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Jeudi 23 janvier 2025, une nouvelle décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme apporte un éclairage inquiétant sur l'état d'esprit qui règne au sein des médias Bolloré.
Éric Zemmour, le chroniqueur vedette de CNews jusqu'à fin 2021, était un habitué des déclarations flirtant avec la haine raciale ou la discrimination, avant d'en faire un programme politique. Mais par deux fois ses propos à l'antenne ont dépassé les bornes un peu plus que d'habitude, sans susciter aucune réaction des animateurs (journalistes ?) sur le plateau. En termes plus familiers, son racisme est passé crème.
Par deux fois, ces déclarations ont entraîné de "vives réactions" parmi les téléspectateurs. Plusieurs centaines d'entre eux, 900 pour la première, 2300 pour la seconde, ont alerté le CSA, renommé Arcom depuis.
Le CSA/Arcom a sévi, sanctionné la chaîne par des amendes relativement lourdes. La justice, quant à elle, a condamné le chroniqueur et la chaîne pour provocation à la haine et injure raciste.
Si CNews avait été une chaîne normale, ça en serait resté là. Éventuellement quelques recours juridiques, mais étant donné l'abjection des propos tenus, la chaîne aurait pu payer les amendes, faire un petit mea culpa, virer le fautif et s'assurer que ça ne se reproduise pas : lorsque vous êtes flashé à 230 sur l'autoroute vous payez l'amende, perdez votre permis et faites profil bas. À moins que vous ne revendiquiez le droit d’ignorer la loi, si vous contestez, c'est que vous êtes persuadé que la sanction est injuste, donc que vous ne rouliez pas à cette vitesse
Contester, c'est pourtant ce que va faire CNews. La chaîne va saisir toutes les instances, jusqu'au plus haut niveau. Appel, cassation, Conseil d'Etat, et même jusqu'à la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
Elle affirme par là que lorsqu'on dit sur ses antennes qu'il faut soutenir un meurtrier de masse qui a brûlé des villages entiers, tué femmes et enfants en Algérie, ou que les mineurs étrangers isolés sont tous des voleurs, des violeurs et des assassins, ça ne mérite pas une amende, que c'est normal, que c'est l'exercice sain de sa liberté d'expression.
La CEDH, bien sûr, en jugera autrement.
Elle relèvera que les incitations à la haine et à la violence, l’encouragement aux comportements discriminatoires constituent une limite à cette fameuse liberté d’expression.

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Article 10 de la convention européenne des droits de l'Homme
La CEDH a clarifié la notion de discours de haine dans sa fiche thématique.
CNews, en s'opposant, jusqu'au bout à ce que n'importe quel humaniste considèrerait comme une évidence, en défendant devant les plus hautes instances la diffusion de propos racistes qu'elle considère comme un droit, prouve sa permissivité à ce type de propos, et l'absence de boussole morale et juridique qui lui permettrait de les détecter et de les empêcher.
Le comité d'éthique du groupe Canal, qui était une obligation légale, a rapidement montré sa totale inutilité dans cette affaire. Il a vivement condamné les propos de Zemmour dès le départ et a consciencieusement rédigé un rapport disant que l'émission ne pouvait pas continuer ainsi. Ce rapport sert probablement à caler le pied du bureau de Bolloré, car il a été ignoré avec une ferveur qui force le respect.
En voici un extrait :
« En conséquence de quoi il apparaît au comité que ni le différé, même si le délai entre l’enregistrement et la diffusion était allongé, ni un éventuel retour au format originel de l’émission, ne seraient de nature à permettre la préservation des impératifs d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme. C’est en réalité la conception même de cette émission qui doit être revue, et cela pour deux raisons principales.
Premièrement parce que, diffusée quotidiennement à une heure de grande écoute et ayant vocation à couvrir pour l’essentiel l’actualité la plus immédiate, elle doit s’ouvrir davantage à la diversité des opinions dans le respect de leur expression contradictoire, ce que ne permet pas son organisation actuelle autour d’un éditorialiste vedette dont la présence permanente et la multiplicité des interventions aboutissent à privilégier à l’excès la parole d’un courant de pensée au détriment de tous les autres ;
et, deuxièmement parce qu’il va de soi que tout doit être mis en place, de façon plus efficace que cela n’a été le cas jusqu’à présent, pour que soient bannis les propos susceptibles de tomber sous le coup de la loi et ceux qui sont attentatoires au respect des personnes ainsi que les prises de positions provocatrices ou délibérément contraires à la vérité.
L’avis du comité est donc que l’émission Face à l’Info ne peut pas continuer à être diffusée sous sa forme actuelle. »
Délibération du comité d'éthique du groupe Canal sur l'émission de Zemmour, 22/10/2020
Dès lors, les questions suivantes se posent :
- Quelles sont les limites que se donne CNews en interne à l'expression à l'antenne du discours de haine ?
- Quelle confiance peut-on lui accorder pour juger de ce que ses chroniqueurs ont le droit de dire, dans le cadre de la loi, elle qui conteste les décisions pourtant évidentes ?
- Aurait-elle misé sur le désengagement récent de l’Arcom sur ces questions, laissant présager un glissement vers l’américanisation de notre définition de la liberté d’expression ?
Éric Zemmour, invité sur CNews le jour même de la publication de l’arrêt de la CEDH confirmant la responsabilité de la chaîne dans la diffusion de ses propos racistes, déclare :
« Moi je ne supporte plus les émissions de 10 minutes où on vous coupe la parole tout le temps parce que le journaliste en face croit malin et croit insolent de vous couper la parole sans vous laisser le temps de finir une phrase.
Donc j'ai décidé de n'aller que dans des émissions comme la vôtre où je peux m'exprimer, ou on peut discuter, converser, et où j'ai le temps d'élaborer, d'expliquer ce que je veux faire pour la France, et ce que je pense et ce que j'analyse. »
Et, en effet, personne ne lui coupera la parole sur le plateau, composé d’un large éventail de représentants des opinions pluralistes allant de l’extrême-droite à la droite extrême : Élisabeth Lévy, Joseph Macé-Scaron et Gilles-William Goldnadel, sous la houlette de Pascal Praud.