Slimane Ait sidhoum

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Billet de blog 2 septembre 2023

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Les bavardages du faux prophète.

Depuis l'échec commercial retentissant de son deuxième roman, on attend toujours avec impatience le retour de Kamel Daoud à la fiction. Juste pour le plaisir, à ce propos, je rediffuse une note de lecture que j'ai faite du roman "Zabor" à sa sortie en 2017.

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 Après le succès planétaire de son premier roman, Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud se devait de réussir son second livre pour être définitivement admis dans la cour des grands écrivains. Il faut rappeler que, Meursault, contre-enquête était un pur exercice de style, qui avait consisté à répondre à L’étranger de Camus dans la perspective de réhabiliter le personnage de « l’Arabe » en le ressuscitant pour lui donner une existence littéraire de premier plan avec un vécu et une histoire. Avec Zabor ou les psaumes, Kamel Daoud, nous donne à lire un ouvrage a une connotation mystique, annoncée dès le titre. Á la lecture disons-le fastidieuse des trois parties qui composent le livre, on en sort mitigé, avec un sentiment d’inachevé et de déception. Plusieurs éléments qui relèvent du style ont desservi ce texte très ambitieux. D’abord, ce narrateur-despote agaçant et suffocant qui domine du haut de sa plume tous les autres personnages qui ne sont là que comme des faire-valoir, monopolise la parole du début à la fin. Il n’y a qu’un seul point de vue qui prime, même si dans sa verve incommensurable, le narrateur consent à les écouter de temps en temps. Cette course effrénée à imposer sa vérité épuise le narrateur et lui coupe le souffle, l’obligeant à recourir à des digressions souvent écrites en italiques pour repartir de plus belle à l’assaut de ses chimères. Cela se traduit par des phrases des fois complètement hermétique, du style : « le monde était alors une série de déménagements nerveux, de cris et de démonstrations de tendresse trop appuyées pour être vraies. » ( P79) Un autre travers de ce long texte, c’est l’inflation des contradictions du narrateur qui dit aux lecteurs «  Je ne sors presque jamais dehors » Et, d’un autre côté, on le voit par monts et vaux dans le village et en dehors du village, allant à la quête de ses cahiers. L’innovation qu’on peut concéder à Kamel Daoud qui a pris tout le monde à contre- pied, c’est la rupture qu’il opère avec l’un des topos de la littérature algérienne, à savoir que c’est son deuxième roman qui est autobiographique et non le premier. Ainsi, le lecteur attentif retrouve les biographèmes de l’auteur entendus lors de ses différentes prestations médiatiques et réinvesties dans le récit. Ces quelques remarques essentielles permettent de comprendre ce que ‘raconte Zabor’ (expression tirée directement du terroir algérien) pour parler de façon triviale, mais c’est aussi le livre du prophète David trahi par ses disciples et sa tribu. Donc Zabor parle des/ et aux habitants de son village « Aboukir ». Zabor longtemps méprisé pour sa condition sociale précaire, incrimine son père Hadj Brahim qui les a exclus, lui et sa maman de la maison familiale. Il les installa ailleurs comme des marginaux. On retrouve ici le mythe biblique d’Abraham qui est retravaillé pour les besoins de l’intrigue tout en mettant l’accent sur le pathos. Mais, la providence l’aide à prendre sa revanche sur le sort grâce à son don d’éloigner la mort grâce à l’écrit. Ainsi Zabor, le scribe par sa calligraphie fait barrage à la mort qui rôde dans le village. Il est une sorte de Chahrazad au masculin. Il faut attendre la page 76 pour savoir comment procède Zabor. Dans la deuxième partie, intitulée, La langue, Zabor revient sur la naissance de sa vocation de sauver les morts, qui lui vient de son passé lié à sa maladie. En effet, on apprend qu’il était sujet à des migraines et à des délires nocturnes qui avaient poussé sa tante Hadjer sa bienfaitrice à lui faire consulter un Taleb. Ce dernier grâce à un renfort d’amulettes arrive à le guérir. Et, c’est en ouvrant ces petits carnets mystérieux, enveloppés dans du tissu qu’il va découvrir l’art de l’écriture sacrée qui sauve de la mort. Zabor qui est très méticuleux donne le nombre exact de cahiers qu’il a enterrés à la place des cadavres, à savoir plus de 5436. Dans la troisième partie intitulée, L’extase, Zabor nous montre comment il s’est affranchi de sa condition d’orphelin méprisé grâce la lecture et à la maîtrise d’une nouvelle langue qui lui permet de découvrir des chefs d’œuvre de la littérature universelle dont, Robinson Crusoé. Zabor est fasciné par le  perroquet Poll compagnon de Robinson. Enfin sa vocation se trouve contrariée quand il fait face à l’agonie de son père Hadj Brahim. Ce père tyrannique qui les as abandonnés lui et sa mère, mérite- t-il d’être ramené à la vie ? Dilemme pour le jeune Zabor surtout qu’en dernier ressort son géniteur lui avait interdit de se marier avec Djemila, une jeune femme répudiée ayant deux enfants. Le roman devient ainsi un lieu où des questions philosophiques sont posées mais sans qu’on trouve les réponses adéquates. Peut-être que la littérature est impuissante, elle aussi, à répondre à toutes les questions malgré la fantaisie et l’audace qui la caractérisent. Au terme de ce long voyage, on se dit que Zabor de Kamel Daoud pèche par sa longueur, un travail d’élagage avec ses éditeurs aurait donné un texte plus ramassé et moins bavard pour mettre en valeur son lyrisme, comme on le voit dans certains passages écrits en italiques où on décèle des trouvailles stylistiques exquises.

                                                                                  Slimane Ait sidhoum

Kamel Daoud, Zabor ou les psaumes, Actes Sud, Barzakh, 2017.  

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