Il arrive certainement un âge où un chercheur académique bien vu dans sa discipline éprouve le besoin de faire une sorte de bilan de son travail scientifique, et de ses perspectives. Il arrive aussi qu’il les couple à son parcours individuel, lui-même lié à une histoire familiale des plus riches et à des lieux géographiques multiples. C’est ce qu’on retrouve si on veut un peu schématiser dans l’excellent récit de Malika Rahal, mille histoires diraient la mienne, publiée aux éditions EHESS. D’abord le titre inscrit la trajectoire dans l’Histoire collective d’un peuple, il s’agit ici de l’Algérie. Un pays qui a connu les affres d’une colonisation de peuplement de très longue durée ce qui a produit une littérature abondante sur la période. Donc en tant qu’historienne du présent Malika Rahal ne cesse d’interroger le passé pour donner du sens à ses recherches. Le livre peut dérouter quelque fois car il est construit comme un puzzle mais au fil des pages, les pièces finissent par s’agencer et que tout prend sens. Cette forme d’écriture qui combine l’autobiographie et la recherche au sens le plus large du terme, efface l’égotisme et la tentation de l’autoglorification qui guette toute écriture de soi. La pertinence de l’ouvrage et dans le foisonnement des sujets et des pistes qui aboutit à montrer que même si la recherche que l’on mène nous concerne, on peut la mettre à distance pour lui donner l’objectivité qui la rend crédible. Le plus étonnant aussi c’est l’origine familiale de l’auteure, née en France de père algérien et de mère américaine. Trois nationalités où se croisent des lignées de savants et de paysans. La vocation d’Historienne de Malika Rahal est à chercher du côté du père avec des aïeux de lettrés ayant déjà l’expérience de l’écrit et le goût de la transmission. Le parcours scolaire de Malika Rahal la conduit à tenter l’agrégation qui lui ouvre les portes de la recherche où les sujets ne manquent pas. La rencontre avec Benjamin Stora le spécialiste incontournable en Histoire d’Algérie, l’oriente vers le mouvement national algérien et plus précisément à s’intéresser au parti de Ferhat Abbas et son parti l’UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien). Mais avant de finir sa thèse, elle réalise un travail qui fait date à savoir la biographie d’Ali Boumendjel, l’avocat et résistant algérien assassiné par les parachutistes français et dont le crime a été reconnu par le président Macron. Cette éruption dans le monde de la recherche et de l’édition lui ouvre des grandes perspectives pour aller sur des terrains inédits et vierges, comme le travail qu’elle a réalisé sur ce moment fondateur pour l’Algérie qu’est le 5 juillet 1962. Malika Rahal n’oublie pas aussi de parler de ses engagements pour la Palestine et son soutien à la jeunesse algérienne dans son désir de bâtir un pays moderne et son éthique irréprochable contre les tentatives de la compromettre par différents milieux. L’essai de Malika Rahal est un outil pédagogique à l’usage des spécialistes et des profanes qui veulent comprendre l’Histoire tumultueuse qui lie l’Algérie à la France.
Slimane Ait sidhoum
Malika Rahal, mille histoires diraient la mienne, publié aux éditions EHESS.