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Billet de blog 3 octobre 2024

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Penser la lutte contre l'antisémitisme et l'islamophobie après le 7 Octobre

Jamais sans doute depuis le 7 Octobre dernier, les termes d'antisémitisme et d'islamophobie auront autant été brandis dans le débat public. Souvent par des personnes opposées. Alors qu'approche l'anniversaire de ces attaques terroristes, Nicolas Hénin nous a confié ce texte qui est en phase avec nos réflexions. Nous avons donc l'honneur de le partager avec vous ici.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Nicolas Hénin

Dans le domaine des discours de haine, du racisme et des discriminations, deux termes reviennent fréquemment, celui d’antisémitisme et d’islamophobie. Ces deux termes sont souvent opposés, en particulier depuis le 7 Octobre. Il s’agit d’une grosse erreur car ces deux formes de haines sont en réalité extrêmement proches.

Elles sont aussi proches que les peuples juif et arabe sont proches. Elles ont en commun de dissimuler une haine raciale derrière une haine religieuse. Elles sont finalement deux faces d’un même logiciel.

S’il est nécessaire de qualifier les racismes et discriminations, leur division, et à plus forte raison leur hiérarchisation, est dangereuse. En quoi la grossophobie serait pire que l’homophobie, l’antitsiganisme plus ou moins grave que la négrophobie ?

Bien sûr, elles sont différentes - et c'est d'ailleurs pour cela qu'il faut qualifier chacune par son nom.

L’antisémitisme, avec son antériorité historique, représente une sorte de matrice originelle des discours de haine contemporains. Beaucoup des racismes d'aujourd'hui se sont développés en reprenant ses mécanismes. On ne peut pas non plus évoquer l’antisémitisme sans rappeler l’exceptionnalité de la Shoah : jamais dans l’Histoire un discours de haine n’a conduit à un massacre d’une telle ampleur, doté d'une volonté aussi assumée d’exterminer une population. En ce sens, l’Histoire nous oblige à lui conférer une place spécifique.

L’islamophobie, pour sa part, a pour particularité d’être devenue dans le monde d’aujourd’hui l’une des expressions les plus courantes de la xénophobie. L’islamophobie a aussi pour particularité, qui devrait nous alerter, de faire l’objet, tout comme l'antisémitisme, d’un négationnisme. L'islamophobie n'est pas une simple "critique d'une religion". Un acte islamophobe, tel que l'agression d'un croyant ou l'incendie d'une mosquée, est un crime de haine qui n'a rien à voir avec la moindre "critique" d'une croyance ou d'un dogme. Par ailleurs, le slogan qui circule parfois “l’accusation d’islamophobie tue” est non seulement politiquement très orienté, mais surtout factuellement faux : les attentats terroristes ayant visé Charlie Hebdo ou Samuel Paty ont été commis suite à des accusations de blasphème, non d'islamophobie.

Au-delà de ces négationnismes condamnables, la pertinence de ces deux termes est parfois questionnée sur la base de leur étymologie. Pourquoi faire référence aux "sémites" plutôt que parler de judéophobie ? Est-il adapté, d'ailleurs, d'utiliser le suffixe "phobie", évoquant une névrose, donc un phénomène involontaire, subi par la personne qui en souffre, alors que les haines sont embrassées volontairement et en toute conscience par ceux qui les promeuvent ? Admettons qu'aucun mot n'est parfait et qu'ils sont surtout l'usage qu'on en fait. Les milieux académiques ou les professionnels du droit se sont suffisamment penchés sur ces termes pour lever toute ambiguïté et expliciter les réalités que ces termes recouvrent. Nous n'avons pas à rougir de les employer !

Pourquoi ces deux haines sont-elles communément opposés ? Parce qu’elles se manifestent beaucoup en réaction au conflit israélo-palestinien - déjà avant le 7 Octobre. Une compétition mortifère s’est installée entre les deux termes.

Il est pourtant nécessaire de combattre ensemble ces deux formes de haine (ainsi que toutes les autres), dans un même mouvement et avec la même vigueur. Précisément pour démonétiser leur instrumentalisation dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Pour empêcher aussi que des personnes prétendent lutter contre une seule de ces haines… alors qu’elles sont en réalité principalement motivées par la seconde !

La pire erreur serait d’opposer les personnes victimes de discours de haine. Si, pour des raisons politiques, les victimes des discours de haine se voient opposées ou instrumentalisées, le rêve de tout raciste est de voir Juifs et musulmans développer une haine mutuelle. L'Histoire, encore une fois, rappelle qu'il n'y a aucune fatalité que ces peuples s'affrontent, eux qui ont traversé les siècles dans une certaine harmonie. Au Moyen Âge, par exemple, il valait mieux être Juif au Moyen-Orient qu'en Europe.

Il faut marginaliser les tensions entre nos compatriotes Juifs et musulmans, et tous les fauteurs de divisions, qui pour beaucoup ne sont ni Juifs ni musulmans mais cherchent à en tirer un bénéfice politique. On ne lutte pas contre la haine par de la stigmatisation. On ne viendra pas à bout de l’antisémitisme en stigmatisant les musulmans. On ne réduira pas l’islamophobie en stigmatisant les Juifs. Engageons-nous à être efficaces dans la lutte contre l'islamophobie, l'antisémitisme et tous les autres discours haineux ou stigmatisants !

Nicolas Hénin, Octobre 2024

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