Je ne peux ne rien dire…
Il fait un peu sombre ici* lit-on depuis quelques mois sur le frontispice de la Schaubühne, un grand théâtre de Berlin.
Je ne saurai jamais comment je me serais comporté·e durant la période nazie, si témoin de persécutions de personnes d’origine juive, et avec un pressentiment diffus de ce qui pouvait être entrain de se passer dans les coulisses de l’histoire en marche, je serais restée muet·te ou j’aurais osé partager mes doutes et faire part de mon épouvante. Je me le suis souvent demandé.
Il aura fallu du temps pour qu’en Allemagne, exprimer un sentiment de révolte à l’évocation du génocide perpétré par le gouvernement d'Hitler aille de soi, il aura fallu encore plus de temps pour que ce macabre pan de l’histoire allemande soit reconnu officiellement.
Reste à jamais cette incertitude de si, quand et sous quelle forme j’aurais osé parler haut et fort en pareilles circonstances.
Je sais cependant que monte en moi un sentiment de révolte face aux exactions perpétrées par le gouvernement de Netanyahou dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Simple citoyenne, je ne suis pas en mesure d’embrasser toute la complexité historique et politique du drame qui se déroule sous nos yeux en Palestine. Ma sidération grandissante face à ce que je peux en appréhender est née de la lecture de maints reportages, articles et essais qui convergent vers le terme de « génocide » pour qualifier ce à quoi sont soumis les Gazaouis. Ce sont des publications émanant d’organisations internationales enquêtant sur le terrain et d’intellectuels juifs et non juifs reconnus pour leurs compétences sur la question du Proche-Orient.
Il m’est difficile d’ignorer les voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent en faveur de la dénomination « génocide ». Résonne encore en moi l’appel silencieux à l’arrêt du massacre à Gaza, appel lancé depuis Guernica le 8 décembre 2023, par une magnifique mosaïque humaine aux couleurs du drapeau Palestinien massée sur la place centrale aux côtés d’une reproduction géante du célèbre tableau de Pablo Picasso en hommage à la ville martyre bombardée par la mission Condor en 1937.
Or il semble qu’en Allemagne, l’on veuille empêcher cette clameur d’effroi de se répandre, que l’on tente de faire taire ceux et celles qui osent cautionner la qualification de « génocide » pour la politique menée par Netanyahou à Gaza, en les accusant de défendre des positions antisémites. Dans le contexte académique et culturel actuel, il est courant que la signature d'une pétition sans aucune connotation antisémite dénonçant le génocide à Gaza, aussi fondée et documentée soit-elle, soit sanctionnée par un rappel à l'ordre de la part d'un représentant de l'institution académique ou culturelle ou d'une organisation engagée dans la lutte contre l'antisémitisme. Il est courant qu’une prise de parole critiquant la politique de Netanyahou soit bridée, son auteur.e réduit.e au silence, par l’annulation de son intervention ou par des mesures plus drastiques qui peuvent aller jusqu'à l'exclusion de l'institution.
Est-donc venu le moment pour moi à qui on demande de me taire, de me poser non pas la question « qu’aurais-je fait ? », mais « que dois-je faire ? »
Je ne peux ne rien dire... à l’instar du célèbre discours** du pasteur Martin Niemoller, auquel je me dois d’ajouter un vers ici en italiques :
Ils sont d’abord venus chercher les socialistes, et je n’ai rien dit---parce que je n’étais pas socialiste.
Puis ils sont venus chercher les communistes, et je n’ai rien dit---parce que je n’étais pas communiste.
Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n’ai rien dit---parce que je n’étais pas syndicaliste.
Puis ils sont venus chercher les juifs, et je n’ai rien dit ---parce que je n’étais pas juif.
Puis ils sont venus chercher les palestiniens, et je n’ai rien dit --parce que je n’étais pas palestinien.
Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre.
Il fait [très] sombre ici... Je ne peux, en toute bonne conscience, ne rien dire face à ce dont je suis convaincu·e qu'il portera tôt ou tard le nom officiel de génocide. Je suis fier·ère d’avoir fait le geste pourtant si minime, d’avoir signé une pétition contre le génocide à Gaza.
Un.e citoyen.ne du monde attérré·e, le 9.01.2025.
(*) extrait de la pièce « Changes » de Maja Sade.
(**) version française Wikipedia