Au Liban, l’indépendance de la justice est menacée
La recherche de la vérité sera-t-elle muselée ?
Le juge Tarek Bitar, 47 ans, s'est mis à dos le puissant mouvement chiite armé Hezbollah et ses partisans dans le cadre de son enquête sur la meurtrière explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020. Malgré de fortes pressions politiques, notre collègue entend en effet poursuivre plusieurs responsables. Ceux-ci refusent, d'être interrogés, même si les autorités ont reconnu que les énormes quantités de nitrate d'ammonium qui ont explosé avaient été stockées au port pendant des années sans précaution. Parmi eux figurent deux anciens ministres qui étaient membres du mouvement Amal, allié du Hezbollah.
Tarek Bitar est la cible de violentes attaques verbales et de menaces depuis qu'il a émis, mardi 12 octobre, un mandat d'arrêt contre ces deux hommes politiques.
La manifestation de jeudi 14 octobre, organisée par les mouvements chiites Hezbollah et Amal, s’est produite après le rejet par la Cour de cassation des plaintes de députés et d'ex-ministres à l'encontre de Tarek Bitar. Les affrontements se sont déroulés à Tayouné, à proximité du Palais de justice, où se rendait la manifestation. Alors que des partisans des deux partis chiites, y étaient massés pour exiger le départ du juge Tarek Bitar, c’est là où des snipers embusqués ont alors tiré et que certains manifestants ont riposté.
Agé de 47 ans, ce discret magistrat chrétien (au Liban, on doit noter « les identités religieuses ») à qui on ne connaît pas d'affiliation politique ( fait rare dans la magistrature libanaise) Tarek Bitar qui s'est forgé une réputation de magistrat intègre et incorruptible est devenu aux yeux des victimes de l'explosion et pour une partie des Libanais une icône. Toute une partie de la population le soutient sur les réseaux sociaux, dégoutée par la classe politique libanaise.
Lorsqu'il reprend l'enquête en février dernier sur l'explosion du port de Beyrouth, il déclare au journal francophone L'Orient-Le Jour vouloir aller jusqu'au bout. « Rien ne m'arrêtera, nous avons le devoir envers les victimes de parvenir à la vérité. »
Le tandem chiite Hezbollah-Amal, mais également des responsables sunnites et chrétiens poursuivis par le juge Bitar, exigent son dessaisissement, arguant que son travail est arbitraire et politisé, alors que le magistrat, malgré les intenses pressions dont il fait l'objet, veut poursuivre plusieurs dirigeants dans le cadre de son enquête sur le drame du port.
les pressions contre ce collègue ne cessent d'augmenter.
Le Conseil supérieur de la magistrature a tenu mardi une réunion consacrée au bras de fer entre le juge Tarek Bitar, et une partie de la classe politique libanaise qui réclame son dessaisissement sous prétexte que son action est politisée.
Parallèlement à la réunion du CSM, des activistes du collectif du "Front de l'opposition" ont tenu un sit-in devant le palais de Justice de Beyrouth, pour soutenir le juge Bitar et dénoncer les ingérences dans le travail du pouvoir judiciaire. Aucune information n'a encore filtré sur la teneur des discussions des magistrats qui composent le CSM.
Tarek Bitar incarne le symbole d'une justice indépendante, un des derniers piliers du Liban sur le point de s'effondrer. Il faut le soutenir.
En France une information est également en cours concernant l'explosion de Beyrouth du fait qu'un certain nombre de victimes sont française. A l'évidence la vérité ne pourra se faire en France si elle ne peut se manifester au Liban. Peut-être que cette situation se retrouve dans d'autres pays dont des nationaux ont été victimes?
Est, par ailleurs, essentielle pour l’Europe la situation du Liban qui, au cœur d’une zone géopolitique hypersensible, se trouve au carrefour de toutes les cultures.