Nos carrières professionnelles ne se sont pas croisées si ce n’est à la fin, à la Cour d’appel de Paris, à la fin des années 2010.
Par ailleurs, nous nous sommes retrouvés à Tunis en 2016 où j’étais en en mission, quand après sa retraite il présida le GIP « Justice coopération internationale " .
C’est donc dans ce lieu d’amitié, de débats, de réflexions et d’actions, mais aussi des moments festifs, propre au Syndicat de la Magistrature (SM) que se sont forgés mes liens avec lui.
Quelle chance, oui quelle chance, d’avoir pu partager avec lui des combats communs notamment dans notre bureau commun (1982 -1983) lui étant secrétaire général et moi présidente ; mais aussi avant et après et toujours car il resta toujours fidèle au SM.
C’est Daniel qui me téléphona pour me demander de me "présenter au bureau", décision que je n’aurais jamais prise d’initiative.
C’est lui qui m’adouba dans ce monde si nouveau pour moi des relations au plus haut niveau avec le ministre, Robert Badinter, les syndicats, CGT, CFDT, PASP, SNJ, et autres, les associations alliées, comme la Ligue des droits de l’homme, le MRAP etc…
C’est Daniel qui me montra le chemin pour assumer cette responsabilité d’une fonction qui au début vous donne le tournis : tout d’un coup, chaque parole prononcée, chaque phrase écrite, engagent toute une organisation.
Tant d’années de mobilisations communes et de moments partagés, en équipe celle du Syndicat de la Magistrature !
La politique de l’enfance, la politique pénale, le sort des étrangers, le statut de la magistrature, la prison, les droits de l'homme etc… bref, une société de justice et de solidarité avec un souci de s’ouvrir vers d’autres cultures. Voilà ce qui l’habitait.
La magistrature sait-elle ce qu’elle lui doit ? la « transparence » et un formidable renouveau avec un coup de vent frais dans la formation continue des magistrats et l’ouverture vers les horizons judiciaires étrangers pour sortir, enfin, de notre hexagone.
Ses amis savent ce que nous lui devons, une richesse et une imagination sans borne dans la réflexion et l’action mais aussi des bons moments de rigolades tant la joie de vivre l’habitait. Et le tout sans se mettre en avant.
D’abord le temps d’avant le 10 mai 1981, à l’époque où le pouvoir politique s’en prenait au SM et où nous, les syndiqués, nous trouvions dos au mur, les poursuites disciplinaires en étant le grave symptôme,
c’était au temps de la lutte contre la loi Peyrefitte dite « Sécurité Liberté » contrôles d'identité généralisés, saisine directe (ancêtre de la comparution immédiate) règles rigides de la récidive et du sursis... autant de dispositions instillant dans l'esprit des français l'amalgame sécurité-répression
c’était au temps de la lutte contre la loi Bonnet – ministre de l’Intérieur – qui avait accru les possibilités d’expulsion et de refoulement des étrangers et initié la "double peine"
c’était au temps de la lutte contre la volonté gouvernemental d’abolir toute autonomie des tribunaux d’instance en créant un lien fort avec les TGI…
et bien sûr c’était au temps de la lutte contre la peine de mort
et bien d’autres combats encore.
Et puis ensuite, ce fut l’espoir politique.
Qu'espérait-il ? Qu’espérions-nous ?
La réforme du statut de la magistrature afin de la libérer de l'emprise du pouvoir exécutif et de délester les magistrats de l'angoisse de la carrière, de fonder le fonctionnement de la justice sur la démocratie et non sur la hiérarchie et l’autorité centralisée
La réforme de la prison et de l’application des peines : la justice ne devait plus s'arrêter aux portes de la prison : judiciarisation de l’application des peines et création des Tribunaux de l'Application des Peines
Une autre politique pénale : la prison a minima et le traitement des causes de la délinquance et non seulement des effets,
L’avènement d’une société de solidarité, innervée par un monde associatif dynamique, dynamisme associé à une politique sociale ambitieuse sur laquelle la justice pénale, mais aussi civile, aurait pu s’appuyer ; les réformes ne suffisaient pas, nous recherchions un regard plus social d'accompagnement du judiciaire comme l’avait rappelé Daniel dans son article du livre des 50 ans du SM
Etc…
Et puis vint la complexité du réel celle de la situation d’une certaine convergence avec la politique dont témoignait le nombre des membres du SM dans les cabinets ministériels, et singulièrement de la justice, et la nécessité de maintenir, sans faille, le cap de l’indépendance syndicale.
Un des sujets de tension fut la question des étrangers car après une politique généreuse elle a connu un revirement. La montée du "front national" et le retour des thématiques migratoires dans le discours politique pesèrent dans les choix politiques. Aussi le congrès de 1983 eut-il pour thème : « Les étrangers des exclus parmi d’autres », nous y avions accueilli des jeunes de la Marche contre le racisme et pour l’égalité.
Dans un texte proposé au vote du congrès nous avions dénoncé une « législation d’exception » frappant les « clandestins » mais des camarades, engagés dans le monde du pouvoir politique, avaient réussi à faire voter un amendement de suppression de ce passage.
On s’en est remis mais nous fûmes bien amers.
Et bien sûr, toutes nos espérances ne furent pas comblées : statut, Sécurité Liberté dont l'abrogation ne fut pas totale etc...
Une dernière évocation car il s’agit d’une affaire oubliée mais d’un combat qui reste.
Daniel avait soutenu les amis et la famille de Patrick Mirval, un Antillais âgé de vingt ans, mort, en 1974, prétendument d’un suicide en prison : sa famille et un comité de soutien, n'avaient jamais cessé de demander la réouverture de son dossier clôturé par un non-lieu devenu définitif après le rejet de l'appel et du pourvoi. Il était détenu pour un vol présumé de 57 Francs en pièces de monnaie (volés dans une machine à sous) il avait réagi par une violente colère en apprenant le refus de sa mise en liberté. Il n’y eut pas de nouvelle enquête.
Daniel persista dans ses combats. malgré les désillusions. C'était comme ça sa vie et il l'aimait.
Simone GABORIAU, magistrate honoraire, ancienne présidente du Syndicat de la Magistrature