversent du lisier devant les préfectures, mais jamais ils n'empêcheront les Français de profiter des fêtes de fin d'année. Ne vous méprenez pas, l'Infâme Retailleau s'oppose malgré tout à un « blocage durable » qui porterait atteinte aux biens ou aux personnes. Si les agriculteurs ont l'audace de faire résonner leur colère un peu trop fort, ils se heurteront aux forces mobiles, comme tout le monde. Mais on les remerciera de ne pas avoir gâché Noël.
En opposant ces deux mouvements protestataires aux revendications pourtant très proches (de meilleurs salaires et pas de concurrence de l'étranger ou du privé), la droite s'assure de maintenir la défiance envers le service public ferroviaire, tout en évitant une convergence des luttes qui serait délétère pour ses intérêts.
Pour résumer, y'a le mauvais gréviste : y veut une revalorisation salariale et empêcher la concurrence déloyale dans son secteur, y débraye. Le bon gréviste : y veut une revalorisation salariale et empêcher la concurrence déloyale dans son secteur : y débraye...mais c'est un bon gréviste.