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L'empire médiatique de Vincent Bolloré a atteint la masse critique : celle où le poids de ses médias, l'importance qu'ils ont obtenue dans le débat public les rend auto-suffisants. Ils n'ont plus besoin d'être alimentés en véritable information pour fonctionner : ils peuvent créer eux-mêmes les sujets, les faire tourner en boucle, les faire grossir jusqu'à ce qu'ils éclatent et contaminent l'environnement tout entier. L'info n'est là que pour boucher les trous et pour maintenir le statut de “média d’information”
A partir d'un simple fait divers ou même absolument rien, la machine bien rodée s'enclenche : un gros titre sur le JDD (et maintenant sur JDNews), une chronique sur CNews chez Pascal Praud, puis Morandini, puis Ferrari, puis Kelly et Bock-Côté, puis encore Praud, la chose tourne dans toutes les émissions de CNews, un discours préparé qui va crescendo pendant 2 ou 3 jours.
Simultanément Europe 1 le reprend, Hanouna en parle le matin avant d'y consacrer une séquence dans TPMP le soir, où on s'y énerve, on insulte, on se coupe la parole… pour dire au final exactement la même chose. Toutes les émissions sont identiques, seul change l’emballage.

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Et le sujet qui n'existait pas devient tout à coup un “fait de société”. Les médias de la sphère Bolloré se citent mutuellement comme source, jusqu'à ce qu'un autre média s'en empare, puis deux, puis trois. Que ce soit pour renchérir, dénoncer ou fact-checker, au quatrième jour, c'est devenu un thème incontournable.
Bolloré coche alors une case de plus sur son agenda.
Car capitaliser ainsi sur du vent n'est pas un modèle économique, mais un modèle idéologique. Les sujets ne sont jamais choisis par hasard, ils doivent opposer les “vrais français”, bons chrétiens "de souche" homophobes et misogynes aux “islamo-wokistes” liberticides, aux immigrés, à leurs descendants, à la “racaille” et aux “(néo)féministes”. Son objectif? Nourrir la division, le séparatisme, opposer les cultures et les civilisations, piétiner le vivre ensemble et abattre les quelques barrières qui barrent encore son chemin.
Ça ne fonctionne pas à tous les coups, mais la méthode s'affine. Et pour contrer ceux qui alertent sur l’artificialité de ces sujets tirés du chapeau, la parade est déjà là : la bollosphère est le seul endroit où on ose parler des vrais sujets !
Et ces vrais sujets, en voici quelques-uns.
Le “blasphème” de la caricature dans Charlie Hebdo
Surfant sur l'indignation des catholiques dont la foi aurait été meurtrie par une séquence de la cérémonie d'ouverture de JO, Bolloré tente de prolonger la vague de victimisation grâce à une caricature parue dans les pages intérieures de Charlie Hebdo. Il envoie au charbon ses missionnaires les plus zélés, qui utilisent toutes les fake news possibles pour étayer leurs propos. Cela se termine avec une plainte bidon de la part d'associations "amies" : l'occasion d'écrire quelques autres articles et d’organiser les derniers plateaux.
Notre fil Twitter/X résume “l’affaire”.

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Le rouge au front de quelques intégristes devant un petit dessin est devenu par la magie Bolloréenne une affaire d'état, un blasphème impardonnable, un crachat au visage d'un milliard de catholiques.
Merci Patron
Lorsque le patron est critiqué, les derniers fragments de déontologie – s’il en reste – volent en éclat au profit d'une loyauté servile. Hanouna montre ses crocs, déverse des torrents d’injures sur un député en direct car, il le dit lui-même, ”on ne mord pas la main nous nourrit”.
Quand RSF ou un reportage mettent en cause CNews ou le système Bolloré, le broyeur se met en marche : tous les journalistes et chroniqueurs, sur tous les plateaux, sur les réseaux sociaux ou dans les colonnes du JDD insultent, rabaissent, détruisent en boucle pendant des jours. Ils défendent le bifteck avec une violence que personne n'avait anticipée. L'autorité de contrôle les sanctionne ? Elle subira le même sort. Jusqu'à ce que le public soit convaincu : "si autant de personnes s’indignent à l'unisson pendant si longtemps, ça doit être vrai !"

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Le faux fact-checking de l’affaire Naël
Pour le lancement du JDNews, une "enquête" sur l'affaire Nahel. Ceux qui connaissent Geoffroy Lejeune lèvent un sourcil. Une enquête ? Il s'agit d'une collection de faits déjà amplement couverts, orientés à charge et présentés comme un scoop par Lejeune, qui a compris et adopté avant l’heure la méthode Bolloré. Car quelle véritable enquête a marqué Valeurs Actuelles lorsque Geoffroy Lejeune était à sa tête ? Quelles révélations ? La "tribune des militaires" récupérée sur un site d’extrême-droite ? Son engouement populaire reposait sur un compteur de signatures plus que douteux. Lorsque Lejeune a été imposé de force par Bolloré comme patron du JDD, la lettre ouverte des parents de victimes dans le premier numéro avait en fait été rédigée par Charlotte d’Ornellas, venue dans les bagages de Lejeune et qui a fait ses classes dans les pires sites de “réinformation”.

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Et sur CNews, quelle émission de reportage, d’investigation, quel journaliste sur le terrain qui fasse un travail de fond sur le moyen ou long terme et pas seulement de la présence à l’image ? En format papier comme en TV, les médias du groupe ont pour fonction de commenter l'info, pas de chercher la vérité ou même informer. On truque, on manipule, on exagère, on déforme, la fin justifie les moyens. On ne nourrit pas, on prédigère. On délivre le message du patron à plusieurs voix pour donner l'illusion d’un consensus. On joue un rôle et on décide à l'avance qui sera le contradicteur et qui gagnera à la fin.
La gifle
Plus récemment, une lycéenne gifle une professeure qui la rappelait à l’ordre. Ce type d’affaire, d’habitude, se règle localement par une convocation des parents, une sanction, voire une exclusion de l’établissement, parfois une plainte de l’enseignant. Mais voilà, il s’agissait, au départ, d’une histoire de voile. S’il s’était agi d’une cigarette, CNews et le JDD n’auraient pas titré sur le tabagisme ou, pour un crop-top, sur l’image de la femme. Mais là l’occasion était trop belle pour la Bollosphère de faire une semaine de titres sur un tel “fait de société”.
Ses médias ont créé de toute pièce le scoop qui leur manquait : une dizaine de professeurs auraient “soutenu l’élève violente”. Tous les professeurs du lycée ont pourtant condamné la violence de l’élève envers la professeure. Peu importe. Une “source proche du dossier” sert de semence aux médias Bolloré et les autres médias de la fachosphère.
Notre fil sur Twitter/X déroule la chronologie des événements.

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Au final, aucun document, aucun propos rapporté, aucun témoin direct, aucun contexte. Autrement dit, en l’absence de preuve, il s’agit d’une rumeur : il se pourrait que certains professeurs condamnent la violence qui en a résulté mais pensent que l’application du règlement devrait être moins stricte dans ce genre de cas. Cela a été suffisant pour tourner en boucle pendant plusieurs jours et envoyer Hanouna demander la mise à pied immédiate de ces dangereux enseignants gauchistes.
La Mission
Ces méthodes, on les connaissait. Ces abus, ils ne sont pas nouveaux. Des journalistes qui abandonnent toute éthique au profit d'un corporatisme aveugle et de la fidélité à leur employeur, on en avait déjà rencontré. Mais ce qui est inédit en France, c'est de l'avoir érigé en système, de l'avoir rationalisé, planifié et appliqué aussi méthodiquement et à une telle échelle, via autant de canaux.
Si aucun magnat des médias ne l'avait fait auparavant d’une manière aussi visible à l’échelle nationale, c'est probablement parce que cela n'est pas rentable. Les chaînes de propagande de Bolloré, ses journaux transformés en armes au service de son combat civilisationnel perdent de l'argent. Beaucoup d’argent. Mais la rentabilité ne semble pas être un objectif pour lui, même s'il parvient parfois à réduire ses pertes.
Pour Bolloré, tous les moyens sont bons pour imposer ses narratifs et imposer sa vision réactionnaire et discriminante dans l'opinion publique, pour pousser à la haine, la division et ultimement à l’affrontement. C’est sa Mission, c’est la fin qui justifie les moyens considérables qu’il y investit.
L’Arcom, l’autorité de régulation audiovisuelle, est censée prévenir ces abus, assurer l’honnêteté et l’indépendance de l’information. Elle devrait, pour chacun des cas que nous venons de présenter, sanctionner les chaînes qui s’adonnent à ces pratiques. Elle l’a déjà fait dans le passé, a sanctionné CNews et C8 des dizaines de fois, a fini par ne pas renouveler la convention avec C8, mais a reculé face à CNews. Depuis, plus rien, silence radio sur le sujet. Le poids économique et politique des médias de Bolloré a-t-il eu raison de l’institution ? Bolloré a-t-il désormais les coudées franches ?