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Billet de blog 9 février 2025

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Le cow-boy de Bois d'Arcy

Comment une étudiante s’est retrouvée face à un inconnu armé la menaçant. En plein milieu de l’après-midi, en pleine rue, en toute impunité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La scène a eu lieu à Bois d’Arcy le vendredi 9 février 2024, en banlieue parisienne. Cette arme était celle d’un policier hors de ses heures de travail, ne portant aucun signe de l’exercice de sa fonction. Illégal, ce comportement de la part des agent·e·s de police est de plus en plus fréquent mais trop rarement signalé ou réprimé.

Ce vendredi après-midi, Julia propose à une amie d’aller à la salle de sport. Avant de la rejoindre, elle doit passer chercher un colis. La supérette se trouvant à côté d’une résidence privée, les places de parking disponibles sont des places privées. « Je n’en ai que pour 5 minutes, je vais me garer sur une place privée » se dit Julia. « Ça arrive à tout le monde ».

Après être allée récupérer son colis, elle retourne à sa voiture et met le contact.

À ce moment, un homme d’une trentaine d’années, habillé en jogging sweat et baskets s’approche du véhicule. « À première vue il ne m’inspire pas confiance. J’ai un peu peur mais je baisse ma vitre » confesse-t-elle. L’homme - d’un ton froid - lui fait remarquer qu’elle est stationnée sur une place réservée aux riverains dans un parking privé, ce à quoi elle opine de la tête.

Alors qu’elle effectue son créneau pour se mettre dans le sens de la voie, l’homme se poste devant sa voiture et ne bouge pas. « Ça dure 30 secondes. Je me dis qu’est-ce qui se passe, je ne comprends pas trop et ça m’énerve un peu ». Il note sa plaque d’immatriculation et Julia commence à trouver ça étrange. Sous le regard d’une femme au balcon, elle le rembarre quand il s’approche de nouveau de sa fenêtre pour lui parler. Elle décide de partir, sous les insultes de la personne au balcon – dont on apprend par la suite qu’elle est la petite amie du policier, elle aussi policière – qui lui crie « connasse ».

Pressée de laisser cette situation embarrassante derrière elle, elle part. Ce n’est que lorsqu’elle s’arrête au feu rouge quelques centaines de mètres plus loin qu’elle aperçoit dans son rétroviseur ce même individu arriver en courant.

« j’aurais très bien pu tirer si j’aurais voulu, et j’ai même pensé à le faire »

Il se met une nouvelle fois devant la voiture et il dézippe son gilet. En dessous, une arme bien visible à la ceinture. Comme si l’arme ne suffisait pas à l’intimider, il sort son badge de policier et prend une posture de cow-boy. « De toutes façon c’est le rôle qu’il voulait jouer : il voulait m’intimider » analyse-t-elle.

Illustration 1
Le contrôle © faustine_mtd


En voyant l’arme, Julia panique et lorsque l’homme dégaine et lui demande de sortir de la voiture, la peur éclate : « J’avais hyper peur, dans la manière dont ça a été fait je me suis sentie encore plus agressée. Parce que moi le mec je ne savais pas du tout qu’il était flic avant qu’il sorte son arme et son badge. […] Il n’était même pas en uniforme, ne portait aucun brassard ni rien. Il n’était même pas pendant ses heures de travail ».

Une fois sur le bas-côté, Julia – choquée - lui demande ce qu’il se passe. Ce a quoi il lui répond : « Ce que vous avez fait madame […] c’est un refus d’obtempérer et je vous arrête pour ça. C’est vraiment inadmissible » ajoute-t-il, avant de l’accuser (après avoir couru 400 mètres) de lui avoir roulé sur le pied en partant.

Outrée, elle lui signale qu’il n’a pas à pointer son arme sur elle, d’autant plus qu’à aucun moment il ne lui a signalé être un policier. Mais il ne se démonte pas et insiste lourdement : « Moi j’ai le droit de faire ça. Alors que vous vous n’avez pas le droit de faire un refus d’obtempérer et de me rouler sur le pied, vous avez voulu m’écraser. C’est vous qui êtes en tort et pas moi ».

Il surenchérit, de plus en plus agressif : « j’aurais très bien pu tirer si j’aurais voulu, et j’ai même pensé à le faire quand nous étions sur le parking et que vous êtes partie ».

Après l’avoir sermonné, l’officier lui explique qu’il va appeler ses collègues, et que « toute procédure qu’elle allait entamer contre lui allait se retourner contre elle car ce qu’elle a fait n’était pas acceptable, et donc qu’elle allait perdre ».

Julia se sent menacée et choisit de ne pas le provoquer plus, tout à fait consciente de ce qu’il était en train de faire : « Son égo a été touché et il a dû se dire que c’est une petite jeunette, qu’elle ne va rien faire alors il a voulu m’impressionner et m’arrêter pour refus d’obtempérer ».

Il contrôle ses papiers d’identité, prend son numéro de téléphone et, satisfait de son travail, la laisse partir.  

Alors que Julia remonte dans sa voiture, une personne qui a aperçu la scène court vers elle et lui demande si elle va bien. « J’ai clairement dit non. »

Illustration 2
Une témoin essaie de l'aider après le choc. © faustine_mtd

La témoin lui pose des questions, trouve la situation inadmissible : « elle me dit que c’est un abus de pouvoir, un abus d’autorité ».

« De toutes façons j’ai senti qu’il vous parlait super agressivement et que quand il m’a aperçu, d’un coup il a arrêté de vous parler d’un ton aussi agressif » ajoute t-elle, ce qui explique qu’il l’ait laissée partir subitement.

Elle reste une trentaine de minutes avec elle avant de  recevoir un SMS du policier (source à l’appui) : « ça va vous allez bien ? ». Ce message suspect et absolument interdit par les règles déontologiques de la police la laisse suspecte, et elle décide de ne pas répondre et rentrer chez elle.

Sur le chemin, elle rejoint un ami et reçoit un deuxième SMS [à 18h42] : « Concernant notre litige, on fait quoi ? ». Cette sollicitation la surprend d’autant plus que le policier avait fait preuve de beaucoup d’assurance, lui assurant qu’il allait porter plainte etc.  
Elle ne répond toujours pas et rentre chez elle.

La réaction de l'institution, entre bonne figure et impunité

Illustration 3
Le dépot de main courante © faustine_mtd

Après avoir expliqué la situation, son père lui propose d’aller déposer une main courante, ce qu’elle fait. En expliquant la situation, elle a directement la confirmation le soir même auprès des effectifs de police que le comportement de celui qui est a priori leur collègue est totalement illégal et anormal.

Après avoir déposé main courante et détaillé tous les événements auprès d’un autre agent, elle fait un signalement à l’IGPN sous les conseils des agent·e·s, qui sera accepté peu de temps après. 
Un an plus tard, rien n'est advenu. Après 7 mois l'IGPN lui a rendu une réponse, la réprimant pour son "comportement inapproprié" signalé par l'agent de police lorsqu'il a été interrogé. Quant à lui, il a simplement été "rappelé à ses obligations statutaires et déontologiques".

« Voilà c’était mon petit vendredi après-midi à Bois d‘Arcy ».


 L’augmentation du champ d’action des forces de l’ordre et ses conséquences

Depuis la loi relative à la sécurité publique votée en février 2017, qui – entre autres – assouplit les règles d’emploi des armes à feu de la police, le nombre d’interventions létales en cas de refus d’obtempérer a augmenté, causant 13 décès en 2022. Cette loi contient notamment la possibilité de tirer sur les occupants de véhicules en fuite, ce qui fut le cas pour le jeune Nael à Nanterre. Elle « fait partie d’une longue série de lois qui commence en 1994 »*

Le port d’arme hors service est – depuis l’arrêté du 25 juillet 2016 – simplement soumis à une « déclaration préalable par le fonctionnaire de police à son chef de service ».

Alors que les peines en cas d’outrage aux forces de l’ordre se durcissent et que des mesures renforçant leur anonymat sont développées**, les dispositions « s’empilent, mais surtout s'accélèrent et se généralisent » comme l’explique Olivier Cahn, chercheur en droit pénal.

Pour plus de détails sur les interventions létales de la police, consultez le rapport de Basta.
*Pour reprendre les mots de Léa Sanchez et Raphaëlle Aubert dans un article du journal Le monde : Forces de l’ordre : vingt-cinq ans de lois pour « protéger ceux qui nous protègent »
**pour le délit d’outrage, voir l’article d’Amnesty International. Pour les mesures renforçant l’anonymat,  voir la loi de sécurité publique, puis la loi du 23 mars 2019.

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